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Comment mon histoire d'amour avec Bruce Jenner a changé ma vie pour toujours

Bruce Jenner a révélé qu'il avait souffert de troubles de l'identité sexuelle. Je n'aurais jamais mentionné ce problème avant qu'il soit suffisamment à l'aise pour en parler. J'ai scrupuleusement gardé son secret et je l'aurais emporté dans la tombe s'il n'en avait pas parlé.Mais aujourd'hui, après toutes ces années de vie hors du commun, il s'est exprimé. Voici le récit de notre histoire, et comment cette expérience a changé ma vie à jamais.
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Note de la rédaction : Bien que Bruce Jenner se définisse désormais "clairement en tant que femme", il n'a pas encore dit vouloir changer de prénom ou de pronom. Nous avons donc conservé des pronoms masculins pour relater cette histoire.

Aujourd'hui, Bruce Jenner a révélé qu'il avait souffert de troubles de l'identité sexuelle.

Je n'aurais jamais mentionné ce problème avant qu'il soit suffisamment à l'aise pour en parler. C'est sa vérité, après tout. C'était donc à lui de choisir la façon et le moment de la révéler comme bon lui semblerait.

J'ai scrupuleusement gardé son secret et je l'aurais emporté dans la tombe s'il n'en avait pas parlé.

Mais aujourd'hui, après toutes ces années de vie hors du commun, il s'est exprimé. Son nom évoque probablement des mots comme "olympien", "médaillé d'or du décathlon", "le plus grand athlète du monde", "fils", "frère", "mari", "père", "grand-père", "ami" et, avec un peu de chance, "pionnier" et "précurseur des droits civils pour la communauté transgenre".

Cette histoire transcende donc l'expérience personnelle de Bruce. Je souhaite parler de ce que j'ai vécu dans un souci d'information, afin d'apporter un minimum de réconfort et de soutien à toutes ces âmes en peine, privées de leurs droits d'une manière ou d'une autre.

L'histoire de Bruce et son combat n'appartiennent qu'à lui. De même, mon expérience avec lui est unique.

Voici le récit de notre histoire, et comment cette expérience a changé ma vie à jamais.

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Un soir de juillet 1976, à Memphis, Elvis (oui, oui, cet Elvis-là) et moi étions en train de regarder les Jeux olympiques d'été qui se tenaient à Montréal.

Cela faisait des jours que nous étions devant la télé, allongés dans le lit (notre refuge préféré) à Graceland. Nous suivions de près l'athlète américain Bruce Jenner, qui dominait l'épreuve du décathlon. Bruce en était au dernier tour de sa dernière course, la dixième, et quand il a franchi la ligne et gagné à la fois la médaille d'or olympique du décathlon et le titre de "plus grand athlète de la planète", Elvis et moi nous sommes réjouis de cette victoire pour les États-Unis ! Nous ne tarissions pas d'éloges sur ce type incroyable. "Il a vraiment une belle gueule, a déclaré Elvis. Je ne suis pas gay, mais je reconnais qu'il est beau gosse !" J'ai acquiescé et dit en le taquinant que cet athlète était beau comme un Dieu et que je me marierais avec lui un jour. "Pour ça, chérie, il faudra me passer sur le corps", a répliqué Elvis.

J'ai rencontré Bruce Jenner trois ans plus tard, au printemps 1979, à l'occasion d'un tournoi de tennis organisé en faveur de la Clinique John Tracy pour les enfants sourds. Il avait lieu au Manoir Playboy. Je n'y étais encore jamais allée, mais Bruce y résidait occasionnellement depuis qu'il s'était séparé d'avec sa femme d'alors, Chrystie.

Comme je participais régulièrement à l'émission de variétés Hee Haw et que j'étais une actrice dont on commençait à parler (je jouais notamment dans les séries d'Aaron Spelling), on m'avait invitée à remettre les trophées. Sans surprise, Bruce a remporté le tournoi et je lui ai remis son trophée. C'est ainsi que nous nous sommes rencontrés, sur un court de tennis.

Bruce était vêtu d'un short et d'un tee-shirt trempé de sueur. Son corps musclé était toujours dans une forme olympique. Il était doux, timide et très courtois. Il m'a demandé si je venais souvent au Manoir Playboy et je lui ai répondu : "Oh là là, non ! Je n'étais jamais venue !" Je me rappelle m'être dit que je ne voulais pas lui faire mauvaise impression, ou qu'il croie que mon ambition était de devenir playmate !

