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Pourquoi je suis un enseignant de moins en moins engagé et bien démoralisé

À l'âge de 50 ans et presque 2 mois, après 22 ans et 4 mois d'enseignement, voici où j'en suis.
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À l'âge de 50 ans et presque 2 mois, après 22 ans et 4 mois d'enseignement, voici où j'en suis.

La dévalorisation de ma profession est au cœur des coupures irréalistes et inhumaines que le gouvernement s'apprête à faire. Mon employeur fait la démonstration que, lui-même, n'a aucune connaissance, ni reconnaissance, ni respect pour le rêve de carrière que j'ai choisi: la profession d'enseignant.

Toutes ces mesures annoncées sont reçues comme un coup de masse sur la tête. On en fait déjà trop. Un prof travaille entre 45-55 heures semaines et est payé pour 32. Il y en a qui en travaillent 60. On le fait sans se plaindre parce qu'on aime notre travail et parce qu'on croit au développement du potentiel de nos jeunes.

Un employé de n'importe quelle entreprise ne travaillerait pas une seule heure sans salaire. Il ferait rire de lui. Un prof non. Non, parce qu'il travaille avec des enfants ou des adolescents et on dira que c'est normal pour lui de donner du temps. « Les profs ont la vocation », diront-ils.

En faire autant après l'annonce de ces mesures, je n'en ai plus envie, ni la motivation. J'ai le sentiment qu'on se moque de mon travail, qu'on se moque de moi. Je me sens bafoué, humilié, ridiculisé et maltraité.

J'ai envie de me limiter à ces 32 heures payées. Je pourrais dès maintenant arrêter après 35h hebdomadaires, je les fais déjà. Ma vie scolaire et celle de mes élèves vont être plates parce que j'aurai un trop grand nombre d'élèves en difficultés en tête. L'inquiétude de manquer à pouvoir prendre soin du développement de chacun d'eux, l'inquiétude de leurs échecs m'accompagnera partout, davantage que maintenant.

Le stress de ne pas arriver financièrement, combiné au stress de la responsabilité scolaire accentuée et au sentiment de me sentir rabaissé nuiront à ma concentration au travail.

Je ne me sentirai pas respecté, ni encouragé à contribuer à former les adultes de demain. Je me contenterai de leur enseigner les matières qui sont dans ma tâche. Je n'aurai pas le choix de toute façon.

Une fois que mes 35 heures payées seront accomplies, je n'aurai pas le temps de corriger les extras. Je donnerai donc moins de travaux individuels et moins d'examens à mes élèves pour pouvoir faire autre chose de mes soirées et de mes matinées de weekend. Ils feront des travaux d'équipe et s'autocorrigeront. D'ailleurs, c'est ce que préconisait la Réforme. Je me contenterai de suivre le programme, la méthode.

Faire la différence dans une classe demande du temps d'organisation, de planification. Je ne ferai plus de recherches pour planifier des projets différents. Je ne créerai plus de matériel didactique pour les besoins particuliers de mes élèves, de mon groupe.

Je n'organiserai ni ne ferai plus de sorties scolaires. En 35 heures, impossible de prendre le temps d'organiser une sortie. D'ailleurs, le temps de pause, de dîner et de retour à l'école après les heures de classe que je passe avec mes élèves en sortie, n'est pas reconnu. C'est du bénévolat. Parfois, une sortie provoque un temps de 2 heures supplémentaires effectuées qui n'est jamais rémunéré. Le MELS souhaite par contre que j'organise des sorties éducatives.

Je n'organiserai plus d'activités parascolaires tels des ateliers de jeux ou des dîners avec mes élèves.

Je ne participerai plus à aucun comité de vie étudiante. Ces comités auxquels j'ai toujours participé se réalisent sur une base volontaire et ils se font aussi en bénévolat.

Je ne participerai plus aux soirées-bénéfices, aux soirées de levées de fonds pour aider à l'amélioration de la cour de mon école.

