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Les soins palliatifs et l'épiphanie des liens humains

La symbolique véhiculée par la Nativité suggère une réflexion sur la fragilité et les façons de l'entourer. Elle insuffle le besoin de penser la vulnérabilité, la prudence et le bien commun. Il y a pléthore de moyens de le faire, mais en observant l'actualité entourant les législations (québécoise et canadienne) encadrant la fin de vie, comment ne pas y voir une reconfiguration emblématique des enjeux allégoriques de la crèche?
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Le temps de Noël est un temps précieux. Il propose un arrêt, il suggère une pause dédiée à la méditation. À tout le moins, il donne lieu à une reconfiguration des routines. Dans tous les cas, il suscite les rencontres, il les encourage.

Dans la tradition qui nous concerne, la contemplation de la crèche explique l'origine et la prépondérance toujours vive des fêtes inscrites dans ce temps de l'année. Or, si on prend la peine de s'arrêter, la symbolique véhiculée par la Nativité suggère une réflexion sur la fragilité et les façons de l'entourer. Elle insuffle le besoin de penser la vulnérabilité, la prudence et le bien commun.

Il y a pléthore de moyens de le faire, mais en observant l'actualité entourant les législations (québécoise et canadienne) encadrant la fin de vie, comment ne pas y voir une reconfiguration emblématique des enjeux allégoriques de la crèche?

Vulnérabilité

Les soins palliatifs sont nés d'une démarche de marque chrétienne, dans un contexte très marginal, en réaction à une médecine technicienne envahissante. En effet, Cicely Saunders a fondé ce mouvement dans la foulée d'une conversion personnelle autour de la trentaine. Pour elle, l'essentiel était de créer un lieu d'accueil, d'inspiration religieuse pour les patients en phase terminale.

L'inspiration est donc chrétienne et elle incarne un projet d'adapter le soin à la vulnérabilité de la fin de vie qui était mise à mal par une médecine à la posture trop suffisante. Telles étaient les conditions revisitées de la crèche. Un patient vulnérable comme un nouveau-né, un environnement hostile à la protection de la fragilité, mais une qualité d'amour propice à garantir une présence sécurisante et rassurante.

Depuis les années 60, ce modèle de communauté accompagnante a fleuri un peu partout en Occident. De sa marginalité originaire, le mouvement s'est multiplié et a germé en associations diverses. Bref, il s'est installé et il tend à s'institutionnaliser. Au demeurant, la charité est toujours à l'œuvre, même si elle ne porte plus ce nom : le service au vulnérable nourrit la générosité du soin.

Mais le regard penché, l'oreille ouverte et la main tendue ne suffisent pas à tout expliquer. L'espace-temps palliatif révèle et questionne la fragilité humaine en tant que telle. Ce memento mori atteint les soignants comme les membres des familles. À l'instar du mystère enveloppant la symbolique de la crèche, celui de l'accompagnement palliatif recèle des actes humains aux richesses insoupçonnées.

L'occasion de raviver le souvenir de notre mortalité pousse à réfléchir à la fragilité de notre être et c'est là une hygiène personnelle des plus salutaires. Cet exercice est complexe. Comme Noël est la saison des cadeaux, je vous suggère le beau petit livre de la professeure Gaëlle Fiasse de l'université McGill. Son essai Amour et fragilité, publié aux Presses de l'Université Laval, distingue les différentes déclinaisons de la fragilité comme de la vulnérabilité. Son propos, attentif aux mots et aux choses, dispose à méditer sur nos fragilités incontournables, sur le lien entre vulnérabilité et amour, sur les conditions favorisant l'émergence du meilleur de soi au service d'autrui.

Prudence

La fragilité des personnes n'a d'égal que la fragilité de l'environnement lui-même. Naître dans une mangeoire (c'est le sens étymologique du mot crèche), suggère la précarité des lieux et commande une attention et un abandon aux êtres comme aux circonstances.

