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«Et délivrez-nous du mâle...»

C'est un fait, le modèle de l'homme viril et de la domination masculine sur laquelle s'est construite la société occidentale (et dénoncé par Pierre Bourdieu en son temps) n'est plus de mise auprès de la jeune génération.
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C'est un fait, le modèle de l'homme viril et de la domination masculine sur laquelle s'est construite la société occidentale (et dénoncé par Pierre Bourdieu en son temps) n'est plus de mise auprès de la jeune génération. Au fil des vingt dernières années, l'identité de l'homme moderne s'est affichée dans sa sensibilité, ses doutes et son romantisme assumé. Plus attentifs dans leurs rapports amoureux, plus aguerris aussi aux tâches ménagères que leurs ainés, les hommes d'aujourd'hui illustrent la fin du "mâle dominant" au profit d'une attention nouvelle tournée vers le désir de l'Autre en général et de la femme en particulier.

Égalité = menace sur la virilité?

Cependant, la remise en cause de "l'identité masculine" n'est pas sans poser quelques stupeurs et tremblements auprès de cette nouvelle génération d'hommes dont le souci de plaire se confronte à l'imaginaire guerrier inculqué par les fondements mêmes de notre société. Comme le souligne le sexologue Philippe Brenot (1), les couples d'aujourd'hui se construisent essentiellement sur une "sexualité relationnelle", laquelle implique l'égalité des échanges et la remise en cause de l'autorité masculine. Apparaît dès lors une "menace sur la virilité" dans la mesure où la performance sexuelle des hommes dépend désormais de la réciprocité de leur relation et de la prise en compte du désir de leur partenaire. L'homme se voit déchu de sa position de sujet omnipotent pour devenir objet du regard des femmes et de leurs attentes (y compris sexuelles). Le début de la fin du mâle dominant?

Les paradoxes de l'émancipation des hommes

Si les hommes sont devenus plus respectueux et ouverts au fil du temps, ils en sont devenus aussi plus fragiles. Car la question se pose alors de savoir ce que signifie être un homme dans ces conditions. La déconstruction du masculin et la féminisation qui s'en est suivi chamboulent les hommes modernes en quête d'eux-mêmes. Depuis la révolution sexuelle de mai 68, la remise en cause de la domination masculine les interroge dans leur identité profonde (mais nous verrons ultérieurement que mai 68 ne représente qu'une des clés de lecture pouvant expliquer la mutation en cours).

Tel est le cas de Simon par exemple (les prénoms ont été volontairement modifiés), ingénieur de 31 ans, venu me consulter récemment en cabinet de sexologie -comme nombreux autres jeunes hommes de sa génération- pour une dysfonction érectile persistante :

"Le problème est que je ne sais plus comment m'y prendre avec les femmes. J'ai la hantise de me faire traiter de 'macho', car je me situe avant tout dans le partage et le respect du désir de mes partenaires. Vous savez, je ne suis pas un primate qui ne pense qu'à son propre plaisir... Je suis fier d'être attentif et tendre, mais cela m'empêche au final de 'bander'. Je ne ressens plus ma virilité, et d'un autre côté, il m'est impossible de me comporter en égoïste pour autant. Je me sens bloqué."

Ou encore l'exemple d'Antoine, commercial de 34 ans, qui essaie de trouver un sens à sa présence auprès des femmes: "Les femmes d'aujourd'hui sont indépendantes et fortes. Elles gagnent bien leur vie, savent monter des étagères mieux que nous parfois et peuvent même faire un enfant seule ! En définitive, elles n'ont plus besoin de nous..."

Le paradoxe est que plus la société devient égalitaire et libérée et plus l'angoisse des hommes s'amplifie. Car déconstruire la domination masculine et les figures ancestrales de l'autorité revient dans l'imaginaire de nombreux hommes à s'attaquer à leur faculté érectile. Et c'est là que le bât blesse. Beaucoup d'hommes (et de femmes!) ont du mal à résoudre l'équation entre le respect, la tendresse, le partage des tâches d'un côté et les moments de désir d'autre part, avec l'inattendu, le lâcher-prise et l'explosivité qu'il revendique.

