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Trump ou les dangers de la démocratie (2e partie)

Dans cet article, je veux illustrer comment le peuple, représenté par ses votes, n'est peut-être pas aussi libre de ses décisions qu'il ne le croit.
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Dans ce précédent billet au sujet de Donald Trump et les dangers d'une démocratie qui lui permettrait de se faire élire comme président du pays le plus puissant du monde (si on est d'accord que Donald Trump serait un péril pour les États-Unis et possiblement pour le monde), je démontrais que notre cher «un vote égal pour tous» de notre chère démocratie sacrée n'était pas si égal pour tous qu'on voudrait se l'imaginer.

Certains diront: mais ce n'est pas très grave, l'esprit de la démocratie est encore là, même si un vote individuel n'a pas tout à fait le même poids que le vote du voisin, l'important est que chacun ait un vote et que la démocratie s'exprime par le choix du peuple, qui est libre de choisir le vainqueur d'une élection selon sa seule et unique volonté, sans aucune pression extérieure.

Eh bien, dans cet article, je veux illustrer comment le peuple (représenté par les votes individuels de chacun de nous) n'est peut-être pas aussi libre de ses décisions qu'il ne le croit. Des études en psychologie sociale et en neurosciences ont révélé que nos choix et même notre volonté ne sont pas nécessairement le résultat des cogitations de notre conscience. Que les partis politiques utilisent sciemment ces études (ou pas) pour manipuler l'opinion publique, il demeure qu'ils peuvent le faire (et qu'ils le pratiquent peut-être déjà). Le monde de la publicité les utilise, et je ne parle pas des méthodes subliminales dont, on le sait maintenant, ne peuvent modifier réellement nos comportements.

Il y a plusieurs façons de diriger l'électorat pour un parti politique qui serait tenté de recourir à ces méthodes pour arriver à ses fins: se faire élire et gouverner. J'en expliquerai cinq: la compétition inter-groupes, l'effet de véracité illusoire, la pensée de groupe, les jugements «fine tranche», l'illusion de volonté.

La compétition inter-groupes

Muzafer Şerif, un psychologue social, a réalisé une célèbre étude à l'été 1954 avec des pré-adolescents dans un camp de vacances, Robbers Cave State Park. Sans savoir au début qu'ils étaient l'objet d'une expérience sociale, ils ont été divisés en deux groupes, qui sont vite devenus en compétition et antagonistes un envers l'autre quand le but à atteindre ne pouvait l'être que par un seul des deux groupes. Par la suite, quand les tâches impliquaient un but commun, les deux groupes se mirent à coopérer.

Ce qu'il faut retenir de cette étude est que tous les jeunes provenaient de milieux sociaux similaires, et que le simple fait de les mettre en groupe a déclenché l'attitude belliqueuse. Une plus récente étude, où les participants des groupes ont été retirés et redistribués dans d'autres groupes, a prouvé que la compétition demeure toujours, même si les participants de groupes différents étaient ensemble précédemment.

On cite souvent l'expérience de Şerif pour expliquer le racisme, l'intolérance, les préjugés. Appliquée au monde politique cela peut paraître évident que le Parti républicain et le Parti démocrate aux États-Unis se battent pour la présidence et que ces deux groupes se détestent, bien qu'ils sont constitués d'Américains qui ne se différencient pas énormément. Ce serait généraliser que de dire, par exemple, que tous les Afro-Américains votent démocrate, et qu'aucun ne vote républicain. Ce n'est tout simplement pas vrai.

Mais les partis politiques peuvent justement utiliser la compétition inhérente entre deux groupes pour accroître les rangs dans leur troupe, simplement en disant si vous êtes «contre eux» vous ne pouvez qu'être «pour nous». Trump y va un cran plus loin en cristallisant la peur des musulmans, un groupe non défini sans réelle aspiration politique, dans un appel à joindre le Parti républicain pour combattre cette menace imaginaire. Alors que le but commun serait de servir un pays où tous peuvent participer, la compétition inter-groupes divise l'électorat en deux et résulte en gagnants et perdants.

