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Lettre ouverte aux personnes qui dirigent des femmes

Tu sais probablement à qui je fais référence. Cette analyste, graphiste, rédactrice, ingénieure, entrée dans la boîte il y a seulement un an ou deux et qui est déjà sous-payée par rapport au travail qu'elle accomplit.
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Cher manager,

Il faut qu'on parle d'elle. Tu sais probablement à qui je fais référence. Cette analyste, graphiste, rédactrice, ingénieure, entrée dans la boîte il y a seulement un an ou deux et qui est déjà sous-payée par rapport au travail qu'elle accomplit. Peut-être ne l'as-tu même pas remarquée, parce qu'elle fait partie des personnes sur qui on peut compter, qui font toujours les choses en temps et en heure, pour moins cher que prévu, sans en faire tout un plat.

Pourtant, malgré sa contribution exceptionnelle, tu ne lui as accordé ni avancement ni augmentation de salaire. Ce n'est pas équitable, et tu le sais.

Tu te dis peut-être qu'elle n'a pas encore assez d'ancienneté, qu'elle doit améliorer ses qualités relationnelles et mieux s'intégrer aux équipes, ou qu'elle n'a pas suffisamment d'expérience. Mais tout ceci s'appliquait aussi à ses confrères masculins les plus doués, qui ont rapidement grimpé les échelons de ta société. Bizarrement, on ne leur a jamais répondu qu'il fallait "attendre trois ans pour espérer une évolution de poste" ou que "machin le prendrait mal si je t'augmente toi, mais pas lui".

Pourtant, malgré sa contribution exceptionnelle, tu ne lui as accordé ni avancement ni augmentation de salaire. Ce n'est pas équitable, et tu le sais.

Tu tiens des grands discours sur la nécessité d'encadrer les nouvelles recrues et de leur offrir des opportunités de carrière, mais, concrètement, tu lui donnes les missions les moins prestigieuses, des "la prochaine fois, peut-être" quand elle demande à évoluer ou à obtenir une augmentation, et tu prends les décisions importantes sans elle parce que c'est plus simple et que tu penses qu'elle n'osera pas trop se plaindre.

Tu te dis peut-être même que ça marche, parce qu'elle répond "OK" et qu'elle fait du super travail. Mais tu crois vraiment qu'elle ne ressent aucune amertume à cet instant-là? Une déception de plus à supporter en silence, tout comme elle serre les dents face aux commentaires graveleux, aux plaisanteries obscènes et aux gestes déplacés, quotidien obligé d'une bosseuse hypercompétente dans une entreprise où les femmes sont consignées à des postes subalternes?

Ne la prends pas pour une débile. Elle suit des cours du soir, qu'elle finance parfois avec l'aide de l'entreprise, mais souvent de sa poche. Elle travaille sur d'autres projets qui lui permettent d'acquérir de nouvelles compétences et d'apprendre à diriger une équipe, parce que hors de ces murs personne ne peut lui mettre de bâtons dans les roues. Elle réseaute, elle sait combien sont payées ses collègues ailleurs, et elle a réfléchi à ce qu'elle ferait si elle gagnait 20, 30 ou 50% de plus.

Il n'est pas trop tard. Tu peux encore changer d'attitude. Mais il faudra faire vite. Soutiens-la dans ses décisions, surtout quand elles sont judicieuses, mais impopulaires. Présente-la aux instances dirigeantes de l'entreprise et valorise son travail. Confie-lui quelque chose de compliqué, et donne-lui les moyens de réussir. Montre-lui comment s'améliorer la prochaine fois qu'elle fera une erreur, au lieu de lui montrer ton agacement. Et paie-la ce qu'elle vaut, avec un intitulé de poste en adéquation avec ce qu'elle fait. Après tout, elle a accompli davantage en six mois que certains membres de ton équipe en six ans.

