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Il était une fois la maladie: quand le «naturel» est plus dangereux que le «chimique»

Une jeune fille se croit attaquée par des tigres. Un gamin de 11 ans tente d'étrangler sa mère. Un homme saute du deuxième étage en hurlant: «Je suis un avion».
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Souvent entend-on aujourd'hui le discours qu'en médecine, tout ce qui est naturel fait partie de la vertu, tandis que ce qui provient de la chimie et des pharmaceutiques est empreint des pires vices. Lorsque vous en aurez assez d'entendre ces sornettes, racontez à votre interlocuteur l'histoire du pain maudit...

L'histoire du pain maudit

Nous sommes le 17 août 1951. Un petit village du sud de la France s'apprête à vivre un des pires moments de son histoire. En ce jour d'été, les salles d'attentes des trois médecins locaux sont pleines à craquer. Une vingtaine de patients sont venus consulter avec divers symptômes d'ordre digestif : nausées, brûlures d'estomac, vomissements et diarrhées. Certains connaîtront quelques jours de répit avant la réapparition de la maladie mystérieuse, compliquée de nouveaux symptômes : hallucinations, fatigues extrêmes et insomnies.

Un journaliste américain présent sur place, John Fuller, décrit ainsi les scènes qu'il a pu observer :

«Un ouvrier, Gabriel Validire, hurle à ses compagnons de chambrée : "Je suis mort! Ma tête est en cuivre et j'ai des serpents dans mon estomac!" Une jeune fille se croit attaquée par des tigres. Un gamin de 11 ans tente d'étrangler sa mère. Un homme saute du deuxième étage de l'hôpital en hurlant : "Je suis un avion." Les jambes fracturées, il se relève et court 50 mètres sur le boulevard avant qu'on puisse le rattraper.»

Le drame a lieu à Pont-Saint-Esprit, un village paisible avoisinant le Rhône, et dura une longue semaine avant que l'agent causal ne fut identifié : l'ergot de seigle.

Le boulanger local, aurait manqué de farine de blé et aurait utilisé du seigle pour compléter sa recette. Or, ce seigle avait été contaminé par un champignon, ce qui aurait provoqué l'apparition d'une maladie disparue en France depuis plus de 200 ans : l'ergotisme, communément appelée «mal des ardents», ou encore «feu de Saint-Antoine». Cette dernière appellation populaire de la maladie tient son origine du fait que des moines de l'ordre de saint Antoine le Grand avait été les premiers à mettre au point une cure efficace contre l'ergotisme.

Et c'était ce «pain maudit» qui aurait provoqué l'intoxication qui fit une dizaine de morts, plus de 30 hospitalisations et environ 300 malades à Pont-Saint-Esprit.

Plus tard, d'autres hypothèses furent émises pour expliquer cet empoisonnement. Elles relevaient pour la plupart de thèses de complot des plus obscures.

Un champignon bien connu

Tant durant l'Antiquité qu'au Moyen Âge, médecins, druides, sorcières et sorciers ont tenté de trouver des applications médicinales à ce fameux ergot de seigle. Il faut avouer que les intoxications étaient fréquentes et fort impressionnantes. Ainsi, en l'an 945, en 983 et en 1039 de notre ère, il y eut de ces «épidémies» fort documentées où les malades étaient atteints d'hallucinations terribles, des gens dansaient dans les rues, la bave à la bouche, jusqu'à épuisement total, etc.

Le diable fut vite reconnu responsable de ces maladies et folies soudaines. Mais, les gens les plus instruits de l'époque réalisaient que si un composé quelconque pouvait déclencher autant de comportements bizarres et faire autant de victimes, il aurait certainement quelques propriétés qui, bien dosées, pourraient être utiles en médecine. Plus près de nous, un empoisonnement à l'ergot de seigle a été mis en hypothèse pour expliquer le phénomène des sorcières de Salem au XXVIIème siècle aux États-Unis.

L'ergot de seigle et ses premières applications médicales

Les sages-femmes et les sorcières utilisaient l'ergot de seigle pour provoquer des avortements. La notion de dosage était alors connue, mais de manière plus superstitieuse que scientifique. On préconisait en effet de n'utiliser qu'un nombre impair d'ergots (5, 7 ou 9) dans les préparations. Souvent, l'avortement réussissait, mais la mère décédait aussi.

