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6 mois après les attentats de Paris, où en sont les victimes?

Il y a 6 mois, les attentats de Paris faisaient plus de 300 blessés. Comment sont-ils pris en charge? Quelle est la nature de leurs traumatismes et comment les aider à les traiter?
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Il y a 6 mois, les attentats de Paris faisaient plus de 300 blessés. Comment sont-ils pris en charge? Quelle est la nature de leurs traumatismes et comment les aider à les traiter?

Toutes les personnes ayant été touchées par les attentats vont-elles être traumatisées?

Si personne ne sort indemne d'un événement comme celui qui a eu lieu le 13 novembre dernier à Paris, il serait cependant inexact de penser que toutes les personnes touchées de près par les attentats ont été traumatisées par cette expérience.

D'un point de vue psychologique, être traumatisé ce n'est pas juste être profondément choqué, il s'agit d'un véritable trouble plus connu sous le nom de psychotraumatisme, état de stress post-traumatique ou encore Post-traumatic stress disorder (PTSD) en anglais.

Les symptômes de ce trouble sont profondément handicapants. La personne ne cesse de revivre ce moment à l'identique, son existence s'est figée à cet instant si bien qu'il lui est dorénavant impossible d'avancer. Les images de la scène lui revenant à l'esprit à la moindre occasion, elle se voit obligée de mettre en place des stratégies pour éviter d'entrer en contact avec le moindre élément pouvant lui rappeler ce qu'elle a vécu. Regarder un film, entendre un son particulier dans la rue ou à la télévision, voir des personnes dans certaines tenues, sentir des odeurs ou ressentir des sensations en lien avec l'événement peuvent à tout moment la replonger dans une frayeur intense où elle va à nouveau avoir l'impression de mourir. Chaque instant de sa vie étant conditionné par la peur, tout devient donc extrêmement compliqué à aborder.

D'autres à l'inverse peuvent ne développer que de très légers symptômes post-traumatiques voire aucuns. En fait, la réaction à un événement traumatique est très personnelle. Face à un même événement, les victimes peuvent avoir des réactions très différentes. Certaines vont développer des symptômes persistants alors que d'autres vont se remettre très vite.

Il est important de ne pas juger la réaction de l'autre. Ces réprobations peuvent être très culpabilisantes et faire naître une détresse qui n'existait pas auparavant ou alors accentuer une souffrance déjà présente. Faire sentir à quelqu'un qu'il n'est pas normal qu'il ne souffre pas plus est aussi inconsistant que dire à quelqu'un qu'il se complaît dans sa souffrance. Avoir un tel comportement c'est grandement méconnaître la complexité de la psychologie humaine et ainsi nier la singularité de chaque personne et de chaque parcours.

Comment explique-t-on une si grande différence entre les personnes?

Ce contraste peut s'expliquer par des facteurs autant biologiques, psychologiques, sociaux que propres à l'événement lui-même.

Notre tempérament (qui est la part innée de la personnalité) va déterminer des capacités de résilience. Celles-ci vont être renforcées ou fragilisées par l'environnement dans lequel on évolue, avec une importance particulière pour les événements vécus dans l'enfance et l'adolescence. Cette interaction entre tempérament et environnement va être à l'origine des traits de personnalité, lesquels vont définir une plus ou moins grande sensibilité au stress donc aux événements traumatiques.

La nature de l'événement conditionne aussi certaines réactions. On sait par exemple que les violences perpétrées par l'homme ont souvent de plus lourdes conséquences psychologiques que les catastrophes naturelles.

Qu'est-ce qui a été ébranlé dans le psychisme au point que certaines personnes soient autant en souffrance?

Souvent il y a un avant et un après l'événement. Avant, on menait une existence tranquille, on avait le contrôle sur notre vie. On savait que des drames avaient lieu, mais on se sentait tout de même en sécurité, car on possédait l'intime conviction que cela ne pouvait arriver qu'aux autres.

Dans ce sens, des recherches ont identifié trois croyances fondamentales chez l'être humain: «les gens sont bons et bienveillants», «la vie est juste et logique», et «je suis une personne digne de valeur». Ces trois croyances en influencent une dernière encore plus fondamentale: la croyance en sa propre invulnérabilité.

La plupart des gens ont en effet tendance à considérer que le monde est un endroit où l'on vit plus d'événements positifs que négatifs, qu'il y a plus de personnes bienveillantes que malveillantes, et que les autres sont à notre image, c'est à dire des personnes de valeur. Nous avons aussi l'idée que l'on obtient ce que l'on mérite dans la vie, que les bons sont ainsi récompensés par des événements heureux et que les mauvais finiront tôt ou tard par être punis pour le mal qu'ils ont fait. Cette croyance issue de la tradition judéo-chrétienne procure un sentiment de contrôle face à la réalité, car si chacun reçoit ce qu'il mérite alors il suffit de bien se comporter pour être protégé. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'on vit des situations malheureuses, on se pose toujours la question: «Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça?».

On se sent donc en sécurité, on possède une confiance interne profonde qui nous fait sous-estimer les probabilités de vivre un événement négatif. Même l'abondance médiatique en terme de catastrophes, maladies, agressions en tout genre subies par-delà le monde, n'arrive pas à ébranler ce sentiment de sécurité. Le fait de voir ces horreurs uniquement au travers d'écrans renforce au contraire l'impression qu'elles ne sont que virtuelles, qu'elles restent extérieures à notre univers et donc n'arrivent qu'aux autres.