Lorsqu'il a commencé à me draguer gentiment, je lui ai carrément demandé : "Euh, vous êtes marié, non ? Je vous ai vu aux Jeux olympiques et je me souviens que votre femme était très présente !" Son attitude a changé du tout au tout et il m'a répondu avec tristesse : "Non, nous sommes séparés et ce n'est pas très facile." Il avait l'air si perdu que j'en ai été sincèrement émue. Je lui ai dit que j'étais désolée et nous avons passé un bon moment à discuter, sur le court.

Tous ceux qui avaient participé à la manifestation en faveur de la clinique John Tracy devaient se retrouver pour dîner et Bruce avait prévu de rentrer chez lui pour se doucher et se changer. Pourtant, il restait là et, au bout d'un moment, il a fini par m'expliquer : "Je n'ai vraiment pas envie de vous laisser seule ici, même peu de temps. George Peppard et les autres ne vous quittent pas des yeux et n'attendent que mon départ pour tenter leur chance."

J'ai trouvé ça charmant et très galant. Bruce a gardé son short et son tee-shirt alors que les autres s'étaient habillés pour la soirée ! Nous avons continué à discuter et appris à nous connaître. Bruce m'a invitée à dîner et, bien sûr, j'ai accepté. C'est ainsi qu'a débuté une relation sentimentale qui a duré sept ans et donné naissance à deux merveilleux fils.

Bruce avait déjà un fils adorable, Burt, et une magnifique petite fille nommée Cassandra (je la surnommais Casey). Je les ai toujours considérés comme une bénédiction et un cadeau que la vie m'avait offert.

Au début de notre relation, Bruce et moi nous sommes rendus en Australie pour la promotion de son film avec les Village People, Rien n'arrête la musique. Alan Carr en était le producteur et nous sommes vite devenus amis. Alan était un personnage haut en couleur, drôle, créatif et généreux. Dès notre retour, il a absolument voulu nous offrir une lune de miel anticipée : quatre jours dans les paysages de rêve de l'île de Bora-Bora, à Tahiti.

Bruce et moi avons passé des moments romantiques et reposants sur cette île féerique. Nous logions dans une de ces petites paillotes au toit de chaume, au bord de l'eau, et il nous suffisait de plonger de la terrasse dans une eau cristalline pour nager avec les poissons multicolores. Le soir, nous nous allongions à la belle étoile, en parlant de ce que l'on ferait ensemble et de ces paysages magiques.

Le Bruce de cette époque était un homme décontracté, pragmatique, facile, romantique, et tendre. J'étais aux anges d'avoir trouvé quelqu'un d'aussi extraordinaire avec qui partager ma vie. Il avait des valeurs et je me surprenais parfois à penser que c'était trop beau pour être vrai. Si j'avais su !

Je me suis retrouvée enceinte pour la première fois de ma vie. Lorsque le cabinet médical m'a appelée pour me donner les résultats du test de grossesse, j'en suis tombée à genoux de joie en espérant être capable de porter cette précieuse vie. C'est un sentiment que je n'oublierai jamais. À cet instant, j'ai vraiment eu l'impression que mon être se trouvait purifié de tout ce que j'avais pu faire dans ma vie. On m'offrait un nouveau départ. Cette nouvelle me mettait clairement dans tous mes états !

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Bruce et moi nous sommes mariés le 5 janvier 1981, dans la splendide demeure d'Alan Carr, sur le front de mer hawaïen. Nous n'étions qu'une trentaine de personnes, dont nos parents. Burt était le témoin de son père, alors qu'il n'avait que deux ans ! Il a passé son temps à interrompre la cérémonie en nous demandant de le prendre dans nos bras. C'était très mignon et cela a donné une touche familiale à la cérémonie. Mes nièces, Jennifer et Amy Thompson, étaient mes demoiselles d'honneur et ma belle-sœur Louise, ma dame d'honneur. Le mariage a vraiment été magnifique. Nous avons échangé nos vœux à 18 heures, juste au moment où le soleil se couchait sur l'océan Pacifique.