En Allemagne, au XVIème siècle, on l'utilisa pour accélérer un accouchement difficile. Mais les mêmes difficultés de dosages conduisirent aux décès de nouveau-nés ou de mères, ou parfois des deux.

Plus tard, on réussit à extraire la bromocriptine de l'ergot de seigle et on put l'administrer pour bloquer la production de prolactine et ainsi éviter les montées de lait chez les mères qui ne voulaient pas allaiter. Cette molécule est aussi utilisée dans le traitement de la maladie de Parkinson.

L'ergot de seigle et l'ère moderne

Dès le début du vingtième siècle, plusieurs chercheurs et chimistes s'intéressèrent à l'ergot de seigle. Ainsi en 1907, deux chimistes britanniques, G. Barger et F. H. Carr, réussirent à extraire de l'ergot un mélange hautement toxique d'alcaloïdes qu'ils nommèrent à juste titre ergotoxine.

Puis en 1918, au laboratoire Sandoz, le chimiste suisse Arthur Stoll isola un alcaloïde purifié : l'ergotamine, qui fut la molécule mère de plusieurs médicaments antihypertenseurs. La structure chimique put être élaborée durant les années 1930 par les chimistes américains W. A. Jacobs et L. C. Craig. Ils purent isoler le noyau commun d'acide lysergique présent dans les alcaloïdes de l'ergot.

En 1938, Alfred Hofmann, chimiste chez Sandoz (faisant maintenant partie de la compagnie pharmaceutique Novartis), débuta ses travaux et synthétisa le diéthylamine de l'acide lysergique, mieux connu sous le nom de LSD. Mais aucune application médicale ne put y être associée, et les recherches furent interrompues. Fait étonnant, personne ne soupçonnait l'effet hallucinogène du composé à ce moment.

Ce n'est que cinq ans plus tard, que Hofmann obtint l'autorisation de reprendre ses recherches sur cette molécule qui semblait bien vouloir garder son secret. Or, il advint qu'un après-midi, le chercheur fut soudainement atteint de malaises. Il entra chez lui et il fut alors victime d'hallucinations. Après quelques heures, son état redevient normal.

Alfred Hofmann décrivit ainsi son expérience :

«Je fus affecté par une agitation remarquable, combinée à un léger vertige. À la maison je me suis couché et j'ai sombré dans un état semblable à de l'ébriété qui n'était pas désagréable. Mon imagination se trouvait extrêmement stimulée. Tout en étant éveillé, je me sentais comme dans un état de rêve, Je gardais les yeux fermés car je trouvais la lumière du jour désagréable. J'apercevais un flot ininterrompu d'images fantastiques, de formes extraordinaires et intenses ainsi qu'un jeu kaléidoscopique de couleurs vives. Après environ deux heures, cette condition disparut.»

Plusieurs psychiatres à travers le monde firent des essais avec le LSD sur des patients souffrant de diverses affections psychiatriques telles la schizophrénie, la dépression, etc. Mais les succès ne furent pas au rendez-vous. Tant et si bien que Sandoz stoppa sa production de la molécule. Celle-ci fut récupérée par des laboratoires clandestins, qui alimentèrent la contreculture hippie des années 1960-1966. Une célèbre expérience menée par l'armée américaine consista à faire réaliser par un artiste peintre un tableau pendant qu'il était sous l'effet du LSD. Plusieurs artistes de l'époque se vantaient de créer sous influence de la fameuse substance hallucinogène. Devant l'ampleur de la situation, le 6 octobre 1966, le président Ronald Reagan en interdit l'usage.

Quant à Alfred Hofmann, il décédera à l'âge respectable de 102 ans. Quelques mois avant sa mort, il avoua avoir été très déçu de la tournure des événements. Selon lui, si on avait poursuivi les recherches, on aurait certainement pu trouver des débouchés médicaux à son LSD.

N'empêche que la chimie était venue à bout du terrible ergot de seigle. D'un produit naturel extrêmement dangereux, elle a su en faire des médicaments fort utilisés comme hypertenseurs, pour la maladie de Parkinson, pour empêcher les hémorragies post pariétales et pour traiter les migraines récalcitrantes.

L'ergot de seigle nous montre bien que l'histoire des produits pharmaceutiques mériterait d'être mieux connue par la population.

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