L'accompagnement palliatif se résume à pratiquer l'art du lâcher-prise. Cela vaut pour tous. Cela signifie aussi que l'environnement où cet art se pratique doit préserver les conditions optimales de sa réalisation. La prudence, qualité de prévoyance à l'égard des biens à poursuivre et des maux à fuir, trouve tout son sens dans le paradigme de la crèche. Marie et Joseph sont des réfugiés en fuite devant la menace mettant en péril le futur de leur famille.

Il me semble que la prudence est de mise quand on tente de comprendre la sagesse des praticiens du palliatif. Les réticences exprimées par ceux-ci lors des consultations publiques sur la question de «mourir dans la dignité», ce que l'on retrouve encore à l'œuvre dans la résistance des maisons de soins, ou encore la voie d'une quantité importante de médecins refusant de pratiquer l'euthanasie, ne sont-ils pas des indicateurs probants de réaction à un choix politique menaçant l'intégrité de l'héritage d'une bonne pratique médicale?

À voir la vitesse avec laquelle l'idéologie du «tout à l'autonomie» réclame l'étendue des lois favorisant le suicide assisté et l'euthanasie (loi 2 et C-14), je me demande si on ne retrouve pas les circonstances similaires à celles évoquées par le récit fondateur des fêtes de Noël?

En octobre dernier, Le Devoir rapportait les propos d'un membre de la commission des soins de fin de vie qui estimait que «l'arrivée de l'aide à mourir expose le milieu des soins palliatifs au Québec à un risque de "fracture et d'implosion", en raison des pressions croissantes exercées pour "faire pénétrer l'aide à mourir" dans ses milieux de soins ». Il s'agit d'un inquiétant constat.

Fuir l'idéologie pour préserver la qualité des soins est un vrai défi à relever pour ceux qui sont au fait du plus intime de l'expérience palliative.

Une autre suggestion de cadeau pour réfléchir à la portée politique de cela est le livre de Jacques Ricot, Le suicide est-il un droit de l'homme?, publié chez M-editer en 2015. Le philosophe nantais interroge la mutation de la perception du suicide vu comme une faute et considéré maintenant comme un malheur. Il distingue bien les avantages et les inconvénients de cette métamorphose. Il offre au lecteur une réflexion féconde sur les limites de la liberté individuelle et il révèle les paradoxes : «Curieusement, c'est au moment où nous avons les moyens de rendre la fin de vie supportable que monte, dans nos sociétés développées, la revendication d'une "aide" à mourir et non celle d'une aide à vivre sa vie jusqu'à son terme.»

Bien commun

La postérité et la pérennité de l'exemplarité de la crèche, malgré notre ignorance désolante à son égard, ne minimisent en rien son rôle structurant notre vie sociale et politique. Toutes les tentatives idiotes de remplacer cela pas les fêtes du «bonhomme de neige entre le renard et le grizzly» ne changeront rien à l'affaire. Nous sommes le produit de la culture judéo-chrétienne. Mais comme le soulignait avec éloquence G-K Chesterton : «Le monde moderne est plein d'anciennes vertus chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu'isolées l'une de l'autre et parce qu'elles vagabondent toutes seules.»

Les milieux de soins palliatifs, dans leur spécificité, représentent peut-être une métamorphose de la Nativité? C'est peut-être une occasion de préserver la trame de liens humains signifiants contre l'isolement? Dans les conditions de leur fragilité endossée, leur avenir demeure vulnérable. Je pense que pour l'heure d'aujourd'hui, ils contribuent au bien commun, ils représentent un espoir, voire même une espérance.

L'accompagnement inscrit dans la tradition des soins palliatifs est une sorte d'épiphanie de liens humains particulièrement signifiants et profonds. Cependant, cette qualité de relation est fragile et elle ne s'accommode pas aux amalgames proposés par une législation confondant euthanasie avec soins d'accompagnement de la vie jusqu'à son terme naturel.

En 2017, il faut relire 1984 de G. Orwell. C'est la suggestion de lecture s'imposant ici. Nous sommes entrés dans l'ère du novlangue. C'est un axe de réflexion qu'on ne saurait négliger pour assurer le meilleur épanouissement de nos cités...

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