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Célébrons la victoire de Charlie Hebdo et la liberté d'expression

Au Québec, en 1958, une enfant de 10 ans fut condamnée à se passer sur la langue, devant toute la classe, une laine d'acier sale qui nous servait à frotter du pied le plancher du réfectoire où nous étions réquisitionnés à travailler pour le pensionnat. Son crime: avoir parlé durant la messe.
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PARTIE 1

«J'ai le pouvoir des mots à opposer à celui du monde, car c'est lui qui construit la liberté» (Stig Dagerman).

En cet anniversaire du massacre des 12 martyrs de la liberté d'expression qu'ont été les journalistes de Charlie Hebdo et leurs proches le 7 janvier 2015, il faut faire le point.

La liberté d'expression, qui va de soi, est pourtant menacée: depuis 1959, la France a été condamnée 33 fois pour violation de la liberté d'expression par la Cour européenne des droits de l'homme, la Turquie (215 fois), l'Autriche (33 fois), et la Russie (23 fois). (Wikipédia). Au Québec, des procès-bâillons sévissent.

La liberté d'expression est le cœur de nos libertés. Sans elle, les autres (liberté d'association, d'entrepreneuriat, des juges impartiaux, etc.) s'effondrent. Elle est le premier des quatre droits de l'homme promulgués en 1789 auxquels s'attaqueront la Réaction autocratique (1818, 1852), et divers fascismes (bruns, rouges, noirs, théocrates ou sectaires). D'ailleurs, à l'intérieur d'une organisation fascisante (une Église, un parti extrémiste, une secte, un collège confessionnel), la liberté d'expression est réservée au chef. La parole soumise ou acquiesçante, le silence et l'adhésion explicite sont exigés des autres membres.

Au Québec, en 1958, à Rivière-à-Pierre, une enfant de 10 ans fut condamnée à se passer sur la langue, devant toute la classe, une laine d'acier sale qui nous servait à frotter du pied le plancher du réfectoire où nous étions réquisitionnés (sans salaire) à travailler pour le pensionnat. Son crime: avoir parlé durant la messe. Nous, Québécois, avons connu le fascisme pédagogique dans nos écoles tenues par des religieux. La liberté d'expression était si brimée que jamais dans les journaux de cette époque les enfants violentés ne trouvaient de défenseurs, même pas leurs parents. Le prêche unilatéral tenait lieu d'expression publique.

L'État islamique, les États théocratiques du Golfe, l'Arabie saoudite, l'Iran sont de nos jours les sommets de la répression contre la liberté d'expression dont Raïf Badawi est notre icône et notre emblème. Il est le Voltaire, le Diderot, le Zola de notre époque. Au Québec, nous avons eu les nôtres avec le «J'accuse les assassins de Coffin» de Jacques Hébert en 1961 et, dans les années 1930, Jean-Charles Harvey qui attaquait dans Le Jour le fascisme mussolinien du clergé québécois bien servi par le Devoir de cette époque. «Les peuples corrompus préfèrent le bien-être de l'esclavage aux rudes efforts de la liberté» (John Milton).

Mais nous oublions que, même en Amérique, la liberté d'expression est bridée. Les fonctionnaires, les juges, les employés face à leur entreprise sont tenus à un «devoir de réserve» qui est une frime hypocrite pour nous cacher qu'ils sont muselés. Il leur est interdit d'informer leurs compatriotes d'un dysfonctionnement d'intérêt public à l'intérieur de leur entreprise ou institution. Dans les collèges confessionnels, les professeurs et les étudiants n'ont nullement la liberté académique pour critiquer le crédo. Les professeurs risquent le congédiement (permis par le pervers article 20 de notre Charte québécoise des droits et libertés). Les étudiants risquent l'expulsion en douce, très hypocritement dissimulée sous plusieurs raisons factices.

En 1967, des étudiants québécois furent chassés du collège privé catholique (qui devint plus tard le cégep de Limoilou) pour avoir contesté les cours de religion obligatoires. Pour les avoir subis, ces cours étaient d'une abyssale insignifiance et intellectuellement nuls. L'argument probant le plus souvent invoqué par le professeur était «Ma foi me dit que...» L'argument contraire librement exprimé valait, sur ta copie, un beau zéro. Il est faux donc d'affirmer que la liberté d'expression est si parfaite en notre beau Canada.