L'effet de véracité illusoire

Hasher, Goldstein, et Toppino ont démontré en 1977 qu'un message répété plusieurs fois est perçu plus véridique qu'un autre message moins répété, indépendamment de la véracité de ces messages. Soixante énoncés ont été présentés aux participants afin de déterminer lesquels ils considéraient vrai ou faux. Les énoncés provenaient de domaines différents mais peu susceptibles d'être déjà connus des participants, certains seulement étaient vrais. Par exemple, le basketball est une discipline olympique depuis 1925. Qui sait, à part un historien du basketball, si cela est vrai ou non?

L'étude a duré quatre semaines, durant lesquelles les participants ont répondu trois fois au questionnaire. À chaque fois, un groupe d'énoncés demeurait et de nouveaux énoncés étaient ajoutés. Le résultat indique que les énoncés qui se sont retrouvés plus souvent dans les questionnaires ont été plus souvent jugés véridiques (peu importe qu'ils le soient vraiment ou pas) que les énoncés qui s'y sont retrouvés moins souvent. Cela implique que si un message est répété constamment, éventuellement il sera vu comme vrai, même s'il ne l'est pas.

Vous vous demandiez pourquoi les politiciens répètent souvent les mêmes phrases toutes faites à chaque conférence de presse? Des énoncés comme «l'austérité est bonne pour l'économie» répétés ad vitam aeternam peut faire son petit bonhomme de chemin dans notre cerveau sans qu'on s'en aperçoive, sans savoir si l'austérité est vraiment bonne pour l'économie ou non. D'ailleurs, probablement peut-on ne le savoir qu'une fois l'austérité accomplie, et à ce moment il est trop tard.

La pensée de groupe

Irving Janis, chercheur en psychologie, popularise dans son livre de 1972 le concept de pensée de groupe (groupthink). La pensée de groupe est un biais psychologique qui provoque la prise de décisions trop rapides et désastreuses en mettant plus d'importance sur le consensus dans le groupe que la recherche de solutions pratiques et nouvelles. On a tous subi la frustration dans une réunion de travail où certaines têtes fortes lancent une idée ridicule qui mènera à la chute de l'entreprise malgré les craintes justifiées de certains, craintes qui sont occultées pour satisfaire la cohésion du groupe.

Janis explique l'échec des États-Unis d'anticiper l'attaque surprise de Pearl Harbor et le fiasco du raid de la baie des Cochons à Cuba par la pensée de groupe. Des avis contraires ont été ignorés pour conserver le consensus dans le groupe. Quelle est son rôle dans le vote démocratique?

Sachant que les individus feront tout pour unifier le groupe, les partis politiques peuvent utiliser une idée commune du peuple pour se rallier à cet électorat et gagner des votes. L'exemple parfait est le niqab où la réaction épidermique au Québec a été de dénoncer ce tissu. Une idée contraire du Nouveau Parti démocratique (NPD) de tolérer le niqab dans certaines cérémonies et de s'en remettre aux tribunaux ne passait tout simplement pas auprès des électeurs québécois. Et même si le Parti libéral du Canada (PLC), dans sa doctrine multiculturaliste, n'a jamais interdit le niqab, ils se sont tus durant le débat pour faire partie discrètement du groupe qui voterait anti-niqab. Certains ont voté conservateur, mais ceux qui ne voulaient pas appuyer Harper n'avaient d'autres choix que d'aller vers le PLC puisque le NPD était contre leur sentiment. Et vous avez le PLC qui gagne sur le dos de la pensée de groupe.

Le même phénomène s'est produit, mais à l'inverse, avec la Charte des valeurs du Parti québécois (PQ), la vague populaire appuyant ces valeurs rassembleuses jusqu'à ce que le groupe (le peuple québécois) change d'idée soudainement sur un autre consensus (la peur de la séparation) suite aux évènements de la campagne électorale. La Charte des valeurs étaient construites sur des idées fragiles que le groupe appuyait tant que la pensée de groupe les maintenait sur le tapis. Et les péquistes perdirent car une autre idée plus importante n'a changé les priorités de l'électorat entre temps, et la pensée de groupe à l'intérieur du PQ les a aveuglé sur leur chance de remporter l'élection.

