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L'indépendance: «Y penser toujours, n'en parler jamais»

À l'instar de Lionel Groulx ou de René Lévesque, quiconque a le Québec à cœur devrait, plus que jamais, savoir se montrer patient, confiant et déterminé.
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Je milite pour la souveraineté depuis 30 ans. Personne n'ira donc douter de la solidité de mes convictions. À titre d'historien, auteur et enseignant, j'ai passé ma vie professionnelle à réfléchir sur le parcours historique de mon peuple. Personne ne peut donc me traiter de naïf à la légère. Enfin, jamais je n'ai joué un quelconque rôle dans un parti politique, à part comme simple sympathisant, que ce soit comme organisateur, candidat ou membre d'un cabinet. Pas question donc de me taxer d'opportunisme. Le seul titre que je revendique est de diriger la plus vaste organisation nationaliste du Québec, fondée en 1947 et représentant 18 sociétés nationales destinées à inculquer la fierté à tous les Québécois. Mon engagement en faveur de la souveraineté est donc profond, réfléchi et sincère.

Ce texte vise à déplorer l'attitude consistant à débattre sur la place publique de stratégie d'accession à la souveraineté tant avant, durant et même après la présente campagne électorale. Historiquement, cette attitude a toujours nui à la cause nationale et systématiquement profité à l'adversaire. Que de jeunes militants ou des vétérans aigris accusent aujourd'hui le Parti québécois de ne pas suffisamment parler de souveraineté ou de ne pas suffisamment étayer le projet de société d'un Québec souverain les regarde. Qui suis-je pour jouer à l'objecteur de conscience? Il faudra pourtant bien un jour qu'ils réalisent ce qu'ils sont en regard de la cause qu'ils défendent: une nuisance.

Cherbourg, 16 novembre 1871

En une seule bataille, à Sedan en septembre 1870, l'armée française est écrasée par la Prusse. L'empereur Napoléon III est lui-même fait prisonnier, tandis que Paris est assiégée et plongée dans l'anarchie. Les conditions de paix imposées à la France sont particulièrement humiliantes: payer des indemnités à l'Allemagne pendant 20 ans et surtout, céder une part de son territoire historique, l'Alsace et la Lorraine, rattaché à l'Empire allemand.

Dans cette France humiliée, exsangue et à genoux, on n'entend pourtant alors qu'un seul mot: Revanche! Revanche! Revanche! Les fondateurs de la Troisième république voient bien alors que toute résistance est inutile et prématurée. Repartir en guerre replongerait à coup sûr la nation dans l'humiliation, peut-être à jamais. À ses compatriotes déchirés entre la résignation et la révolte, Léon Gambetta adressa alors ces mots lors d'un discours resté fameux, prononcé à Cherbourg en novembre 1871.

«Y penser toujours, n'en parler jamais. Alors vous serez sur le véritable chemin de la libération, parce que vous serez parvenus à vous gouverner et vous contenir vous-mêmes. Ne parlons pas de revanche, ne prononçons pas de paroles téméraires. Travaillons tous les jours à acquérir cette qualité qui nous manque: la patience, que rien ne décourage, la ténacité qui use jusqu'au temps lui-même. [...] Oui, je pense, j'espère que je verrai ce jour où, par la majesté du droit, de la vérité et de la justice, nous retrouverons, nous rassemblerons les frères séparés!»

Gambetta disait tout à la fois que l'heure n'est pas venue, qu'immédiatement entreprendre la revanche reviendrait à donner l'initiative à l'ennemi, mais qu'au contraire, la réponse doit être minutieusement planifiée et sans laisser place à l'erreur. On connaît la suite. Le fameux « Y penser toujours, n'en parler jamais » allait teinter les 40 années suivantes, tandis que toute la société française est mobilisée afin de sereinement, mais systématiquement préparer la riposte. Que la Guerre de 14 se soit avérée une boucherie innommable ne fait pas de doute. Là n'est pas la question. La France humiliée de 1870 aura en somme dû ronger son frein en misant sur les seules vertus qui pouvait lui permettre à terme d'obtenir réparation : la patience et la détermination.

Toronto, 25 juin 1912

Au début du XXe siècle, le racisme canadien envers les franco-catholiques atteint son apogée. Au lendemain de la St-Jean-Baptiste de 1912, la législature ontarienne fait donc adopter un règlement interdisant l'enseignement en français dans toutes les écoles publiques de la province, même si les francophones forment 20% de la population. D'un seul homme le Canada français se soulève: on boycotte les écoles, on signe des pétitions monumentales et on fonde le journal Le Droit pour crier sa colère. Le Québec et la Société St-Jean-Baptiste s'en mêlent et Olivar Asselin débarque à Ottawa. Partout le tollé, mais en vain. Le funeste règlement 17 est appliqué et avec lui le rouleau compresseur de l'assimilation.

Le jeune Lionel Groulx a alors 24 ans. Il voit bien que le problème est plus profond et qu'une résistance exaltée ne conforte que nos adversaires. Dans un essai au titre évocateur, Une Croisade d'adolescents, il reprend presque mot pour mot l'aphorisme de Gambetta: «Pensons-y toujours, n'en parlons jamais.» Il disait ainsi combien la riposte du Canada français devait être réfléchie, en prenant le problème à la racine: les francophones du Canada ne pourront jamais compter que sur un seul gouvernement, celui de Québec. Ce sera ensuite son fameux « Notre État français, nous l'aurons ». Ce sera aussi la création de L'Ordre Jacques-Cartier, une société secrète vouée à la défense du français, qui réunit bientôt 40 000 membres. À l'encontre d'une stratégie ouverte prêtant le flanc aux attaques adverses, « la Patente » privilégie l'action discrète, mais systématique, afin de reconquérir nos droits, sans s'exposer aux attaques traitresses d'un adversaire encore trop puissant. Pendant 40 ans, «la Patente», a joué un rôle inestimable dans la promotion du français et contre la discrimination envers les francophones, tant en Ontario qu'au Québec. Dissoute au milieu des années 1950, les cadres aguerris et les militants dévoués de l'Ordre Jacques-Cartier allaient ensuite donner naissance au séparatisme québécois.