Même aux États-Unis, un ami, professeur dans plusieurs universités américaines, m'a dit sèchement qu'un simple mot de trop et «C'est la porte». Dans toutes mes études universitaires en deux universités différentes et quatre diplômes, je n'ai jamais entendu un seul de mes 30 à 40 professeurs différents dire un seul mot contre le gouvernement, contre la religion ou contre une institution d'importance. Rien que le silence des agneaux...

Les scandales des commandites, des villes de Montréal, de Laval et dans l'industrie de la construction n'auraient pas eu lieu si tous les fonctionnaires, partisans et ouvriers avaient été élevés dans le culte de la liberté d'expression qui nécessite le courage. La lâcheté de ne pas parler donne la caisse aux voleurs. Un jeune de 18 ans, très proche, étudiant pour devenir électricien, m'a révélé que leur professeur leur a dit: «Si tu trouves une enveloppe dans la boîte électrique [dont tu es chargé d'évaluer la conformité aux normes], prends l'enveloppe, et ferme-la» (authentique).

Un professeur de cégep en sciences religieuses faisait faire à ses grands étudiants de 17-19 ans des dessins dignes de l'école maternelle (dessiner des personnages de la Bible) avec notation au bulletin. Il ne fut dénoncé que par un seul professeur (sur 100) et les autres rigolèrent en disant: «Nos emplois ne sont pas menacés»... Ainsi, la lâcheté des professeurs cautionna le déni de formation pour de nombreux étudiants, sans compter une forme de détournement de fonds publics au service de la secte chrétienne. Le professeur-dénonciateur reçut une lettre disciplinaire... La liberté d'expression (pour dénoncer et redresser) n'est pas dans la culture pédagogique, sociale et politique du Québec.

Il y a bien sûr la trash-radio. Mais elle est tolérée, car elle est de droite, antisyndicale et réactionnaire sur la plupart des enjeux économiques et sociaux. Le pouvoir se sert d'elle pour donner l'illusion que la liberté d'expression existe puisque la trash-média vomit toujours du même côté de la bouche.

La vulgarité, la grossièreté ne sont pas non plus des gages de liberté d'expression, mais les preuves d'un manque d'éducation. Ainsi, il faut répondre aux blogueurs grossiers, vulgaires ou impolis: «Une injure est une panne d'arguments» ou «Instruisez-vous, et revenez-nous pour discourir avec hauteur et politesse», et autres réponses de ce genre pour éduquer et civiliser cette merveilleuse possibilité démocratique que sont les médias sociaux. Ne laissons pas triompher dans nos médias sociaux les Cléon et les Goebbels, sinon ils finiront par trancher les mains des Cicéron, museler au chômage nos Jean-Charles Harvey et de fouetter nos Badawi.

La grande diversité des médias répond à la diversité des expressions. Le pornographe Larry Flynt gagna en 1983 son procès contre l'évangéliste Falwell dont il avait dit, dans sa revue Hustler, que le révérend avait fait l'amour avec sa mère dans les toilettes. L'argument de la Cour Suprême était, en substance, que la dérision était dans la tradition de la liberté d'expression américaine. La pornographie fut aussi permise avec l'argument invoqué par un juge qui a dit en substance: «Pour l'interdire je dois d'abord la voir et l'obligation de la voir crée son droit à l'expression». Raisonnement curieux qui cache l'argument principal que la pornographie ne porte pas atteinte à l'ordre public, donc la Cour l'a autorisée. La moralité sexuelle est trop intime pour qu'on l'interdise entre adultes consentants. Bref, la liberté d'expression des corps est mieux tolérée que celles des idées, des idées qui menaceraient les pouvoirs en place et l'image de pornographie sadique du crucifix ne pose pas de problème même dans une salle de classe.

Fin de la partie 1

HOMMAGE SUR LES BLOGUES À CHARLIE HEBDO

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