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Ces lourdeurs bureaucratiques qui pèsent sur le dynamisme pédagogique

Déjà que changer les mentalités et les habitudes pédagogiques des enseignants s'avère une entreprise s'inscrivant sous le signe de la patience, du compromis et de la diplomatie, il est loin d'être souhaitable de tout annuler après avoir laissé miroiter des perspectives d'acquisition de tablettes.
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Peut-être avez-vous entendu parler de l'annulation inopinée d'un appel d'offres pour l'éventuel achat de tablettes électroniques par des commissions scolaires québécoises? La nouvelle a eu un certain écho dans le monde de l'éducation au Québec et a été accueillie avec exaspération par plusieurs enseignants qui s'étaient préparés à intégrer cet outil à leur approche pédagogique. Dans cette longue lignée d'indignés, le récent témoignage de Sylvain Bérubé exprime bien cette exaspération.

Se rapprocher de l'élève

S'il y a deux domaines au Québec qui se doivent d'offrir un service direct à leur clientèle, c'est véritablement ceux de la santé et de l'éducation. En ce sens, afin de desservir les clientèles respectives de façon convenable et soutenable, la prise de décision doit être située à un niveau de proximité rapproché de l'élève. Ainsi, les facteurs qui entrent en ligne de compte pour la prise de ces diverses décisions doivent être issus de l'environnement immédiat dudit élève. Or, l'organisation des structures administratives fait que plusieurs décisions ayant une incidence directe sur l'élève sont prises à l'extérieur du milieu dans lequel il évolue. Avec toutes les possibilités qui se trouvent à portée de l'enseignant pour faire évoluer sa pratique professionnelle, il est déplorable que les moyens d'atteindre ces objectifs ne soient pas disponibles dans l'environnement immédiat où ces outils seront utilisés.

Lorsqu'un chantier de changement est entrepris en milieu scolaire, surtout concernant les TIC (technologies de l'information et de la communication), il est grandement préférable d'éviter d'irriter les enseignants. Déjà que changer les mentalités et les habitudes pédagogiques de ces derniers s'avère une entreprise s'inscrivant sous le signe de la patience, du compromis et de la diplomatie, il est loin d'être souhaitable de tout annuler après avoir laissé miroiter des perspectives d'acquisition de tablettes.

En parallèle, les pressions s'accentuent afin que l'enseignant exploite les outils technologiques et qu'il les intègre dans sa démarche pédagogique. Il est totalement incohérent que dans un processus d'achat de masse de ces outils « prêts à l'emploi », il y ait des retards ou des annulations. Cela démontre que cette hâte d'intégrer lesdites technologies est infondée ou qu'elle va dans un seul sens, à savoir celui des enseignants. Le leadership technopédagogique se fonde sur la cohérence et sur le modèle des preneurs de décisions à tous les niveaux et, comme le cite Pierre Collerette, spécialiste en gestion du changement institutionnel et professeur à l'Université du Québec en Outaouais, si les gens perçoivent une incohérence entre le discours et les actes, ils s'attardent aux actes. Dans ce cas, les actes n'envoient pas le message escompté aux enseignants et directions d'école.

Le spectre des tableaux numériques interactifs (TNI)

La crainte de gaspillage de fonds publics ou d'appels d'offres douteux est belle et bien fondée au Québec, et il y a lieu de valoriser tout appel d'offres transparent destiné à respecter les règles de l'art en matière d'acquisition de matériel de toute sorte par les organismes gouvernementaux. Plusieurs Québécois ont toujours dans la gorge les dérapages occasionnés par l'achat massif des TNI par le gouvernement Charest. Le blogueur Mario Asselin décrit sommairement ce processus nébuleux dans son blogue.

Tous ces souvenirs négatifs et ces craintes se canalisent dans une appréhension qui se transforme en l'obsession d'un créneau inébranlable reprenant presque le slogan de Zellers : «où le prix le plus bas fait loi». Non pas que l'idée de se regrouper pour bénéficier d'économies d'échelle soit mauvaise en soi - le Centre collégial des services regroupés (CCSR) a certainement sa raison d'être. Cependant, ces économies doivent-elles outrepasser la logique d'acquisition de ressources et outils pertinents et désirés par une école, donc par ses utilisateurs? Comme toujours, les impératifs budgétaires ont préséance sur les impératifs scolaires.

Pour résoudre le problème d'achat des tablettes, les commissions scolaires devront soit revenir à la charge avec un nouvel appel d'offres en achats regroupés si la commande est de plus de 100 000 $ ou s'organiser elles-mêmes, voire par école, pour commander les produits qui les intéressent et qui correspondent aux besoins de leur clientèle. Plusieurs se sont déjà arrangées entre elles pour acquérir les tablettes et, au moment où vous lisez ces lignes, elles sont arrivées dans les centres administratifs de certaines commissions scolaires. Comprenez bien qu'elles ne sont toujours pas entre les mains des élèves... autres formalités bureaucratiques à respecter auparavant...

Édifier ses propres obstacles sur son propre parcours

Dans mon livre Le changement en milieu scolaire, je traite justement des obstacles au changement et de ceux à l'utilisation des ressources technologiques en classe. Évidemment, l'un des obstacles les plus difficiles à outrepasser est celui des contraintes structurelles d'une organisation tellement vaste et lourde qu'elle peine à s'adapter aux nouvelles réalités de sa clientèle. Mais ce qui est encore plus pathétique et déplorable, c'est que son immuabilité devienne un frein à ceux qui ont le désir, l'énergie et la flexibilité pour desservir la clientèle de façon vocationnelle. En quelque sorte, le système avale les initiatives locales des acteurs impliqués auprès des jeunes alors que nous nous attendons à ce que ces derniers innovent, créent et explorent davantage dans leurs stratégies d'intervention auprès de la clientèle scolaire.

Signe que, dans le milieu de l'éducation, les décisions sont prises loin d'où elles ont des répercussions immédiates et que ces situations déplorables ne font que renforcer le mécontentement des enseignants qui, trop souvent, diffusent largement que les décideurs sont totalement déconnectés de la réalité du terrain. Dans ce cas bien précis, force est d'admettre que ces récriminations sont fondées.

Je ne peux que souhaiter bonne patience à ceux qui sont affectés par cette annulation d'appels d'offres tout en offrant mes profondes sympathies aux élèves qui font, encore une fois, les frais d'un système inflexible, immuable et inerte, se trouvant perdus bien en dessous des dédales et sinuosités bureaucratiques du monde de l'éducation.

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Avril 2018

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