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Le blasphème, offensant et criminel? Nécessaire et utile?

Distinguer religion et terrorisme est une erreur intellectuelle grave qui erre par inculture historique. Personne ne tue en criant: «Vive les droits de l'homme !»
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

S'il touche le sacré des religions, le blasphème est criminel en théocratie. « S.A.K. Malallah, un libre penseur légalement condamné, fut décapité en public pour apostasie et blasphème» rapporte Richard Dawkins dans «Pour en finir avec Dieu». Il est offensant pour un croyant qui s'identifie à sa croyance.

Mais le blasphème fut nécessaire et utile pour tout l'Occident. Par ses sarcasmes très risqués, drapeau-pancarte, il accompagna la modernité et nos États démocratiques. Il opéra un dégel de la pensée.

Érasme, plus prudent, taxait la théologie «de délicieuses niaiseries», Montaigne usait de périphrases cauteleuses. Mais tous ceux qui initièrent nos valeurs de liberté (d'association, d'expression et de vote démocratique) périrent dans les flammes des bûchers au Moyen Âge (Savonarole, Servet, Huss, Wycliffe), courbèrent sous les fourches caudines de l'intimidation et de la répression à l'époque moderne (Paul Petit, Théophile de Viau, Daniel Urvil), connurent la Bastille (Voltaire) et le congédiement (Jean-Charles Harvey).

Voltaire traitait l'Église «d'Infâme». À propos de l'Eucharistie, il s'y présentait, avalait l'hostie et disait à ses intimes : «Les araignées, je les avale», et sa «Jeanne d'Arc», un imposant poème en vers, est pornographique. La littérature érotique de son temps était largement blasphématoire (cf. «Le libertinage solaire de Nerciat»). Son abbé Cudard et autres ecclésiastiques lubriques vous initieront à leur torride théologie.

Les humoristes québécois furent souvent blasphématoires et révélèrent au grand public le Frère-mets-ta-main...

Les libéraux, sacrilèges donc, n'aboutirent au triomphe de la liberté qu'à coups de révolutions libérales (1690, 1776, 1789 et leurs suites en plus de 150 pays sur deux siècles). Blasphématoires, car le pouvoir légitime ne peut venir du peuple, mais de Dieu seul.

Les Québécois, grands «sacreurs» devant l'Éternel, vécurent la tyrannie catholique sur les mœurs, la famille, l'école et leurs lois civiles chrétiennement enfarinées. Ils subirent trois siècles d'omerta par le clergé sur la pédophilie séculaire de l'institution : «Laissez venir à moi les petits enfants»... (Matthieu 12-14). Sans compter ces violences physiques permanentes, comme ces enfants de 10 ans forcés au réfectoire et devant tous de se passer sur la langue une laine d'acier sale pour avoir parlé durant la messe (Rivière-à-Pierre, 1958).

Qui interdit le blasphème musèle la juste voix de la dénonciation du crime

Bref, le blasphème (insulter Dieu et les institutions cléricales) fut un crime aux yeux des trois monothéismes, et punissable du pire châtiment: «Le blasphème contre l'Esprit saint ne sera point pardonné» (Matthieu 12-32 et aussi Luc 12-10).

Mais, historiquement, il fut un moyen utile et nécessaire pour accéder à la liberté d'expression moderne, déculpabilisée, décomplexée.

Voilà, dit bien succinctement, pour l'histoire. Mais qu'en est-il des textes sacrés eux-mêmes ? Sont-ils en eux-mêmes sacrilèges ! Pour nous modernes, les textes sacrés sont sacrilèges par tous les droits de la personne qu'ils violent, nient ou limitent puisque dans les Déclarations de 1776 et 1789, la personne est sacrée; elle est la valeur haute et ultime.

