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Les gilets jaunes et l'homme oublié

Les gilets jaunes ne sont pas l'expression d'un phénomène nouveau: ils sont la plus récente manifestation d'un phénomène aussi vieux que la politique représentative même.
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Un gilet jaune pendant une manifestation à Paris, en février 2019.
Omar Havana via Getty Images
Un gilet jaune pendant une manifestation à Paris, en février 2019.

Les gilets jaunes ne sont pas l'expression d'un phénomène nouveau: ils sont la plus récente manifestation d'un phénomène aussi vieux que la politique représentative même.

Avant que le président Roosevelt ait réapproprié l'expression «l'homme oublié» pour désigner les désavantagés et les dépossédés de la crise économique des années 1930, le terme a été introduit par William Graham Sumner dans un essai de 1876 pour désigner la classe ouvrière, les contribuables dont les intérêts et les opinions sont généralement ignorés.

Utilisant une formulation algébrique, Sumner décrit une situation dans laquelle une personne A, ayant pris connaissance d'une injustice subie par un groupe X, propose à une personne B de prendre une action législative afin de venir en aide à X. Ensemble, A et B conviennent d'un nouveau projet de loi selon lequel C sera responsable de payer pour le nouveau programme social venant en aide à X - programme pour lequel C — l'homme oublié — n'a jamais été consulté.

Je le désigne l'homme oublié.... Il travaille, il vote, généralement il prie - mais toujours il paie... Tous les fardeaux retombent sur lui ou sur elle, car il est temps de se rappeler que l'homme oublié n'est pas rarement une femme. W.G. Sumner

L'éveil des gilets jaunes

Le mouvement des gilets jaunes, n'est-ce pas l'éveil de cette classe de contribuables laissée pour compte? Ceux qui fournissent l'eau au moulin avec le paiement ponctuel des taxes et l'acquittement des nombreuses obligations sociales — l'obligation de travailler, de payer ses factures, avec intérêts, de s'approvisionner en assurances, de contribuer à sa pension et de pourvoir aux besoins présents et futurs de sa famille.

Sans oublier l'obligation fondamentale de contribuer au roulement de l'économie en travaillant, toujours, mais aussi en dépensant son salaire (après impôts) sur une multitude d'objets de convoitise: logement, auto, habillement, électronique, voyages dans le sud...

Contrairement au hamster «condamné à faire tourner une roue qui accélère à l'infini»,évoqué par Karel Mayrand dans sa réflexion sur l'état de notre société de consommation (LaPresse+), l'être humain est un être sensible, intelligent et conscient de son environnement, suffisamment pour remettre en question la roue, sa course, la futilité de son effort et l'intangibilité de la destination toujours hors de sa portée, peu importe la frénésie de la course.

Notre système économique est fondé, main dans la main avec notre système de gouvernance, non pas sur l'atteinte du bonheur, mais sur sa poursuite.

L'homme et la femme oubliés sont donc soumis à un éveil individuel et collectif, un éveil provoqué par cette remise en question du système économique et gouvernemental, cette roue «qui accélère à l'infini». Car notre système économique est fondé, main dans la main avec notre système de gouvernance, non pas sur l'atteinte du bonheur, mais sur sa poursuite — une poursuite perpétuellement inassouvie et donc perpétuellement renouvelée. Celui qui cherche à identifier quelque valeur de subsistance sociale ou affective dans cette poursuite sans fin cherchera en vain.

Lasses de soutenir par leurs efforts un système sans valeurs fondamentales, mais doté d'engrenages qui se multiplient exponentiellement, les gilets jaunes réclament leur libération des engrenages du système. Ce désengagement signale un rejet de la capacité du gouvernement (français) à veiller au bien de ses citoyens.

Plus largement, le mouvement des gilets jaunes est profondément déstabilisant pour sa remise en question des fondements même de notre société corporative.

La considération de l'homme et de la femme oubliés nous force à une réévaluation de notre modèle social: de la lourdeur administrative de notre système de gouvernance, de l'équité sociale, de la pertinence de nos efforts et surtout à un questionnement à savoir à qui tout cela bénéficie.

Avec en toile de fond l'effondrement des systèmes écologiques et climatiques planétaires provoqué par notre course folle.

L'éveil de l'homme et de la femme oubliés, dans sa manifestation par le mouvement des gilets jaunes, est donc porteur d'espoir. Enfin, on remet en question les assises d'une société de consommation complaisante, on s'alarme du profond décalage qui s'est creusé «entre la société telle qu'elle est advenue et les institutions telles qu'elles sont demeurées» (Michel Serres) et on réclame la capacité d'agir.

Ce mouvement qui naît du rejet du système dans son ensemble et qui s'exprime dans la confrontation et la violence pourra bien finir par forcer une redéfinition humaniste des valeurs sociétales. Souhaitons qu'on y arrive avant que le hamster (et la planète) ne s'épuisent.

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