Montréal, 14 octobre 1968

Ministre influent dans le cabinet libéral de Jean Lesage, René Lévesque claque la porte en 1967 et fonde une coalition politique réunissant des membres, tant de la gauche du RIN que des créditistes du Ralliement nationaliste. Lévesque sait pertinemment que jamais le Parti québécois ne fera l'indépendance par une démarche directe et transparente, forçant la main du peuple québécois lors d'une élection référendaire. Il doit donc essuyer les critiques dans ses propres rangs quand il refuse d'appuyer le « Vive le Québec libre » de De Gaulle ou qu'il joint sa voix à celles des fédéralistes pour dénoncer les attentats du FLQ en octobre 1970. Les Pierre Bourgault, Andrée Ferretti et Pierre Vallières le dénoncent alors vertement. Seule la patience et la pondération de Lévesque permettront pourtant à son parti de prendre le pouvoir en 1976 en promettant « d'abord un bon gouvernement », puis enfin sortir la souveraineté des ornières de l'idéalisme.

En 1980, j'étais étudiant au cégep Lionel-Groulx, militant pour le «Oui». Pierre Bourgault vient alors y faire un discours invitant les militants les plus radicaux à taire leurs critiques et à se rallier à la proposition de René Lévesque. Jamais Bourgault ne pourra finir son discours. Il est rapidement chahuté par des militants marxistes criant: « Parti québécois, parti bourgeois ». Le grand tribun aura alors pu constater combien une « stratégie ouverte » ne sert que nos adversaires et que jamais plus il ne faudra convier le peuple québécois à un exercice aussi diviseur qu'un référendum sur la souveraineté à moins d'être assuré de le remporter. Or cela demande du temps, de la patience, des compromis, ainsi qu'une stratégie rigoureusement suivie.

Québec, 7 avril 2014

Depuis la Révolution tranquille, chaque nouvelle génération a ressenti le désir de rejouer dans le même film, soit incarner la pureté et marcher au pas de course vers la souveraineté. Ce discours était notamment nécessaire durant les années 1960, alors qu'il fallait bien mener la « pédagogie de la souveraineté » et expliquer ce qu'est l'indépendance, combien elle est nécessaire en quoi elle requiert un État québécois fort et interventionniste. Ce travail est accompli. Si aujourd'hui 80% de la population ne veut pas de référendum ce n'est certainement pas faute de bien en saisir les enjeux.

Partis et organisations souverainistes sont directement interpellés. Sauront-ils tirer les leçons de l'histoire et cesser d'alimenter nos adversaires en exerçant toute la pression sur les seuls stratèges du Parti québécois? La semaine dernière, Mme Pauline Marois a dû refaire publiquement sa profession de foi souverainiste afin de rassurer ses militants anxieux. Le résultat est qu'elle y a perdu trois précieux jours de campagne et que Couillard rallie désormais tout le vote fédéraliste. Notre travail le plus urgent consiste à aborder les enjeux qui préoccupent notre peuple: économie, santé et éducation et à gagner une campagne électorale. Plus que jamais, le mouvement national doit apparaître comme une force consensuelle et unie. Il ne s'agit pas de cacher notre option, mais bien d'en explorer toute l'étendue, dans toutes ses facettes de notre vie sociale et économique, et cesser un instant d'en appeler à la marche triomphante vers la souveraineté et aux projets de société grandiloquents.

Longtemps le Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ) m'a paru une organisation nationaliste modérée, organisant une Fête nationale plutôt gentille, mais contribuant peu à la souveraineté. Avant même d'en prendre la tête, j'ai réalisé que le MNQ était pratiquement le seul mouvement nationaliste à rejoindre toute la société civile, et pas seulement les militants convaincus, afin de cultiver chez eux la fierté d'être Québécois et d'ainsi fabriquer des patriotes un à un.

Tous les partis en lice ont déclaré souhaiter mettre le mode d'accession à la souveraineté de côté pour le reste de la campagne. Tant mieux! L'enjeu est d'abord tactique: la cause nationale a présentement tout à perdre d'un clivage entre souverainistes et fédéralistes. Nous n'y sommes tout simplement pas préparés. Que les sceptiques ravalent donc leur cynisme et que les idéalistes se calment un instant à propos du projet de société. L'occasion qui nous est donnée de se doter d'un gouvernement souverainiste majoritaire de centre-gauche est sans doute la dernière. Le projet de souveraineté en particulier est à la croisée des chemins. Jamais je ne l'ai senti avec une telle acuité. Quiconque est à même d'imaginer l'impact d'un retour au pouvoir du Parti libéral corrompu: les révélations à venir à la Commission Charbonneau demeurant lettre morte, le cynisme se généralisant, le nationalisme québécois sombrant dans le radicalisme et la réaction identitaire et le Canada poursuivant à son aise, la déconstruction de l'identité québécoise.

À l'instar de Lionel Groulx ou de René Lévesque, quiconque a le Québec à cœur devrait donc, plus que jamais, savoir se montrer patient, confiant et déterminé.

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