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Mais les textes sacrés sont-ils sacrilèges par rapport à leur propre credo, comme un serpent qui se mordrait la queue ? À y réfléchir, il faut croire... que oui :

  1. Dieu lui-même a été sacrilège envers lui-même quand il a admis s'être trompé (injuriant sa toute-puissance et omniscience) d'avoir créé l'humanité à qui il envoya le Déluge.
  2. Dieu le Père a été sacrilège envers lui-même en envoyant à la mort son propre fils Jésus, geste qui est, en droit canadien, un crime d'honneur interdit par la loi.
  3. Dieu, tout-puissant puisque créateur de toute chose, a été sacrilège envers lui-même puisqu'il a créé un être, Satan, qui le vomit du fond de l'enfer.
  4. Le prophète Mahomet fut lui-même sacrilège en donnant son aval aux prophètes chrétiens et juifs qui font ombrage, par Jésus et Yahvé, à l'unicité d'Allah.
  5. Jésus fut lui-même sacrilège en accusant son père d'abandon d'enfant «Pourquoi m'as-tu abandonné ?» (Matthieu, 27-46), au pire et dernier moment de sa vie tragique. C'est un crime de non-assistance à personne en danger.
  6. Yahvé fut sacrilège (salir sa propre image) de si multiples manières que sa nomenclature criminelle est détaillée par Normand Rousseau «La Bible immorale» et Jack Miles «Biographie de Dieu».
  7. Jésus fut sacrilège (impatience et violence) envers sa propre sainteté en violentant au fouet les marchands du Temple sans mise en demeure polie, respectueuse et préalable adressée aux marchants dont le souci et l'intérêt ne relèvent pas du sacré mais d'une innocente habitude commerciale.
  8. Jésus fut sacrilège (mise en garde intimidante) envers sa propre sainte personne en disant «Je vous ai apporté la guerre» (Mathieu, 10-4; Luc 12-51). Et sans l'empêcher de sa toute-puissance.

Ainsi donc, si Dieu est sacrilège et blasphématoire envers lui-même et s'il faut en plus être vertueux en l'imitant dans ses actions divines, le sacrilège et le blasphème sont des commandements de Dieu. La boucle est bouclée.

La pensée magique, fondement de toute religion, dit tout et son contraire, se contredit sans vergogne, valse dans une rhétorique irrationnelle, violente et intimidante. Le clou, elle cherche à régenter la culture contemporaine pourtant bien solidement ancrée sur les sciences et la raison.

Cette prétention à dominer toute la psyché humaine n'est pas nouvelle. Le croyant pousse sa vanité à se croire immortel, la gonfle d'une seconde en étant certain que le Créateur des galaxies le connaît personnellement, voire l'aime, même s'il n'est pas toujours aimable, le récompense par un succès fortuit ou le punit par une maladie. Un tel infantilisme explique pourquoi les caricatures de Charlie ont été offensantes et constituent un blasphème.

Un jeune enfant est offensé si vous ridiculisez les personnages de ses émissions préférées. Il en ressent une indignation propre à son âge pour ce genre d'offense. Agissant à l'identique, le croyant offensé dans sa croyance fait preuve d'infantilisme parce qu'il n'est pas encore parvenu à distinguer sa personne de sa croyance. Pourtant, sa croyance n'est qu'une opinion métaphysique parmi d'autres. Il refuse, nourri d'irrationnel, de tirer la bonne conclusion que sa religion fut propagée par toutes les violences imaginables. Pensée magique pontifiée. Infantilisme résiduel bien incommode. Conséquences tristes et cruelles.

Voilà pourquoi 12 personnes, à la suite de milliers d'autres dans l'Histoire et des centaines d'autres par Boko Haram, périrent faute de maturité culturelle de leurs bourreaux.

Si, plus largement, certains comme le pape et les musulmans souhaitent décourager le blasphème, voire le punir, ils tentent de supprimer une des meilleures armes de la modernité. Sans lui, les pays les moins libres le demeureront. Et l'islam ne pourra opérer son passage aux Lumières.

Distinguer religion et terrorisme est une erreur intellectuelle grave qui erre par inculture historique. Personne ne tue en criant: «Vive les droits de l'homme !»

En appui à l'universel et courageux héros Raïf Badawi.

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