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Les traitements anticancéreux ciblés: un exemple du défi

Si nous sommes parvenus à développer une grande quantité de médicaments contre le cancer, l'objectif ultime demeure de découvrir un médicament qui s'attaque efficacement aux cellules cancéreuses tout en épargnant les cellules saines.
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Trouver le médicament et la cible

Ce sont deux pharmacologues, Alfred Gilman et Louis Goodman, qui ont été les premiers à constater, dès le milieu des années 1940, les effets cytotoxiques du tristement fameux gaz moutarde et qui créèrent ainsi les premiers médicaments chimiothérapeutiques (voir article : La naissance de la chimiothérapie). Une dizaine d'années plus tard, en 1955, le National Cancer Institute (NCI) instaura un programme de criblage systématisé des molécules sur la base des expériences qui avaient été effectuées sur la leucémie des souris. Fort des succès remportés par la NASA dans le domaine de la conquête de l'espace (l'homme avait mis le pied sur la lune en 1969), Richard Nixon lance son programme Conquête du Cancer. Si nous sommes parvenus à développer une grande quantité de médicaments contre le cancer, l'objectif ultime demeure de découvrir un médicament qui s'attaque efficacement aux cellules cancéreuses tout en épargnant les cellules saines. C'est ce qu'on pourrait appeler un médicament anticancéreux ciblé. Encore faut-il trouver le médicament et la cible. Voici l'histoire de l'un de ceux-ci. Et comme dans bien des cas, un heureux hasard (du nom anglophone de serendipity) a contribué et comme dans tous ces cas, cet événement fortuit a dû être suivi d'un long travail rigoureux pour enfin porter ses fruits.

Une battante hors du commun

Charlotte Friend est née à New York dans le quartier Manhattan. Son père décède lorsqu'elle n'a que trois ans et toute la famille déménage dans le Bronx pour pouvoir vivre plus longtemps avec l'héritage paternel. Mais la crise économique de 1929 allait encore compliquer davantage les choses. Étudiant de nuit et travaillant de jour dans un cabinet médical, Charlotte réussit à terminer ses études collégiales au Hunter College High School. Elle s'engage dans l'armée pour pouvoir poursuivre des études en sciences. Durant la guerre, elle est affectée au laboratoire d'hématologie de l'hôpital militaire naval de Shoemaker en Californie. Dès lors, elle sait que la recherche fera partie de sa vie. Une fois la guerre terminée, Charlotte obtient une bourse du G.I. Bill of Rights pour poursuivre ses études. Elle aurait voulu faire médecine, mais son professeur de l'époque lui suggère plutôt la microbiologie. Ainsi elle termine son doctorat en 1950 à l'Université de Yale. À l'époque, la microscopie électronique faisait son apparition et Charlotte Friend, avec l'aide d'une autre jeune diplômée, Cecily Cannan Selby, se mit en frais d'examiner des cellules tumorales de souris. Elles découvrirent à l'intérieur de celles-ci des structures régulières, bien alignées, tout comme s'il s'agissait de virus. Elles inoculèrent donc des souriceaux sains nouveau-nés avec des extraits de ces cellules probablement infectées. Et les souriceaux furent contaminés. Charlotte Friend venait de découvrir le premier virus responsable de la leucémie chez la souris. Lorsqu'elle présenta sa découverte à un congrès médical en 1956, elle dut faire face à un scepticisme généralisé. Mais la communauté scientifique dut se rendre à l'évidence et le FLV (Friend Leukemia Virus) existait bel et bien. Par la suite, d'autres virus furent découverts et on parla d'un complexe viral susceptible de transmettre la leucémie murine. Mais Charlotte Friend s'est toujours opposée à cette idée et restait convaincue que seul le FLV transmettait la leucémie d'une souris à une autre. Son entêtement lui avait valu de survivre au scepticisme initial de sa découverte et son acharnement finirait bien par prouver qu'elle avait raison. C'est du moins ce qu'elle croyait et c'est pourquoi on la retrouve à l'hôpital Mount Sinaï de New York quinze ans plus tard toujours à travailler sur ses cellules murines leucémiques.