Aussi, la question sous-jacente des hommes qui consultent en sexothérapie concerne le sens de leur existence auprès des femmes ainsi que le rôle qu'il leur reste à incarner dans notre société. "A quoi servons-nous?" semblent-ils proclamer en chœur. L'homme moderne ne sait plus où se situer. Il ne comprend plus ce qu'on attend de lui et se perçoit souvent comme inutile, voire accessoirisé. Et lorsque les doutes s'emparent de l'être, la sexualité bien souvent se gâte.

Les conséquences de la modernité sur la sexualité

C'est pourquoi, paralysés par l'angoisse, certains hommes cherchent alors refuge dans une sexualité de performance qui leur permettra de prouver « qui ils sont vraiment ». Mais là encore, c'est sans compter l'émancipation de certaines femmes qui osent désormais déclarer leur désir haut et fort. Et le spectre de la femme fatale, insatiable et castratrice (re)surgit. Dans un récent article le psychanalyste Vincent Estellon, rappelle qu'en 1918 déjà, Freud (2) émettait l'hypothèse que l'homme redoute au final d'être affaibli par la femme, car ce dernier redouterait d'être contaminé par la passivité qui le gagnera après le coït aux effets soporifiques et apaisants: "Tandis qu'il se fatigue, elle est susceptible d'en redemander. L'homme se rend compte que la femme, forte des plaisirs qu'elle lui procure, détient ce pouvoir de l'influencer. Face au danger de la domination féminine, le rabaissement de la femme constitue une manœuvre efficace pour l'homme peureux de perdre son pouvoir et sa puissance phallique (3)".

Cela se vérifie d'ailleurs en cabinet de consultation par la recrudescence des demandes de jeunes patients (essentiellement de 20 à 40 ans) venant consulter pour des problèmes de "virilité". En une décennie, les consultations pour éjaculations prématurées ou dysfonctions érectiles se sont multipliées. Certes, les jeunes gens consultent plus facilement que leurs ainés, mais il apparaît aussi que de nouveaux maux liés au manque de confiance en soi sont apparus chez ces derniers. La remise en cause de la domination masculine a littéralement "troublé le genre" (pour reprendre une formule de Judith Butler (4)). L'imaginaire et le désir qui se nourrissaient alors d'autorité et de transgression doivent désormais trouver leurs fondements théoriques et leurs concrétisations pratiques sous d'autres formes. À moins que le désir ne s'étiole totalement sous l'effet de l'angoisse et de "l'inquiétante étrangeté" que procurent ces nouvelles femmes qui savent ce qu'elles veulent. L'évitement et la fuite comme mécanisme (inconscients) de défense imprègnent alors la sphère sexuelle et se traduisent le plus souvent sous forme d'éjaculation précoce et de pannes sexuelles récurrentes.

"De la mâle attitude à...?" L'histoire de l'homme moderne reste à écrire

Mais gardons-nous de stigmatiser trop vite l'émancipation des femmes comme véritable cause de la « panique masculine » ("panique" avec ou sans jeu de mots d'ailleurs). Car sociologues et philosophes s'accordent aujourd'hui pour dire que la révolution sexuelle (sous entendu féministe) n'a qu'une influence limitée dans la déconstruction de l'identité masculine. Dans son ouvrage La fin des hommes (4), Hanna Rosin démontre comment celle-ci relève avant tout du déclin de l'économie manufacturière et de l'émergence d'une économie de services où "l'intelligence sociale" est venue supplanter la force physique. La fin de la révolution industrielle, l'économie de marché, la maîtrise de la fécondité des femmes, l'arrêt du service militaire, sont autant d'éléments qui ont concouru à la déconstruction de la "mâle attitude" au profit de... de quoi justement? Car telle est LA question. Si les hommes ne trouvent plus leur place dans la société actuelle, c'est que celle-ci a explosé sans fournir de nouveau modèle. Si la masculinité est indéniablement en pleine mutation, les enjeux de la nouvelle identité de l'homme moderne restent encore à définir...

Notes:

1. P.Brenot, "Les Identités sexuelles", revue Sciences humaines mars 2012.

2. Freud, "Tabou de la virginité".

3.V. Estellon, "Sexualité addictive et psychanalyse", revue Santé mentale, n°196, Mars 2015.

4.J. Butler, "Trouble dans le genre", Ed. de la Découverte, 2005.

5.H. Rosin, "La fin des hommes", Editions Autrement, Paris 2013.

Cet article a aussi été publié dans "ACTIVES Magazine", rubrique "Sexo by Calisto", juin 2015.

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