Je tiens à souligner que Bruce ne craignait pas les comparaisons, parce que la musique que j'avais choisie pour me rendre à l'autel était Hawaiian Wedding Song d'Elvis Presley ! J'avais toujours rêvé de me marier à Hawaï, depuis que j'avais vu Blue Hawaii avec Elvis. Petite fille, je l'avais regardé des dizaines de fois et je m'étais toujours dit que ça devait être romantique de se marier dans un endroit aussi paradisiaque. C'est tout à l'honneur de Bruce d'avoir accédé à mon désir de mariage de contes de fée, dans le soleil couchant au pied de Diamond Head, sur la plage de Waikiki, dans l'île d'Oahu, à Hawaï. Il ne manquait qu'Elvis !

Brandon Thompson Jenner est né le 4 juin 1981. Je croyais savoir ce qu'était l'amour avant de donner naissance à mon bébé, mais tout ce que j'avais connu jusque-là n'était rien en comparaison de l'amour inconditionnel que j'ai immédiatement ressenti pour la petite chose que je tenais dans mes bras. Burt et Casey sont venus à l'hôpital pour faire la connaissance de leur petit frère.

Je coulais des jours heureux. J'aimais sincèrement Burt et Casey, et Brandon illuminait chacune de mes journées ! J'avais l'impression d'être faite pour la maternité (je m'étais déjà entraînée avec Burt et Casey, que nous avions souvent à la maison et qui étaient encore tout petits). Je me sentais donc prête à être mère. J'adorais passer du temps et profiter de cette famille toute prête.

Bruce et moi formions un couple plutôt réussi à l'époque. Nous nous entendions extrêmement bien et partagions de nombreuses activités depuis qu'il m'avait enseigné les sports qu'il aimait pratiquer. Il m'a appris à faire du jet-ski, du ski nautique, du ski alpin, à jouer au tennis, à manger sainement, à faire de l'exercice et, surtout, à ne plus avoir peur de me mouiller les cheveux et d'ouvrir les yeux sous l'eau ! Bon, j'exagère peut-être un peu, mais il faut reconnaître que Bruce a révélé l'athlète qui sommeillait en moi. Je suis devenue assez bonne au tennis et nous avons même organisé pendant plusieurs années notre propre tournoi de stars au bénéfice des enfants victimes d'infirmité motrice cérébrale, le Bruce et Linda Jenner Love Match.

Bruce et moi faisions régulièrement des apparitions sur les tapis rouges et nous étions perçus comme un "couple glamour". Nous consacrions également une partie de notre temps à des œuvres caritatives. Nous étions les présidents d'honneur de l'Association du diabète juvénile et soutenions régulièrement les Jeux olympiques spéciaux.

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Un jour, nous avons reçu un appel de la Maison-Blanche nous demandant si nous étions disponibles pour rencontrer le président Ronald Reagan dans le bureau ovale en tant que représentants de l'Association de diabète juvénile. J'allaitais encore Brandon et nous étions attendus le surlendemain ! Comme nous ne voulions pas rater l'occasion de rencontrer le leader du monde libre, je me suis dépêchée de faire des réserves de lait maternel, de trouver quelque chose à me mettre et de sauter dans un avion pour à Washington. Nous étions de retour à Malibu quelques heures plus tard, mais rencontrer le président des États-Unis, c'est quelque chose qui reste ! J'étais très contente de retrouver mon petit Brandon et d'avoir un souvenir intéressant à lui raconter quand il serait plus grand.

Bruce était d'un naturel athlétique, dans tout ce qu'il entreprenait. Il semblait exceller dans tous les sports. Quoi qu'il fasse, il était téméraire et incroyablement doué. Bruce était vraiment la perfection faite homme. Les hommes avaient envie de lui ressembler, de passer du temps et faire du sport avec lui. Quant aux femmes, il ne les laissait clairement pas indifférentes. Le Bruce d'alors était spontané, affable et bien dans sa peau. C'est en tout cas l'impression qu'il donnait.

Un été, Bruce et moi avons été sollicités pour participer aux représentations de Lil' Abner à Birmingham, en Alabama. Nous nous sommes dit que ça pourrait être amusant, et nous avons accepté. Bruce avait une très bonne oreille, et il aimait danser. Nous avons donc pris part aux répétitions. Nous avons évidemment emmené Brandon et il s'est beaucoup amusé à parader sur scène avec nous dans son petit costume. Nous avons eu de bonnes critiques, mais je me suis rendue compte que le théâtre était nerveusement épuisant. J'avais déjà joué dans des pièces au lycée, mais là, c'était une comédie musicale intense et très exigeante.

Bruce et moi passions notre temps à profiter de la plage, sur laquelle nous nous promenions en buvant notre café tous les matins, à faire du jet-ski et du catamaran, à jouer au tennis et à profiter l'un de l'autre. Je me disais qu'on avait une vie plutôt idyllique.

