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Agressions sexuelles: ne jamais oublier la présomption d'innocence

Les victimes d'agression sexuelle qui ne veulent pas dénoncer leur agresseur, non pas parce qu'elles ont des raisons personnelles de ne pas le faire, mais parce qu'elles craignent d'aller à la police ou d'aller devant les cours de justice, doivent être rassurées et encouragées.
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Pour ce qui est des rapports entre les hommes et les femmes, la société québécoise a beaucoup évolué, et pour le mieux. À l'époque de nos grands-mères, celles-ci ne disaient pas «non» à leur mari. À l'époque de nos mères, celles-ci osaient parfois dire «non» à leur mari, mais elles devaient aller au confessionnal s'accuser «d'avoir empêché la famille». Je parle de la majorité des femmes de ces époques parce que, à toutes les époques, des femmes se sont affirmées et ont milité pour que les autres femmes sortent du joug qu'elles subissaient. Les femmes de notre génération (j'ai dépassé «les 65 ans») ont continué les batailles menées par les femmes qui les avaient précédées et elles ont intensifié le mouvement pour parvenir à ce que la majorité des femmes du Québec réussissent à s'affirmer dans le but d'arriver à obtenir, notamment, les mêmes droits que les hommes.

Les lois et notre système de justice ont beaucoup évolué aussi, et pour le mieux. Je ne sais pas si les jeunes d'aujourd'hui le savent, mais, avant les modifications au Code criminel en 1983, un mari ne pouvait avoir violé sa femme : la société considérait que les liens du mariage étaient un consentement à toutes relations sexuelles. En 1983, l'infraction de «viol», beaucoup trop étroite, a été remplacée par l'infraction «agression sexuelle» au Code criminel. Cette infraction s'applique aux hommes et aux femmes de la même façon et, c'est important, elle couvre plusieurs infractions qui n'étaient pas couvertes par l'accusation de viol. N'importe quelle forme d'activité sexuelle qui n'est pas consentie est une atteinte à l'intégrité sexuelle des victimes (agression sexuelle). L'agression peut être faite par un homme envers une femme ou un autre homme; elle peut aussi être faite par une femme envers un homme ou une autre femme.

Les cours de justice reconnaissent que, au cours d'une relation sexuelle commencée dans le consentement («oui»), une personne (homme ou femme) peut exprimer un « non », si ce n'est pas en mots, d'une façon ou d'une autre. Encore faut-il que le «non» soit manifesté pour que l'autre personne le connaisse. Par ailleurs, les tribunaux n'acceptent plus que la présumée victime soit interrogée sur sa vie personnelle, ses pratiques sexuelles, etc..

On véhicule parfois, sur la place publique, que la présumée victime est considérée comme coupable devant les cours de justice alors que ce n'est pas du tout le cas. Cette affirmation n'est pas valable lorsqu'on parle d'un procès devant les cours de justice. Véhiculer une telle affirmation a sûrement pour effet de dissuader des victimes de porter plainte à la police, ce qui est déplorable. Dénoncer une personne publiquement, au lieu d'aller devant les cours de justice, provoque un procès sur la place publique : ce procès n'est jamais beau, ni pour la présumée victime, ni pour la personne qui est présumée avoir agressé.

Il semblerait que la militante Mélanie Lemay, du «Mouvement Québec contre les violences sexuelles», aurait déploré que les femmes victimes d'agressions sexuelles soient montrées du doigt quand elles ne portent pas plainte aux policiers. Elle aurait affirmé: «la présomption d'innocence ne doit pas servir à cacher des gens qui sont des dangers pour nos communautés. C'est 4 à 8 % des hommes qui commettent 90% des agressions sexuelles».

Si ce sont bien les paroles de Mme Lemay, je comprends qu'elle voudrait qu'on oublie la présomption d'innocence et qu'on croit, sur parole, les femmes qui se disent victimes d'agression sexuelle, les invitant à aller sur la place publique. Une telle façon de voir les choses est inacceptable dans une société de droit. À moins de très bien la connaître, il est impossible de discerner si une personne est intègre et si elle dit la vérité. Je n'aurais pas voulu vivre dans une société où on brûlait des sorcières sur la place publique et je ne voudrais pas vivre dans une société où les femmes souhaiteraient qu'on bafoue la présomption d'innocence, surtout que nous n'ignorons pas que des personnes (homme ou femme) peuvent mentir. Nous savons tous que, dans le passé, des personnes (dont des femmes) ont dit avoir été victimes d'agression sexuelle alors que c'était faux. De telles personnes ont détruit injustement la réputation d'une autre personne et lui ont fait vivre une situation «infernale», et c'est peu dire. Pour moi, la valeur la plus importante est l'intégrité: je suis une femme, mais je ne serai jamais «du bord» d'une femme qui ment ni d'un homme qui ment.

Quant aux victimes d'agression sexuelle qui choisissent de ne pas dénoncer leur agresseur à la police, elles ont souvent des raisons personnelles de ne pas le faire (liens familiaux etc.). On le sait: des femmes, des filles, des hommes, des garçons, des enfants ont été victimes d'agressions sexuelles de la part de leurs proches (père, frère, mère, sœur, etc.). La raison la plus souvent invoquée, pour laquelle des victimes d'agression sexuelle ne signalent pas l'agression à la police, est qu'il s'agissait d'une affaire privée qui avait été réglée de façon informelle - 67% des répondants (voir le tableau qui indique toutes les raisons mentionnées). À noter que les répondants pouvaient mentionner plusieurs raisons (1).

Les victimes d'agression sexuelle qui ne veulent pas dénoncer leur agresseur, non pas parce qu'elles ont des raisons personnelles de ne pas le faire, mais parce qu'elles craignent d'aller à la police ou d'aller devant les cours de justice, doivent être rassurées et encouragées. Notre société a évolué, notre système de justice aussi. Toute situation est perfectible et des améliorations seront encore apportées pour aider davantage les victimes d'agression sexuelle. Toutefois, il ne faudra jamais oublier la présomption d'innocence.

(1) Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation (les données de l'enquête de 2014 ont été recueillies par entrevue téléphonique auprès de 33,127 Canadiens (hommes et femmes) de 15 ans et plus, de toutes les provinces du Canada. L'un des principaux avantages de l'ESG est qu'elle permet d'avoir de l'information sur les actes criminels qui ne viennent pas à l'attention de la police.

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