Les jugements «fines tranches»

Communément appelé le thin-slicing, ce jugement rapide sert à l'humain à prendre une décision à partir de très peu d'informations. Si, dans le temps de l'homme des cavernes, cela pouvait être utile pour déterminer si la feuille qui bouge est le vent ou le lion derrière, dans nos sociétés complexes, un tel mécanisme mène à plusieurs décisions malencontreuses. Comme en politique, quand c'est le temps de choisir son candidat préféré.

En 2006, Alexander Todorov de l'université de Princeton effectua une étude sur une élection américaine à venir. Les participants étaient appelés à identifier lequel des deux visages, dans une série d'images de candidats, leur inspirait le plus de compétence. Si les participants reconnaissaient les personnes des images, d'autres images étaient utilisées. Sans savoir s'il s'agissait de candidats à une élection, les participants ont correctement prédit les résultats statistiquement plus que la chance.

De là à penser que les voteurs ont choisi leur candidat basé uniquement sur l'image de leur visage, il n'y a qu'un pas. Les chercheurs sont conscients que ce ne sont pas tous les électeurs qui ont voté selon leur première impression, mais il demeure que pour les électeurs indécis ou peu informés, l'image a pu faire toute la différence. Vous avez ici l'explication pourquoi les candidats s'affichent sur des panneaux, avec un sourire, bien habillés. On a aussi entendu beaucoup parler comment Justin Trudeau ne se serait fait élire seulement que sur son apparence: c'est peut-être ici l'effet des jugements «fines tranches» de l'électorat.

L'illusion de volonté

Enfin, vous vous dites, moi, je suis un électeur informé, je ne base pas mes décisions sur des jugements superficiels, je suis pleinement conscient de mon droit de vote, et je l'exerce selon ma volonté, sans influences extérieures autres que mon interprétation des faits qui sont présentés. BRZZZZZ!!!! J'ai une mauvaise nouvelle pour vous: la volonté n'est qu'une illusion.

Benjamin Libet, un spécialiste de la conscience humaine, s'est intéressé dans les années 1980 à la perception de volonté. Dans une expérience où les participants devaient noter à quel moment ils décidaient de bouger leur main, le résultat des tests indiquait clairement que l'activité cérébrale qui initie le mouvement précédait le moment que les participants avaient conscience de l'exécuter. Autrement dit, la conscience n'est que spectatrice, et la décision d'effectuer une tâche relève de processus inconscients. Nous n'aurions que l'illusion de volonté, dans le but d'associer un agent à un effet (les schizophrènes ont justement le problème qu'ils n'associent pas certaines de leurs actions à eux) mais les décisions sont prises dans notre cerveau par un mécanisme qu'on ne comprend pas encore.

Notre conscience serait comme dans le poste de commande de notre être: nous voyons tout ce qui se passe, mais nous n'avons pas accès aux contrôles. Ce domaine de recherche en est encore à ses débuts, mais des expériences subséquentes tendent à démontrer l'exactitude de cette hypothèse. Cela n'enlève rien à l'expérience humaine: que vous soyez spectateur de votre vie ou véritablement en plein contrôle, l'illusion est la même et cela dure depuis des millions d'années.

Donc, si vous pensez qu'au niveau politique, vos choix ne proviennent que de votre conscience, sachez que votre cerveau a peut-être choisi un candidat pour vous selon ses calculs et qu'il ne vous montre sa décision qu'en vous laissant croire que vous en êtes le responsable.

La démocratie, quelle démocratie?

Quand on constate à quel point nos choix politiques peuvent être influencés par pleins de facteurs extérieurs qui ont très peu à voir avec l'aptitude d'un candidat à gouverner, et si réellement c'est le candidat qui défendera nos valeurs une fois au pouvoir, on peut se demander quelle est la valeur d'un vote aujourd'hui.

Ou bien est-il préférable de ne plus voter? Mais les absents ont toujours tort, comme on dit.

Dans le prochain article, je vais tenter d'énumérer de possibles remplacements à la démocratie si on désire une meilleure garantie de gouvernement responsable, une approche utopique mais intéressante.

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