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Spiritualité et jeux vidéo

Au-delà des batailles épiques et des combats contre des monstres se terminant par des gains ou des pertes de trésors ou de secrets, les jeux vidéo peuvent-ils nous apporter quelque chose en termes de spiritualité?
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Dans les jeux vidéo en ligne, chaque joueur est représenté par un avatar. Il lui permet d'interagir avec les autres utilisateurs et leur commun environnement. Cet avatar dispose d'un mana : ce pouvoir d'influence permet de lancer des sorts ou de mener toute autre action compatible avec l'univers virtuel dans lequel le joueur évolue. Or ce mana, conformément à la culture polynésienne qui lui a donné son nom, est d'essence spirituelle. Il diffère de la force vitale (les « points de vie ») reçue lors de l'entrée dans le jeu.

Chaque joueur est donc dans une situation analogue à celle d'Abraham qui, selon Augustin d'Hippone, aurait reçu de Jéhovah une Grâce agissante, grâce qui continue à descendre sur chaque chrétien depuis la Passion du Christ. Or, deux chercheurs hébraïsants, Messod et Roger Sabbah, proposent une toute autre explication quant à l'origine de cette Alliance. Elle n'aurait pas été signée par Abraham pour la bonne et simple raison que celui-ci n'a jamais existé. Il ne serait que le double mythique du pharaon Akhénaton qui fut le premier à découvrir la structure monothéiste du Divin.

Quel que puisse être le sort que la communauté scientifique réservera à cette thèse, force est de constater que ses conclusions rejoignent celles de Simone Weil. Cette philosophe chrétienne écrit que les Hébreux d'avant Moïse « ne connaissaient de Dieu que l'attribut de puissance, et non le Bien qui est Dieu même ». Or « connaître la divinité seulement comme puissance et non comme Bien, c'est (de) l'idolâtrie et peu importe alors qu'on ait un Dieu ou plusieurs ». D'où le « silence si mystérieux d'Hérodote concernant Israël : /.../ Israël était un objet de scandale pour les Anciens à cause de ce refus des connaissances égyptiennes concernant la médiation et la passion divines » (Simone Weil, Israël et les Gentils, Écrits de Marseille, octobre 1940 - mai 1942).

La pratique des jeux vidéo permettrait-elle de retrouver la médiation perdue?

Un détour par l'histoire des idées

L'Occident a été traversé, du XIIe au XIVe siècle, par vaste débat : la « Querelle des Universaux ». Il a permis de forger les catégories à partir desquelles nous pensons la complexité.

Elle ne peut être réduite qu'en répondant à une question préalable : les « universaux » (les « concepts ») par lesquels nous mettons de l'ordre dans l'Univers proviennent-ils de l'invention de nouveaux noms créés à cet effet comme le pensent les Nominalistes ou de la découverte d'une structure cachée au sein des choses comme le pensent les Réalistes (de res, rerum, les choses).

Simone Weil adopte ce second point de vue dès l'âge de 14 ans. Il lui permettra d'écrire qu'à partir du moment où la vérité devient accessible au plus grand nombre (ce qu'autorise aujourd'hui les applications de la révolution numérique), « n'importe quel être humain, même si ses facultés naturelles sont presque nulles, pénètre dans ce royaume de la vérité réservée au génie, si seulement il désire la vérité et fait perpétuellement un effort d'attention pour l'atteindre » (Simone Weil, Lettre au Père Joseph-Marie Perrin, 15 mai 1942, Attente de Dieu, p. 39).

N'est-ce pas ce que font, à leur manière, les joueurs en ligne en découvrant les règles cachées de l'univers virtuel dans lequel ils viennent d'entrer? Ils comprennent très vite qu'ils doivent faire preuve de détachement par rapport à leur volonté de ne perdre à aucun prix sous peine d'être immédiatement game over. Ils s'aperçoivent surtout que leurs gestes deviennent plus souples et plus efficaces au fur et à mesure que leur esprit se détache de toute contingence matérielle.

Ils sont donc dans une situation analogue à celle décrite par Ignace de Loyola dans ses Exercices spirituels. Devenus bénéficiaires d'un mana qui descend sur eux, ils n'inventent pas mais découvrent les règles du monde dans lequel ils évoluent. Simone Weil explique qu'il n'en est pas autrement dans le monde réel : Dieu, après l'avoir créé, s'en est retiré. Il a laissé à ses créatures le soin d'en découvrir la structure.

La science et la Foi

Le processus de cette découverte ressemble donc, formellement parlant, à celui mis en œuvre par les joueurs au début des jeux vidéo et c'est la raison pour laquelle ces applications de la révolution numérique créent les conditions d'un retour à la Foi chrétienne.

À une condition cependant : que ses dépositaires officiels et patentés reviennent à la symbolique de la géométrie et du nombre reçue des Grecs en lieu et place de la froide logique de l'Imperium transmise par les Romains. Comme l'écrit Simone Weil, « L'origine de notre civilisation est grecque. Nous n'avons reçu des Latins que la notion d'État, et l'usage que nous en faisons donne à penser que c'est un mauvais héritage ».

N'est-ce pas ce que font aujourd'hui les joueurs en ligne? En recevant un mana au prorata des mérites dont ils font preuve dans leur découverte des règles d'un jeu, ils renouent, sans le savoir, avec le pythagorisme qui fut une pensée de la médiation s'exprimant par la proportion.

Là encore, Simone Weil aide à comprendre cette ruse surprenante de l'Histoire. L'auteur de La Pesanteur et de la Grâce montre que les mathématiques, sans lesquelles les jeux vidéo n'auraient pu être créés, se sont confondues, dès leur origine, avec la volonté de comprendre ce qu'est Dieu. Pythagore, par exemple, fut le premier à découvrir le sens ésotérique que recèlent les nombres et Platon, quant à lui, fit graver à l'entrée de l'Académie l'inscription fameuse « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre ».

Les jeux vidéos, en s'appuyant sur le mana des sociétés polynésiennes, renouent avec cette tradition mystique.

Apparemment, il ne s'agit que de batailles épiques, de combats contre des monstres se terminant, invariablement, par des gains ou des pertes en termes de possession de trésors ou de secrets... Mais en réalité, ces situations ludiques renvoient à celle du cherchant qui creuse inlassablement dans son monde intérieur. Il doit, lui aussi, assumer des luttes, se confronter avec des puissances négatives ou positives et lutter pour conquérir un trésor de valeur infinie.

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