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Journal d'un francophone à Toronto

Presque tout employé de TFO vit un rapport particulier avec la langue. Mon caméraman d'Ottawa subissait des railleries dans son école francophone parce qu'il parlait français. Un animateur musical de Sudbury se forge, à coup de connaissances encyclopédiques sur la question, une identité de polémiste de la communauté francophone en Ontario. Les accents, de tous les coins du Canada et de l'Europe, révèlent en surface des histoires bien complexes avec la maîtresse fragile et capricieuse qu'est la langue française.
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CP

Dans ma dernière chronique, j'expliquais comment les phrases que je prononçais révélaient les détails significatifs de ma nouvelle existence torontoise. La question posée plus haut, à savoir comment la métropole ontarienne me traite, me provient d'amis bienveillants, intéressés à mon sort, qui veulent savoir comment je tire mon épingle du jeu dans la ville Reine.

Mes répliques sont vagues et évasives. La vérité, c'est que je ne sais pas. La vérité, c'est que j'ai peur de perdre des fins de semaines possiblement importantes dans mon nouvel appartement, qui a presque tout ce qu'il faut sauf une table et une identité. La semaine, je me consacre à mon travail, et j'essaie d'absorber Toronto, comme un poète tenterait de faire une grosse inspiration devant la mer, mais qui aurait perdu le sens de l'odorat.

J'observe les torontois le matin, ou tôt dans l'après-midi, le verre de café dans la main, comme une extension biologique de leurs bras. Je me demande si j'ai l'air plus crédible avec un café dans la main. Je me demande pourquoi les gens font une file de cinq à dix minutes au Tim Horton's de mon immeuble tandis qu'un autre café, au bas des escaliers quelques mètres plus bas, sert ses clients un à la fois dans la plus grande tranquilité.

À Toronto je me pose des questions cafféinées.

Et il y a mes collègues de travail, certains avec qui je prends des verres le soir. J'ai appris qu'il suffit de rester un peu de temps après les heures officielles pour se faire inviter, de façon bien informelle, à un verre entre amis. Et c'est là que je découvre la beauté de TFO: ses employés.

Presque tout employé de TFO vit un rapport particulier avec la langue. Mon caméraman d'Ottawa subissait des railleries dans son école francophone parce qu'il parlait français. Un animateur musical de Sudbury se forge, à coup de connaissances encyclopédiques sur la question, une identité de polémiste de la communauté francophone en Ontario. Les accents, de tous les coins du Canada et de l'Europe, révèlent en surface des histoires bien complexes avec la maîtresse fragile et capricieuse qu'est la langue française.

En parlant de cette maîtresse, j'ai l'impression que chacun d'entre nous a reçu un appel de celle-ci, au plein milieu de la nuit, nous disant que si on ne s'occupait pas davantage d'elle, elle allait faire une bêtise.

Le français. Mon impression québécoise me faisait croire que la Belle Province était le quartier général de la langue de Molière. Cette centralisation, ici, semble illusoire. Plutôt, le français a l'air d'être répandu ici et là, sans centre définitif, comme une multitude de cellules terroristes plutôt qu'un état voyou clairement identifiable (si je peux me permettre une telle métaphore inappropriée). Vivant mais fragile, et évitant toute parenté territoriale absolue.

Je me rappelle, lors de mon voyage au Maroc, que mon groupe cherchait des juifs dans les villes que nous visitions. Les seuls qu'on pouvait trouver, c'était nous. Le torontois francophone me donne l'impression de jouer au même jeu.

Un francophone torontois, c'est une meta-minorité.

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