Fais cela, et elle te respectera et continuera à se montrer exceptionnellement productive. Son implication et son inventivité feront des merveilles pour ton produit, ton équipe et tes indicateurs clés de performances. Résultat: ton patron et tes clients te prendront pour un super manager.

"Le sexisme au travail ne se réduit pas au harcèlement pur et dur. Il s'exprime dans le fait de ne pas tenir compte (...) de la contribution des femmes (...) ou de compliquer les choses quand elles souhaitent obtenir une augmentation de salaire ou une évolution de poste."

Si tu choisis de ne rien faire, en revanche, elle partira. Probablement après s'être assuré de la bonne mise en place d'un gros projet, parce qu'elle est professionnelle jusqu'au bout des ongles. Elle obtiendra un meilleur poste ailleurs, en espérant que son manager sera capable de percevoir ce qu'elle peut apporter. De ton côté, tu devras recruter un-e remplaçant-e. Tu te rendras compte qu'elle faisait le travail de trois personnes, et tu passeras six mois à recevoir des candidats, en espérant trouver quelqu'un d'aussi doué qu'elle, mais tu te rendras compte qu'aucun n'acceptera d'être payé ce que tu la payais. Même quand tu auras choisi la personne qui lui succèdera (ou les personnes), tu devras quand même passer des mois à la former. Avec un peu de chance, le nouveau venu fera aussi bien qu'elle.

Mais on n'en est pas encore là. Tu peux encore modifier le cours des choses. Alors fais ce que tu as à faire.

***

Epilogue

D'abord, j'aimerais remercier ces femmes extraordinaires:

Allison Esposito, l'impressionnante fondatrice de Hire Tech Ladies

Belinda Chiang, avec qui j'ai étudié à Stanford, qui a fait de l'investissement à impact social au Cambodge, du conseil pour les startups chez Techstars, et qui est aujourd'hui chef de produit chez Hightower

Chevon Drew, une ex-collègue de Percolate, directrice de la communication numérique chez RaceForward

Sarah Allen, une ex-collègue de la Presidential Innovation Fellowship, serial entrepreneuse et chef d'équipe chez Google.

Elles ont pris le temps de faire des remarques constructives qui m'ont aidé à améliorer cet article. J'ai énormément de respect pour elles, et j'espère que vous aurez la chance de travailler avec, ou pour, elles un jour.

Cette lettre destinée aux cadres masculins et féminins s'inspire des obstacles qu'ont dû surmonter de nombreuses femmes de talent. Ces femmes ambitieuses font des choses extraordinaires, souvent mieux que leurs collègues masculins, sans obtenir la reconnaissance, le salaire, ni les opportunités qu'elles méritent. Ces problèmes sont souvent plus prononcés chez les femmes issues des minorités ethniques. Le sexisme au travail ne se réduit pas au harcèlement pur et dur. Il s'exprime dans le fait de ne pas tenir compte des idées et de la contribution des femmes, de dire qu'une collègue est "un peu agressive" ou de compliquer les choses quand elles souhaitent obtenir une augmentation de salaire ou une évolution de poste.

Ça n'arrive pas que dans "les autres boîtes". Il y a des hommes et des femmes pleins de bonnes intentions qui perpétuent de manière inconsciente les comportements patriarcaux et dévalorise leurs collègues féminins.

Moi, notamment.

En écrivant cet article, j'ai demandé à ces femmes -parmi lesquelles on trouve deux secrétaires de rédaction- de m'aider. Gratuitement. C'était déplacé de ma part. J'aurais dû leur proposer de les rémunérer pour leurs efforts et leur expertise. #facepalm

J'ai de la chance que Chevon me l'ait gentiment fait remarquer, ce qui m'a permis de comprendre mon erreur. En fin de compte, j'ai pu les dédommager financièrement ou faire un don en leur nom à RailsBridge, un organisme qui aide les femmes et les minorités à améliorer leurs compétences en matière de programmation informatique. Ça m'a servi de leçon.

Ce blogue, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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