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«Le clown, c'est le poète en action»

J'ai toujours pensé que le métier se déclinait en plusieurs fonctions: la scène, la piste, la rue, l'animation et le clown social. J'ai énormément de respect pour ceux qui pratiquent cet art, mais ceux qui ont choisi d'exercer le clown thérapeutique m'impressionnent au plus haut point.
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L'écrivain Henry Miller disait que «le clown, c'est le poète en action. Il est l'histoire qu'il joue. Son rire à lui n'a jamais rien d'homérique. C'est un rire silencieux sans gaieté comme on dit. Le clown nous apprend à rire de nous-mêmes. Et ce rire-là est enfanté par les larmes.»

Pour François Cervantes, dramaturge et metteur en scène français, «les clowns sont des livres de chair. On dit en Afrique qu'un vieux qui meurt c'est une bibliothèque qui disparaît. Je pense qu'un clown qui apparaît, c'est un poème qui nous est donné, et qu'un clown qui disparaît c'est un poème que l'on ne pourra plus lire.»

La responsabilité première d'un clown est de toucher émotionnellement et de manière positive son public. J'ai toujours pensé que le métier se déclinait en plusieurs fonctions : la scène, la piste, la rue, l'animation et le clown social. J'ai énormément de respect pour ceux qui pratiquent cet art, mais ceux qui ont choisi d'exercer le clown thérapeutique m'impressionnent au plus haut point.

Au début des années 2000, je fus invité à présenter mon spectacle solo au manoir Rouville Campbell du Mont-Saint-Hilaire, sans me douter un seul instant que cette journée serait des plus marquantes et touchantes. Rien ne me permettait de savoir que j'en sortirais chaviré, bousculé dans ma perception des gens, qu'il y a des choses qui sont réellement capitales et essentielles dans la vie. Et c'est pourquoi je me répète régulièrement une phrase du conférencier motivateur Og Mandino, que mon père m'a inculqué et que j'ai retenue : « On n'est jamais à un endroit pour la raison que l'on pense ».

À la demande de la fille d'un couple de personnes âgées, je devais présenter mon numéro pour une occasion spéciale, soit l'anniversaire de jumeaux de 5 ans et également une cérémonie d'amitié de vie. Ma cliente m'avait fourni un texte à lire durant la présentation. J'ai donc lu sur le champ le texte. C'était un message difficile à livrer, pour eux comme pour moi. Un énorme malaise s'est installé. J'ai réalisé à cet instant que ma présence était des plus uniques, que j'aurais un rôle fort important afin de souligner unesituation délicate. Sur le coup, je me suis demandé pourquoi choisir un clown. Sans le savoir, je marquerais leur vie, leur imaginaire, et surtout j'avais une responsabilité plus énorme que je ne l'aurais voulu. Après tout, je suis censé faire rire, pas être porteur de messages tristes. Tout ce qui peut se passer dans la tête d'un clown est d'être totalement dans l'instant présent, d'accepter la proposition et transformer le tout en instant magique.

J'ai donc opté spontanément pour expliquer à la dame que je lirai son texte après mon spectacle, puisque je devais trouver une manière de l'intégrer. J'ai réalisé que tous mes spectateurs étaient des personnes âgées, à l'exception de ma cliente, son conjoint et leurs deux enfants. Pour le couple, il s'agissait d'une grande réunion de la famille immédiate, des amis proches et intimes de toutes leurs vies. Ils étaient tous les deux en fin de vie, affligés par le cancer. C'était une grande soirée. Ils étaient beaux, fiers et dignes. C'était une célébration de la vie. Un hymne à la vie, une ode à leurs amitiés sincères, intègres et respectueuses. Tous ces gens réunis afin de se dire au revoir, dans la joie. Tant pour remercier ces personnes d'avoir croisé leur chemin et tisser des liens, tant pour leur dire qu'ils ont été importants et signifiants. Mais aussi, un texte écrit par leurs enfants et des mots doux des époux. J'ai donc pris le temps de lire, de poser ma voix et de m'assurer que le rythme et le débit n'étaient pas rapides, mais vraiment des plus sentis. Ils avaient été écrits et pensés l'un pour l'autre. C'était pour la dernière occasion de profiter de la présence de tout un chacun.

J'ai demandé à la dame de se cacher les yeux avec ses mains, et fais signe à son mari de s'agenouiller. Il cachait dans son dos une fleur faite de ballons qui, par un des plus grands hasards, se trouvait dans ma valise de spectacle. Il l'offrit à sa douce et ce fut un tendre moment.

Quelque deux mois plus tard, je me trouvais sur la rue Saint-Denis à Montréal, toujours en personnage, durant le festival Juste pour rire. La fille du couple m'a reconnu, et m'interpelle. Elle me demande si je me souviens d'elle. Je lui souris et lui fais signe que oui. Elle me remercie encore pour ma présence, et me donne la nouvelle que ses parents sont partis, qu'ils ont quitté cette terre. Naturellement, je lui ai transmis mes condoléances, mais je lui ai dit que c'était l'une des journées les plus émouvantes et salvatrices, puisqu'elle m'avait transformé. J'avais compris que le rôle d'un clown allait bien au-delà des perceptions et des clichés, qu'il s'agissait en fait du médecin de l'âme. C'était donc à moi de la remercier.

J'étais donc effectivement à cet endroit pour apprendre, pour comprendre et ensuite retenir cette leçon de vie. Les amitiés que l'on sème et qu'on cultive sont la véritable richesse d'une vie. Voilà pourquoi il faut prendre le temps de s'arrêter, d'apprécier et de saluer ceux qui nous ont accordé le privilège d'affecter positivement leur parcours, de modifier leur route.

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