Ces croyances sont très importantes dans l'économie psychique, elles permettent de vivre paisiblement, de sentir que l'on est en maîtrise donc en sécurité. Elles induisent aussi que si les choses ne correspondent pas à ce qu'elles doivent être alors nous pouvons exiger réparation. Penser le monde comme un chaos, sans ordre ni signification, voudrait dire être constamment en état d'alerte, ce qui n'est pas viable sur le long terme.

L'événement traumatique vient invalider ces croyances qui conditionnent depuis toujours notre façon de voir le monde, les gens qui le constituent et notre propre personne. Tout ce qui structurait notre existence est donc soudainement mis à mal, notre univers est bouleversé, le monde devient incompréhensible et confus. Nous perdons toute confiance en la nature humaine en même temps que nous prenons conscience de notre grande vulnérabilité. Nous ne vivons plus dans un endroit sécuritaire, mais dans un monde dangereux où il peut nous arriver un malheur à tout moment.

Pour les personnes ayant développé un État de Stress post-traumatique, y a-t-il une évolution du trouble?

La plupart des personnes traumatisées passent par trois grandes phases:

La phase de crise: il s'agit de la toute première réaction, elle a lieu pendant et juste après l'événement. C'est ce qu'on appelle l'état de choc.

La phase post-traumatique: c'est la phase la plus longue et la plus douloureuse. C'est ici qu'apparaissent les symptômes post-traumatiques, lesquels sont les signes que notre système tente d'assimiler ce qu'il s'est passé.

La phase de résolution: le traumatisme commence à être intégré. La peur, la colère et la tristesse s'estompent pour laisser place à un nouvel élan vital. On montre un regain d'intérêt pour les activités et les personnes qui nous entourent, on pense moins à l'événement et lorsqu'on y pense le souvenir n'est plus aussi douloureux.

Si certaines victimes des attentats de novembre sont encore dans la phase post-traumatique, d'autres sont aujourd'hui dans la phase de résolution, voire l'ont dépassée. Ce qui caractérise cette dernière phase est la réflexion que les personnes vont avoir autour du sens à donner à cet événement.

Comment est-ce possible de donner du sens à un tel événement?

Donner du sens c'est réaliser que, malgré tout son lot de douleur, on peut sortir grandi de cette expérience. Grandir d'un traumatisme c'est se dire que cette expérience n'a pas été vécue en vain, que l'on a appris sur nous-mêmes, sur les autres, sur la vie. C'est transcender l'adversité et transformer l'horreur en un élément positif et constructif. Les personnes vont ainsi se questionner sur la finalité de ce qu'ils ont vécu, sur ce qu'ils en retirent, sur la façon d'intégrer cet événement dans leur histoire.

De telles questions auraient été impensables immédiatement après l'événement. Tout semblait tellement irréel, négatif, décourageant. Elles marquent ainsi un tournant décisif dans le processus de guérison, la victime souhaite clore quelque chose. Cela ne veut pas dire oublier, mais faire en sorte que cet événement appartienne au passé.

De plus, nous l'avons vu, l'événement traumatique vient mettre à mal des croyances profondément ancrées sur soi-même et le monde. Mettre un sens à ce qu'il s'est passé va permettre de reconstruire progressivement un système de compréhension qui permet de poursuivre sa vie et trouver une cohérence dans notre façon d'appréhender les choses. Ce n'est que comme cela que nous pourrons aspirer de nouveau à une sérénité et un bien-être.

Beaucoup de victimes voient l'événement traumatique comme une occasion de changer, d'apprendre sur soi, de remettre en question un certain mode de vie passé qui ne leur convenait pas. Sentir que la vie est fragile peut aider à reconsidérer son système de valeur et revoir ses priorités. Il peut aussi permettre de définir ce qui rendrait plus épanoui et heureux à l'avenir, d'améliorer ses relations aux autres, travailler sur certains traits de sa personnalité qui faisaient souffrir. Enfin, puiser dans la colère, la douleur, peut constituer pour certains une véritable source d'inspiration pour créer une œuvre d'art, écrire un livre, composer...

D'autres vont utiliser cette expérience pour dénoncer des violences, s'engager dans des actions humanitaires, sensibiliser la population à certains dangers ou encore créer des associations de soutien aux victimes. La détresse que l'on ressent permet en effet d'être plus sensible à celle des autres.

S'impliquer à changer les choses peut être une extraordinaire façon de transcender le traumatisme, donner sens à ce qu'il s'est passé et faire en sorte que des éléments positifs émergent de cette horreur. Mais ceci ne sera possible que s'il y a une acceptation du trauma.

Accepter ce que l'on a vécu c'est concéder que de tels drames existent et que malheureusement ils vont continuer d'exister bien que l'on trouve cela profondément injuste et horrible. C'est aussi accepter que si l'on n'a aucunement choisi de vivre cet événement, on peut cependant choisir ce que l'on va en faire maintenant, c'est donc embrasser une certaine responsabilité dans le fait de rester victime ou alors de devenir survivant.

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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