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Juste après les un an de Brandon, nous nous sommes dit que ce serait bien qu'il ait un petit frère ou une petite sœur. J'ai bientôt été enchantée d'être enceinte de mon second fils, Sam Brody Jenner, en hommage à mon frère. Brody est né le 21 août 1983.

Ce furent les années les plus heureuses de ma vie. J'avais un mari merveilleux, l'homme le plus athlétique, fougueux, dynamique, facile et viril que l'on puisse imaginer. J'étais la maman de deux ravissants petits garçons en pleine forme. J'avais deux beaux-enfants merveilleux. La vie n'aurait pas pu être plus belle. Nous avions emménagé dans une ravissante propriété d'un demi-hectare. J'y ai planté des roses, des arbres fruitiers, des fleurs et m'y suis fait mes plus beaux souvenirs.

Bruce voyageait beaucoup. Il donnait des conférences, travaillait pour NBC SportsWorld, faisait de la course automobile. Il était toujours partant pour de nouvelles activités. Je l'accompagnai souvent, toujours avec nos fils, et parfois je restais à la maison avec les garçons.

Quand Brody avait environ dix-huit mois et Brandon, trois ans et demi, Bruce est venu me voir, l'air sombre, et il m'a dit : "Il y a quelque chose dont il faut vraiment que je te parle, quelque chose sur moi que tu dois savoir." J'ai cru qu'il allait me dire qu'il avait eu une aventure. Mais ce n'était pas ce qu'il souhaitait m'avouer. Bruce m'a annoncé qu'il s'identifiait en tant que femme. Je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire. Il m'a répondu que quand il se regardait dans le miroir, il était toujours surpris de voir un corps d'homme. "J'ai passé ma vie dans le mauvais corps. Je vis un enfer et je crois que j'aimerais vraiment franchir le pas et devenir une femme, la femme que j'ai toujours été à l'intérieur."

Les gens m'ont souvent demandé : "Y a-t-il eu des signes, des indices toutes ces années qui auraient pu vous mettre la puce à l'oreille ?" Non. Pas un seul. Rien. Jamais.

Je dois préciser qu'il y a trente ans, nous étions très peu informés sur les troubles de l'identité sexuelle. En tout cas, je n'en avais pas entendu parler. Je vivais un bonheur conjugal et maternel dans mon petit cocon de Malibu, avec mon champion du monde de mari, cet homme musclé, athlétique, ravissant. Je me suis soudain retrouvée désemparée, voire désespérée. J'ai suggéré une thérapie. J'avais besoin de comprendre de quoi il souffrait réellement, puis de déterminer si c'était quelque chose que nous allions pouvoir surmonter, voire "soigner". J'étais naïve. Comme je l'ai dit, j'ignorais complètement que le transgenre n'est pas quelque chose que l'on peut surmonter, réparer, exorciser ou désintégrer à l'aide de quelque concept ésotérique. Comme l'homosexualité, ou le fait d'être grand, petit, blanc, noir, masculin, féminin, être transgenre fait partie de la condition humaine. Chacun de nous est unique et nous n'avons aucune emprise sur ce qui nous détermine. Nous sommes qui nous sommes au plus profond de notre esprit, de notre cœur, de notre identité. Il me fallait intégrer cette leçon de vie et l'appliquer à mes propres attentes, pour mon avenir et celui de ma famille.

J'ai trouvé une thérapeute spécialisée, Gertrude Hill, que nous sommes aussitôt allés consulter. C'était une femme adorable qui, très calmement et aussi doucement que possible, m'a informée et brisé le cœur en un million de morceaux. Elle m'a dit, lors de l'une de nos premières séances : "Linda, Bruce est ce qu'il est. Son identité est celle d'une femme et cela ne changera jamais. Vous devez faire un choix. Si Bruce va au bout de son changement de sexe comme il a l'intention de le faire, vous pouvez rester avec lui, ou bien divorcer et refaire votre vie." Elle nous a indiqué que 25% des transgenres se suicidaient parce qu'ils étaient extrêmement déprimés et désespérés.

À cette époque, Bruce a envisagé de se rendre à l'étranger, peut-être au Danemark, pour y subir une opération de changement de sexe, et de rentrer aux États-Unis en tant que femme. Je lui ai demandé ce qu'on allait dire aux enfants. Il pensait qu'il pourrait peut-être revenir dans leur vie sous le nom de "Tante Heather".

