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Le selfie du voyageur

Le voyageur moderne a-t-il troqué la contemplation du monde pour sa propre idolâtrie?
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Les photos ont fait le tour du monde. Une jeune fille souriante, prenant un selfie à l'entrée d'Auschwitz, ou encore ce jeune garçon posant en bec de canard à Tchernobyl. Difficile de ne pas se questionner sur la nature (l'intelligence) humaine devant des égo-portraits aussi inappropriés.

Plus sobrement, j'avoue avoir jugé ce couple qui s'est promené à travers le Palais d'Alhambra, en Espagne, s'arrêtant devant chaque arabesque pour y arracher un énième selfie, les yeux toujours rivés sur l'objectif - jamais sur les arabesques.

Le voyageur moderne a-t-il troqué la contemplation du monde pour sa propre idolâtrie?

Plusieurs auteurs se sont penchés sur le phénomène. L'une de ces plus cinglantes critiques a pour titre Le tourisme devenu un truc de gros cons narcissiques publiée dans les pages de Vice. Un texte immensément cynique, écrit par un journaliste voyageur convaincu de sa propre supériorité.

Néanmoins, le sujet mérite d'être étudié. A-t-il raison de dire que le voyageur n'est plus en quête d'introspection, mais cherche dorénavant le selfie qui va le plus impressionner?

Le voyageur ne prend plus le temps de réfléchir

On peut se désoler de voir autant de gens, pressés de se faire photographier, pour ensuite partir vers la prochaine attraction. Mais en bout de ligne, les clichés sont ce qu'ils sont: un moment arrêté dans le temps.

Ce n'est pas parce qu'un touriste se photographie devant le splendide Grand Palais de Bangkok qu'il ne s'est pas questionné sur les excès de la monarchie thaïlandaise. Ce n'est pas parce qu'on sort le selfie stick devant le Colisée de Rome qu'on n'en apprécie pas la valeur architecturale et historique. De la même façon, ce n'est pas parce qu'un voyageur méprise les égo-portraits et qu'il passe de longues minutes les yeux perdus à l'horizon que son «analyse profonde sur le monde» est la quintessence de la réflexion humaine.

Impressionner ou inspirer?

Au-delà de ces photos léchées et filtrées, il y a évidemment des sociétés inégales, des injustices économiques, des problèmes environnementaux. Il y a la pauvreté, il y a des lois qui portent atteinte à la dignité humaine.

Après les centaines de selfies tout sourire sur la plage du Full Moon Party, à Koh Phagnan, il y a le spectacle déchirant des bouteilles de bière éclatées qui se mêlent à de la nourriture, jetée ou vomie, dans laquelle les chiens errants et les mouches se nourrissent.

Il faut plusieurs jours pour que l'île retrouve sa beauté, mais ses habitants eux, ne retrouvent pas toujours leur sourire. Dans un mois, l'île sera à nouveau envahie, violée, désertée, et tout sera à recommencer. Vos amis qui ont publié des photos d'eux sur cette plage paradisiaque ne vous ont pas montré les désolantes conséquences de leur party.

J'ai demandé à un blogueur de voyage populaire pourquoi il ne publiait jamais de telles photos, celles qui démontrent avec réalisme la misère humaine ou les dégâts environnementaux. Pourquoi toujours montrer des selfies recadrés, des photos où on le voit dans des conditions ultra-parfaites?

«Quand les gens voient une photo de moi, au sommet d'une montagne, ou sur une plage au soleil levant, ils se disent, ''moi aussi j'aimerais voir et ressentir ce que ce gars voit et ressent''».

Son objectif est d'inspirer les autres à voyager. Il ne ferme pas les yeux sur ce que le monde a de plus laid. Il cherche simplement à montrer ce le monde a de plus beau.

Raconter ses voyages, est-ce être narcissique?

Le désir du voyageur de partager ses expériences n'est pas né avec les réseaux sociaux. À travers l'histoire, les aventuriers ont tenu des journaux, ont écrit des livres, ont peint des tableaux, ont cherché, par les moyens de leur époque, à expliquer et décrire le monde, tel qu'ils l'ont découvert, à ceux qui n'ont pas eu la chance de le découvrir par eux-mêmes. Qu'on le regrette ou pas, le moyen de communication privilégié de notre époque est l'image, et c'est dorénavant avec celle-ci que le voyageur décrit, raconte et enseigne.

Et puis, le phénomène du selfie dépasse largement l'univers du voyage. Alors, pourquoi le touriste ne peut-il pas sortir son selfie stick devant les pyramides d'Égypte, alors que son Facebook est rempli de selfies prient dans la voiture?

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