Je ne prendrai plus le temps de planter des arbres sur la propriété de mon école. La CS la trouve correcte la cour de mon école, car elle n'a aucun plan d'action pour l'améliorer et la verdir. Ce sont les profs qui se mobilisent pour changer et améliorer le quotidien de leurs élèves. Ce sont les profs qui ne peuvent plus de les voir crever sur les taches d'asphalte désagrégées sans arbres et sans infrastructures adaptées à la vie d'aujourd'hui.

Je n'accueillerai plus de stagiaires dans ma classe. J'ai eu le privilège d'en accompagner 14 jusqu'à maintenant, tout aussi rayonnantes, professionnelles, dévouées et engagées les unes que les autres. Je n'aurais plus la force, ni le courage de les encourager dans cette voie que j'ai moi-même choisie. Je manquerais d'intégrité envers moi-même et d'honnêteté à leur égard.

Tout ce que j'ai énuméré ci-haut ne représente que des parties de mon quotidien au travail. D'autres profs énuméreraient certaines mêmes activités étudiantes et d'autres différentes qu'ils vivent en fonction de leurs talents et de leurs intérêts placés au service de leurs élèves.

Je rappelle qu'en ce moment, nous sommes payés pour 32 heures, mais, qu'en réalité, nous en travaillons 50 en moyenne. Quiconque a un prof dans sa famille ou qui en connaît un ou qui vit avec un prof vous le confirmera.

Mon temps de travail n'est pas reconnu. Ce bon gouvernement veut m'obliger à 35 heures de travail sans me donner un sou pour les trois heures qu'il m'oblige à effectuer. J'aurais été heureux et fier qu'il me reconnaisse ces trois heures de plus en salaire. J'en aurais espéré cinq, car il sait que ces heures, je les travaille déjà et bien au-delà, mais ce n'est pas le constat qu'il fait. Il regarde aveuglément et volontairement la situation à l'envers et tout le monde de l'éducation y perdra. Je m'interroge, mais je ne comprends pas les motivations réelles du gouvernement à mépriser de la sorte les enseignants et l'école publique en général.

En nous obligeant à travailler officiellement trois heures de plus, ce qui amène une diminution salariale, il en résultera que je couperai dans les 10-15 heures de plus que je travaille. Ce sera une question de santé, de dignité.

L'engagement et l'ardeur que je mets à mon travail viennent de prendre une débarque. Ce bon gouvernement me fait réaliser que j'en fais déjà trop. Je fais rire de moi. Je vais dorénavant me restreindre à ma tâche d'enseignant uniquement.

C'est très dommage. C'est dommage pour tous, pour moi y compris. On arrive vite à 35 heures. Malheureusement, je ne suis pas reconnu pour ma contribution à la vie scolaire que j'apporte depuis déjà 22 ans à mes élèves et à mon école. Il est inutile que je continue de m'investir autant pour être payé une seule heure sur presque deux travaillées. Personne ne le ferait.

On m'en demande encore plus, on va surpeupler ma classe, on ne va pas prendre en compte les difficultés graves de certains élèves dans la création de mon groupe, on va diluer mon salaire et ensuite le geler, on va augmenter mon âge d'accessibilité à la retraite, on va aussi diluer ce montant sur 8 ans au lieu de 5 comme c'est le cas actuellement.

J'ai aussi des obligations financières même si « j'ai la vocation ». J'ai aussi une santé et une qualité de vie à préserver.

Je me sens triste pour les jeunes et futurs profs de la relève. L'enseignement est le plus beau métier du monde. Cependant, aucun métier ne mérite de se réaliser dans des conditions minables, irrespectueuses, dévalorisées et dévalorisantes.

Quatre années d'université ne valent pas autant d'endettement, de misère et de mépris. Aussi bien faire son droit ou devenir chauffeur d'autobus à la STM.

Après quatre années d'université, l'avocat a une renommée et il gagne sa vie de façon honorable. Après un secondaire V, un chauffeur d'autobus gagne plus qu'un jeune prof... avec une épargne de 6 années d'études en moins qu'un prof. «C'est qui l'cave», dirait Marteau.

Un prof de moins en moins engagé, bien démoralisé qui se sent dévalorisé, abusé et qui est pas mal colère.

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