J'étais dévastée mais je souffrais aussi à l'idée de ce que Bruce avait dû subir tout au long de sa vie. Il est impossible, quand on se sent bien dans sa peau, d'imaginer l'emprisonnement que l'on doit ressentir d'être né dans le mauvais corps. Je sais que c'est difficile à comprendre, à se rentrer dans le crâne. J'ai eu énormément de mal à accepter que l'homme que j'avais épousé -- le beau gosse très viril, merveilleux, idéal -- n'existait plus et à adapter ma vie en conséquence. Il était toujours vivant, mais j'avais vraiment l'impression de porter le deuil de la personne que j'avais appris à connaître et à aimer.

J'ai quitté Bruce au bout de six mois de thérapie, après m'être assurée qu'il n'y avait aucun espoir de préserver notre vie de famille. Être mariée à une femme ne faisait pas partie de mon projet de vie.

J'avais tant de chagrin que je prenais le volant à toute heure du jour et de la nuit pour parcourir la Pacific Coast Highway en pleurant. Je pleurais la mort de mon mariage, de mon homme et de la vie de famille que j'avais pensé vivre jusqu'à la fin de mes jours. Mais j'éprouvais aussi beaucoup de compassion et de tristesse pour la souffrance quotidienne de Bruce. Même si sa confession avait fait l'effet d'un tremblement de terre, son combat n'avait aucune commune mesure avec le mien. Je devais à présent "être un homme" pour le soutenir dans ses décisions, prendre soin de mes fils, et continuer ma vie.

Bruce est allé voir un Dr O'Dea, qui lui a prescrit des hormones féminines. Il y a trente ans, la seule technique d'épilation définitive, c'était l'électrolyse. À ma connaissance, l'épilation laser n'existait pas. Le pauvre Bruce y a eu recours pour son visage très barbu, et pour sa poitrine. Chaque poil était parcouru d'un courant électrique atrocement douloureux. Je n'ose y penser. Bruce a commencé à avoir des seins à cause des hormones qu'on lui injectait. Ma vie, mon psychisme, ma féminité, ma sexualité s'en sont trouvés bouleversés. Je paniquais en pensant à ce j'allais bien pouvoir dire à mes enfants sur leur père olympien, et à la façon dont j'allais les élever seule. J'étais ensuite traversée de crises de chagrin, pour moi et mes enfants, mais aussi pour Bruce.

Je suis sans doute la seule femme dans l'État de Californie à avoir renoncé à une pension alimentaire. Mais quand Bruce et moi avons divorcé, c'est ce que j'ai fait. J'avais beau être triste et désemparée, Bruce l'était bien autant que moi. Le Dr Hill m'avait dit qu'un transgenre sur quatre se suicidait et je ne voulais pas que cela se produise. Bruce savait qu'il pouvait venir voir ses fils quand bon lui semblait. Brandon et Brody allaient chez lui de temps en temps, mais ils n'y ont jamais passé la nuit.

Un jour, après avoir passé un moment chez Bruce, mes garçons sont venus me voir dans la cuisine et ils m'ont dit : "Maman, on a vu papa sortir de la douche et il a des seins !" Ce jour-là, j'ai commencé à trouver des excuses pour protéger Bruce, et tenter d'expliquer ce qui arrivait à son visage. "Vous savez, les garçons, que votre père s'est entraîné très dur pour les Jeux olympiques et qu'il a développé des muscles importants, dont certains sont les pectoraux. Quand on arrête de s'entraîner et de soulever des poids, les muscles peuvent se transforment en graisse. C'est ce qui a dû se produire." J'essayais de préserver Brandon et Brody, tout en protégeant Bruce. C'était épuisant.

Je me suis mise à fréquenter David Foster, que j'ai épousé quelques années plus tard. Bruce sortait avec plusieurs femmes, même si sa transformation commençait à se voir. Il n'avait plus de poils sur le visage ni sur la poitrine, il avait des seins, s'était fait refaire le nez et enlever la pomme d'Adam. Mais il ne semblait pas encore tout à fait certain d'être prêt à s'assumer entièrement.