Une expérience qui vire au rouge

Charlotte Friend utilise alors une technique bien connue de culture cellulaire en tampon aqueux en présence de DMSO (diméthylsulfoxide). Les cellules qu'elle étudie alors sont incapables de se différentier et souffrent d'un défaut d'apoptose (elles ne peuvent pas programmer leur propre mort). Mais à la surprise générale, voilà que les deux tiers de ces cellules deviennent rouges. C'est l'heureux hasard ou la « sérendipité » dont on parlait en début d'article. Les cellules ont donc réussi à se différentier en globules rouges. Le DMSO avait donc des propriétés anticancéreuses, car il devenait possible de différentier des cellules leucémiques en cellules normales. On avait trouvé le médicament potentiel, mais non son mode d'action et encore moins sa cible.

Chercher la cause

En cherchant une molécule plus efficace et plus spécifique encore, Charlotte Friend s'adjoint les services d'un biologiste, Richard Riftkind, et d'un chimiste, Ronald Breslow. Ensemble, ils mettent d'abord à l'essai un dérivé, le HMBA. La molécule induit la croissance du nombre de cellules transformées et arrête l'expression de certains gènes. Mais le composé ne franchira pas l'étape des essais cliniques. Pour être efficaces, les doses doivent être trop élevées et la toxicité l'emporte sur les effets bénéfiques escomptés. Le groupe se remet à la tâche et crée une autre molécule : le SBHA. Mais l'efficacité souhaitée n'est toujours pas au rendez-vous. Et on modifia alors encore une fois cette dernière molécule qui donnera naissance au SAHA.

Trouver la cible

C'est une autre chercheuse américaine, Victoria Richon, qui trouvera finalement la cible qu'avait atteint le SAHA découvert par Charlotte Friend. Elle pourra établir dès le début des années 1990, donc trente ans après les premières expériences de Charlotte Friend que le mécanisme est enfin élucidé. Le SAHA s'attaque aux histones désacétylases, des enzymes contrôlant l'expression des gènes. D'autres inhibiteurs avaient été essayés contre ces enzymes, mais avaient été éliminés parce qu'ils provoquaient des problèmes cardiaques graves. Et le hasard faisant parfois bien les choses, le SAHA avait atteint le juste milieu, il pouvait contrer les enzymes sans provoquer de troubles cardiaques.

Le SAHA ou vorinostat ne sera finalement approuvé qu'en 2006 par la FDA. Son indication pharmaceutique est très limitée puisqu'il n'est autorisé que pour le traitement des lymphomes cutanés à cellules T (LCCT) et seulement lorsque les traitements conventionnels n'ont pas réussi. Mais il représente un ajout exceptionnel pour la recherche de nouveaux médicaments anticancéreux.

Quant à Charlotte Friend, elle sera atteinte d'un lymphome en 1981 et garda la chose secrète le plus longtemps possible se rendant au laboratoire comme si de rien n'était. En 1986, elle reçut un doctorat honorifique de l'Université Brandels au Massachusetts. Elle se rendit à la cérémonie en chaise roulante et y demeura jusqu'à la fin sous un soleil de plomb. Elle mourut huit mois plus tard, le 13 janvier 1987. Elle se sera battue pour ses convictions et pour sa vie jusqu'à la fin.

Richard A. Rifkind, codécouvreur

Médecin de formation, le Dr Rifkind fut professeur de médecine et de génétique humaine au Collège des médecins et chirurgiens de la célèbre Université Columbia. Puis il fut président et chef scientifique de l'Institut de recherche sur le cancer Sloan-Kettering. Il s'occupa entre autres de l'expression des gènes durant la différenciation cellulaire. C'est dans le cadre de ces recherches qu'il se joignit à Charlotte Friend.

Victoria M. Richon, celle qui a découvert la cible

Elle a obtenu son B.Sc en Chimie de l'Université du Vermont et son doctorat en biochimie à l'Université du Nebraska. C'est lors de ses études post doctorales à l'Institut de recherche sur le cancer Sloan-Kettering qu'elle s'intéresse aux travaux des docteurs Friend et Rifkind. Elle remarqua la similitude de la structure du SAHA avec un composé naturel isolé par des chercheurs japonais vers les années 1990 : la trichostatine. Cette observation la mènera aux inhibiteurs des histones désacétylases.

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