Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Sanctions économiques: l'argent est-il le nerf de la paix?

À chaque nouvelle crise, les mêmes rengaines. Frapper les «États-voyous» au porte-monnaie comme arme diplomatique ultime. Et tant pis si la méthode a montré ses limites.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

À chaque nouvelle crise internationale, les mêmes rengaines qui reviennent de la part des dirigeants occidentaux. Frapper les « États-Voyous » au porte-monnaie comme arme diplomatique ultime. Et tant pis si la méthode montre depuis des années ses limites et que les effets pervers des sanctions économiques sont bien plus nombreux que leurs avantages.

Il aura fallu plus de 50 ans aux États-Unis pour comprendre que l'embargo sur Cuba n'avait pas fait avancer d'un iota leurs visées stratégiques. Le pouvoir des Castro n'a jamais vacillé et c'est bel et bien le peuple cubain qui a porté seul sur ses épaules le poids des privations et des humiliations.

Les bravades de Washington aujourd'hui contre Moscou ou Pyongyang (quelles que soient les responsabilités des gouvernants de ces pays) seront vraisemblablement vouées aux mêmes échecs : des populations civiles touchées de plein fouet tandis que les élites profiteront de l'aubaine pour réaffirmer leur autorité.

En 1983, je me suis entretenu à Beyrouth avec Yasser Arafat, qui dirigeait l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) depuis le Liban. À ma grande surprise, il m'a encouragé à lancer mes affaires (j'étais alors un jeune négociant en céréales) en Afrique du Sud et s'est emporté contre « l'erreur des sanctions économiques » qui frappaient le pays de l'Apartheid.

Avec des mots très durs, il a reconnu que l'OLP avait fait une erreur historique en réclamant le boycottage d'Israël. « Nous nous sommes coupés de possibilités d'échanges et donc de dialogues », a-t-il regretté. « Le commerce et les affaires sont des vecteurs cruciaux pour éliminer les tensions et pour dégager l'horizon politique. Isoler un pays, c'est l'enfermer dans une voie sans issue. Il ne faudrait pas répéter cette erreur en Afrique du Sud. »

Des paroles qui résonnent avec beaucoup de forces à l'heure où l'Occident cherche à étrangler l'économie russe pour faire plier Vladimir Poutine sur le dossier ukrainien. Mais en ne lui offrant d'autre échappatoire que l'humiliation, il y a fort à parier que le président russe continue de faire le choix de l'escalade et de l'affrontement.

A contrario l'exemple cubain pourrait démontrer dans les mois à venir qu'une situation nécrosée depuis un demi-siècle peut se résoudre par le dialogue et le respect mutuel. Le peuple cubain s'en félicite déjà.

Mais des intermédiaires sont nécessaires pour débloquer ces impasses diplomatiques

Un rôle de l'ombre joué, dit-on par le Vatican, dans le rapprochement entre Washington et la Havane. En tant qu'homme d'affaires implanté en Afrique du Sud dans les années 1980, j'ai rempli (avec d'autres) cette mission de facilitateur pour trouver une sortie par le haut au scandale de l'Apartheid.

Avec en tête les recommandations de Yasser Arafat, je me suis investi en Afrique du Sud pour changer le système de l'intérieur, avec le concours d'autres hommes d'affaires cherchant la transformation plutôt que la destruction d'un régime discriminatoire. C'est ainsi que j'ai pu monter, en septembre 1987, le premier échange de prisonniers de guerre à grande échelle entre le pays de l'apartheid et ses voisins, les « États de la ligne de front ».

Mon statut de homo economicus, peu susceptible de succomber à l'inféodation idéologique, m'a valu la confiance des tous les gouvernements en Afrique australe qui se faisaient la guerre et ne se parlaient pas. Aucun d'entre eux ne me soupçonnait de parti pris. J'étais crédible comme honnête courtier précisément parce que, outre l'idéal de paix, ma motivation était limpide : sauf les marchands d'armes, personne ne fait de bonnes affaires sur un champ de bataille.

On connaît la suite. J'ai œuvré en coulisses pour que les dirigeants d'Afrique australe signent un accord de paix régionale, ce qui fut fait en décembre 1988 à Brazzaville. Quatorze mois plus tard, Nelson Mandela a quitté sa cellule la tête haute, en homme libre. L'ouverture de négociations internes, en Afrique du Sud, a été le corollaire de la paix conclue avec les pays voisins.

Je note au passage que l'ANC, le parti de Mandela longtemps banni et exilé, avait d'abord entamé le dialogue avec des hommes d'affaires sud-africains, dès 1986 à Lusaka. Si l'organisation anti-apartheid a cherché à les rallier en priorité à la cause de la paix, il doit bien y avoir une raison. Je ne vois que celle plaidée par Arafat : les hommes d'affaires sont des « vecteurs cruciaux pour éliminer les tensions et pour dégager l'horizon politique ».

Il y a, notamment en France, un déni de paternité en ce qui concerne la paix. De tout temps, des hommes d'affaires ont joué un rôle-clé pour réconcilier des belligérants mais leur contribution n'est pas reconnue. Bien au contraire, toute médiation par le truchement du business est tenue en suspicion. Comment des « chasseurs de profit » sauraient-ils se mettre au service d'une noble cause sans arrière-pensées mercantiles ? Ne sont-ils pas trop « intéressés » pour œuvrer en faveur de la paix, le plus précieux bien public du monde ?

Il est temps d'en finir avec ce procès d'intention, qui mêle la haine du riche à une conception niaise de l'intérêt et de la pureté d'âme. Outre leur goût du concret et leurs relations souvent au plus haut niveau, c'est justement le grand atout des hommes d'affaires internationaux que d'avoir intérêt à ce que le monde vive en paix - pour leur business mais pas seulement. Nul n'a le monopole du cœur et les intérêts d'autres faiseurs de paix ne sont pas forcément plus altruistes.

Les hommes d'affaires ne sont pas, par définition, des hommes de paix. Comme d'autres acteurs, ils peuvent se tromper voire se compromettre. Mais on a tort de vouloir entourer leur action d'un cordon sanitaire et de les repousser dans l'ombre, la marge obscure où ils n'ont pas de comptes à rendre. Ne vaudrait-il pas mieux reconnaître les services qu'ils ont déjà rendus à la cause la paix et les encourager ainsi à s'engager davantage ? C'est en tout cas le parti que je prends en travaillant pour la Fondation de Brazzaville. Oui, toute ma vie j'ai fait du business. Mais j'ai aussi fait de la paix mon affaire. Je le ferai désormais plus que jamais.

Jean-Yves Ollivier, un homme d'affaires français engagé depuis 40 ans dans des médiations de paix en Afrique, est le President de la Fondation de Brazzaville pour la PAIX ET la conservation - brazzavillefoundation.org

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

U.S. Sanctions

History Of U.S. Sanctions Vs. Iran

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.