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L'option militaire en Syrie: ni licite, ni légitime?

L'option militaire en Syrie, si elle est bien réelle et qu'il ne s'agit pas d'un simple coup de bluff des Occidentaux, apparaît aujourd'hui comme un dérapage juridique et un pari politique périlleux.
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Pour Washington, Londres et Paris, l'emploi d'armes chimiques par les troupes loyalistes contre des civils ou des combattants rebelles imposerait une rupture dans la régulation de la crise syrienne. Cette ligne rouge, affirmée depuis des mois, aurait été franchie mercredi 21 août lors de bombardements de quartiers insurgés de Damas. On évoque en effet l'emploi de gaz neurotoxiques. Dans ces conditions, les Occidentaux s'apprêtent à une intervention militaire, même limitée à la neutralisation de centres du pouvoir en place. Est-ce bien raisonnable? Sur quel fondement, moral sinon légal, une telle entreprise pourrait-elle se raccrocher? À l'examen, cette opération extérieure apparaît contraire au droit international, discutable dans son éthique et plus qu'incertaine dans ses effets.

Sur le plan du droit, le recours aux armes chimiques est bien prohibé par un certain nombre d'instruments juridiques. Les textes récents ne semblent toutefois pas d'un grand secours. La Syrie est l'un des derniers États, avec la Corée du Nord ou Israël, à ne pas être partie à la Convention de Paris de 1993 qui condamne l'emploi de tels moyens dans un conflit armé. On ne peut donc valablement - ou au moins légalement - lui reprocher de ne pas respecter ces dispositions. Damas n'a pas non plus ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale dont l'article 8 sur les crimes de guerre interdit, sous certaines circonstances, l'utilisation de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires. En revanche, une convention plus ancienne, moins ambitieuse, pourrait se révéler utile. Il s'agit du Protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques signés à Genève en 1925 et dont la France est le dépositaire. La Syrie a bien accepté ce texte.

Encore faudrait-il établir que de telles armes chimiques ont été utilisées, que leur recours est imputable au pouvoir en place et que l'on se trouve bien en présence d'une guerre. À défaut, on pourrait finalement s'interroger sur l'existence d'une règle coutumière qui interdirait le recours à l'arme chimique et qui serait opposable à la Syrie. Mais l'ensemble demeure plus qu'incertain et impose la prudence à celui qui qualifie d'illégaux les comportements en cause. En toute hypothèse, aucune de ces normes juridiques n'autorise une intervention armée contre les États qui manqueraient à leurs obligations. Les seuls usages licites de la force autres que la légitime défense - ici inopérante - sont les habilitations du Conseil de sécurité. Or, on le sait, il n'y a pas d'accord entre les 15 membres du Conseil, particulièrement entre ses cinq membres permanents. La Russie ou la Chine ne manqueront pas d'exercer leur droit de veto à tout projet de résolution autorisant une intervention militaire en Syrie. En conséquence, la "communauté internationale" - l'OTAN ?, une coalition ad hoc autour des États-Unis ? - s'apprête à de nouveau bombarder un État souverain en dehors de tout cadre légal, comme elle l'avait fait au Kosovo en 1999 ou en Iraq en 2003, avec des résultats pour le moins mitigés.

Sur le plan de la morale, recourir à des armes de destruction massive (l'arme chimique, nucléaire ou biologique) contre sa propre population suscite une indignation parfaitement compréhensible. On ne peut toutefois ignorer l'étrange sélectivité de la réaction des puissances occidentales. Invoquer la "responsabilité de protéger", ce concept récent qui plaide pour une intervention lorsqu'un prince massacre ses sujets, apparaît ici malvenu. Ce nouveau devoir d'ingérence est à géométrie variable. Totalement ignoré dans d'autres crises, comme au Sri Lanka en 2009, il fut opportunément invoqué pour justifier des ingérences judiciaires et sécuritaires en Libye en 2011. Surtout, le volet militaire ne peut être mis en œuvre qu'en dernier recours, toujours sous les auspices du Conseil de sécurité.

En l'espèce, il est pour le moins surprenant que la passivité cède subitement à l'intervention militaire, sans que d'autres voies (enquête, bons offices ou médiation, sanctions financières, saisine de la Cour pénale internationale, etc.) n'aient été pleinement expérimentées. Alors que la mission d'enquête de l'ONU dirigée par le suédois Ake Sellström n'a pas même achevé ses travaux, les puissances occidentales n'hésitent pourtant nullement à afficher leurs certitudes et leur envie d'en découdre. Il y a dix ans, on se souvient des pressions exercées sur Hans Blix, alors directeur de la mission d'inspection en Iraq, pour qu'il conclue lui aussi dans le sens des faucons. Pourquoi un tel empressement ? L'emploi des armes chimiques constituerait-il en soi un casus belli qui motiverait une réaction immédiate ? Depuis des mois, les fidèles du régime se rendent responsables d'attaques indiscriminées autrement plus meurtrières que celle qui suscite une telle réprobation aujourd'hui. En quoi l'arme chimique justifie-t-elle une envie soudaine d'agression extérieure ? Ceux qui jouent les vierges effarouchées ont d'ailleurs la mémoire courte. Plusieurs documents déclassifiés de la CIA montrent, par exemple, que les États-Unis savaient et acceptaient que Saddam Hussein - alors un de leurs alliés - puisse avoir recours à des armes chimiques dans la guerre Iraq-Iran. Finalement, à moins de vouloir faire un exemple dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, une intervention en Syrie devrait se fonder sur la situation humanitaire sur place et non sur un prétendu usage d'arme chimique.

S'agissant enfin des effets d'une telle intervention, il faut le répéter, la Syrie n'est pas la Libye. La justesse d'une opération militaire ne dépend pas seulement de sa cause. On ne peut ignorer les conséquences d'une telle aventure, a fortiori lorsqu'on sait parfaitement qu'une intervention au sol est exclue, bourbier oblige, et qu'il faudra se contenter de bombardements de lignes de front urbaines obscures pour espérer fragiliser le pouvoir et garantir une zone d'exclusion aérienne. Nécessaire, mais risqué - bavures garanties - et certainement pas suffisant pour faire tomber le régime et assurer la transition. Bachar Al-Assad dispose d'une assise populaire et communautaire infiniment supérieure à celles dont bénéficiait le colonel Kadhafi. Par ailleurs, l'environnement syrien est une poudrière, il suffit de mentionner les attentats au Liban pour s'en convaincre. Enfin, l'opposition est divisée et le Front Al-Nosra, affilié à al-Qaida, gagne en puissance et ne vaut assurément pas mieux que le régime syrien. Bref, l'option militaire en Syrie, si elle est bien réelle et qu'il ne s'agit pas d'un simple coup de bluff des Occidentaux, apparaît aujourd'hui comme un dérapage juridique et un pari politique périlleux.

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