Si Bruce m'avait parlé de ses problèmes d'identité sexuelle au moment où nous avions entamé notre relation, je ne l'aurais pas épousé. C'est aussi simple que ça. Mais rétrospectivement, je remercie Dieu, l'univers et Bruce de ne l'avoir appris que plus tard, et qu'il ait tenu ce rôle dans ma vie. Si Bruce s'était confié à moi en 1979, ça aurait été une véritable tragédie. Je n'aurais jamais eu la joie, l'honneur et le privilège d'être la mère des deux plus beaux cadeaux qu'il m'ait été donné d'avoir, Brandon et Brody. Aussi imprévisible soit-elle, j'ai appris à faire confiance à la vie.

Je me sentais tenue de ne rien dire des troubles de l'identité sexuelle de Bruce. C'était à lui d'en parler, ou pas. Je n'en ai donc pas parlé à mes fils avant qu'ils aient respectivement 31 et 29 ans. Je voulais que Brandon et Brody aient engrangé suffisamment de connaissance, de confiance et de compassion pour être capables d'assimiler la véritable identité de leur père. Nous ne sommes pas définis par nos parents, mais c'est quelque chose qu'on n'apprend que sur le tard. J'ai essayé d'inculquer à mes enfants des valeurs d'ouverture d'esprit, de pardon, de gentillesse, de tolérance et de compassion. Ils en ont été imprégnés et se montrent remarquablement tolérants et compréhensifs à l'égard de Bruce et d'autrui.

* * * * *

Pour être tout à fait honnête, je dois avouer qu'après le mariage de Bruce et Kris, il s'est écoulé des périodes de plusieurs années sans qu'il tente de rendre visite ou de contacter ses enfants. Pas de cartes d'anniversaire ni de coups de fil, pas de "Joyeux Noël" ni de "Tout va bien?" après le tremblement de terre de Northridge. Brandon et Brody n'auront jamais ces souvenirs typiques d'une relation père-fils. Ils ont été attristés de ce manque d'implication dans leur vie et j'en ai eu mal au cœur pour eux. Quand Brandon m'a demandé : "Maman, comment est-ce que mon père peut rater ma remise de diplôme ?", je lui ai répondu "Mon chéri, ton père a peut-être été le plus grand athlète du monde, mais au niveau émotionnel, il faut que tu te le représentes en fauteuil roulant. S'il avait des jambes émotionnelles, il se lèverait et marcherait jusqu'à toi, mais ce n'est pas le cas pour le moment. Essaie simplement de le comprendre, de l'aimer et de lui pardonner." C'est une analogie qui a semblé amortir le coup à l'époque et je pense vraiment que le pardon est un don : pas pour la personne à qui l'on choisit de pardonner, mais pour soi-même. Quand nous choisissons d'éprouver du ressentiment et de la rancune envers autrui, nous nous faisons du mal. Je crois sincèrement que tout est pardonnable, à défaut d'être excusable.

Quand Brandon et Brody étaient plus grands, je leur ai révélé le problème de leur père. Je crois que le fait de savoir les a aidés à rassembler les pièces du puzzle et à comprendre certains de ses dysfonctionnements parentaux. Le moins que l'on puisse dire, c'est que j'ai moi aussi beaucoup rationalisé !

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Après avoir gardé le secret, et sachant que je l'ai protégé au cours de toutes ces années, je peux aujourd'hui respirer un peu plus librement, maintenant qu'il a trouvé la force et le courage de réaliser son rêve. Il peut enfin concrétiser son besoin d'être celle qu'il est vraiment. Cela demande un courage phénoménal et je ne peux que lui rendre hommage.

Bruce a souffert le martyre et enduré des souffrances insondables, prisonnier qu'il était de sa propre chair. Il ne nous appartient certainement pas de juger tous ceux qui peuvent se sentir pris au piège, rejetés ou isolés.

J'espère et je souhaite que l'humanité ait suffisamment évolué et soit prête à se montrer bienveillante à l'égard de ceux qui ont lutté ou que l'on perçoit comme "différents". Notre individualité et nos expériences de vie font de nous des êtres fascinants. J'aimerais que l'on soit prêt à l'accepter et que l'on se mette tous au défi de puiser au plus profond des ressources de notre cœur pour cultiver une atmosphère de compréhension, d'acceptation, de tolérance et de compassion. Nous sommes tous vulnérables.

Comme Henry James l'écrivait si sagement, les trois choses les plus importantes dans la vie, c'est :

  1. Être gentil.
  2. Être gentil.
  3. Être gentil.

Ce blogue, publié à l'origine sur Le Huffington Post États-Unis, a été traduit par Catherine Biros pour Fast for Word.

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