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Économie du jouet, le jeu de Lego

Les vitrines et les catalogues de Noël nous plongent dans l'embarras du choix, même lorsque nous connaissons les enfants auxquels nos cadeaux sont destinés: jeu de construction ou de ballon? Poupée ou peluche? Jeu de plateau ou sur écran?
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Lego est devenu le numéro un mondial du jouet, une industrie où la concurrence est intense tant en variété qu'en prix. Les vitrines et les catalogues de Noël nous plongent dans l'embarras du choix, même lorsque nous connaissons les enfants auxquels nos cadeaux sont destinés: jeu de construction ou de ballon? Poupée ou peluche? Jeu de plateau ou sur écran? Plus encore: boîte de Duplo ou de Mega Blocks? Barbie ou Disney Princess? Monopoly ou Trivial Pursuit? En outre, nous devons tenir compte des prix pour ne pas dépasser notre budget-cadeau. Tous les fabricants de jouets se battent pour une part de notre portefeuille. Reconstruisons brique par brique le Lego compliqué de la concurrence qu'ils se livrent.

Des consommateurs de jouets exigeants

Commençons par la structure. L'évolution du nombre et du comportement des enfants est un élément de base de l'économie du jouet. La population d'enfants est stable aux États-Unis et dans l'Union européenne tandis qu'elle a diminué au Japon - ces trois pays représentant les deux tiers du marché mondial du jouet. Elle a aussi diminué en Chine à cause de la politique de l'enfant unique. Pas encore l'Eldorado de ce côté-là. En outre, l'âge de l'enfance raccourcit. De plus en plus jeunes les enfants se disent «trop grands pour jouer». La demande naturelle décroissante, la concurrence entre fabricants devient mécaniquement plus forte.

Autre élément de l'ossature, le consommateur est très rarement l'acheteur. Les adultes n'achètent pour eux-mêmes que quelque pourcents de la production mondiale, mais ils payent tout le reste! Même chez Lego, les David Beckham qui achètent la boîte Taj Mahal (5 922 pièces ; 299,99 euros) pour leur loisir ne sont pas légion. Les politiques de marketing et de merchandising des fabricants de jouets doivent s'adresser aux yeux des enfants et au portefeuille des parents. Tâche délicate. Tous les parents le savent, leurs préférences ne sont pas forcément alignées avec celles de leur progéniture.

La Chine, atelier du père Noël

Côté production la structure tient en un chiffre: 80 % des jouets sont fabriqués en Chine. Le père Noël est Chinois. Comme la saisonnalité des ventes est très prononcée, les ajustements des entreprises pour s'adapter aux produits qui marchent sont limités. La chaîne logistique est rigide, car les jouets, sauf les plus chers, voyagent par bateau, non par avion. Compter quatre à cinq semaines entre Shanghaï et Le Havre.

La concurrence explique la localisation en Asie et la baisse des prix. Au début des années 1990, de premiers fabricants de jouets se sont tournés vers la Chine pour réduire leurs coûts. Depuis, presque tout le monde a suivi et donc les prix se sont mis à baisser. La baisse explique que la pile de jouets au pied des sapins s'élève chaque année un peu plus et que les chambres d'enfants débordent chaque année un peu plus.

Lego fait figure d'exception. Jusqu'en 2000 ses briques sont 100 % danoises. Aujourd'hui, elles sont aussi fabriquées au Mexique et en Europe de l'Est. Sa première usine en Chine est seulement en train de sortir de terre, mais elle est destinée à servir le marché chinois! Quant au prix de la brique Lego, il ne baisse significativement qu'à partir du début des années 2000 avec la restructuration de l'entreprise. Coûts élevés et diversifications hasardeuses dans les parcs à thème et le digital avaient conduit l'entreprise danoise à la quasi-banqueroute.

La concentration de la distribution est le dernier élément structurant. Les petits magasins de jouet spécialisés sont nombreux, de l'ordre de 20 000 en Europe, mais ils ne représentent qu'une très faible part des ventes. Les grandes entreprises spécialisées comme Toys «R» Us ainsi que les grands distributeurs comme Wal-Mart ou Auchan dominent le marché. Idem pour Amazon et eBay pour les ventes en ligne (le quart des achats aujourd'hui).

Face à cette concentration, l'industrie du jouet apparaît relativement fragmentée. Les cinq plus grandes compagnies ne détiennent qu'environ le tiers du marché mondial. Pour les États-Unis, cette part s'élève à la moitié, mais le rapport de force avec la distribution n'est pas pour autant plus favorable. Walmart, par exemple, représente de l'ordre de 40 % des ventes de chacune des deux plus grandes entreprises américaines de l'industrie, Hasbro et Mattel.

Segmentation et différenciation croissantes

Les briques de structure ne rendent donc pas la vie concurrentielle facile pour les entreprises du jouet. Heureusement pour elles, il y a des briques apparentes: celles de la segmentation et de la différenciation croissantes. La concurrence s'exerçant sur un terrain de jeu moins vaste et avec des produits moins substituables, son étau se desserre.

Prenons l'exemple de la séparation des jouets par genre. Dans un catalogue bien connu en Amérique du Nord, 2 % des jouets étaient explicitement référencés en 1975 soit pour garçon, soit pour fille. C'est plus de la moitié aujourd'hui. Il est devenu difficile de trouver un vélo pour enfant de 3 à 5 ans qui ne soit pas sexué. Grâce à la séparation des genres la concurrence entre les deux géants américains s'exerce moins frontalement: d'un côté, Hasbro avec Action Man, G.I. Joe et autres figurines de Star Wars ; de l'autre Mattel avec Barbie, Kitchen Play et autres American Dolls.

Mesurée au niveau du segment de marché, la concentration est beaucoup plus forte et moins favorable au pouvoir de négociation des distributeurs. La vente de boîtes de Lego représente 75 % du marché des jouets de construction. Celle de Barbie, avant son déclin, plus de la moitié des ventes de poupées.

Au sein des différents segments, la course à la différenciation a pris un nouveau virage. Les contenus en image et haute technologie se sont ajoutés aux marques et à toute une série de caractéristiques traditionnelles (couleurs, design, sécurité, etc.). Les jouets reflètent ou racontent une histoire. Celle du Réveil de la Force ou de La Reine des Neiges, par exemple. L'industrie du jouet est un consommateur insatiable de licences de films, en particulier ceux de Disney. Son chiffre d'affaires annuel est devenu dépendant du rythme des sorties des superproductions d'Hollywood.

Mais les entreprises produisent également leurs propres contenus pour doper les ventes. Les jouets Transformers d'Hasbro sont des héros du grand écran. La Grande Aventure Lego a été un succès commercial tant en salle que pour la vente de boîtes. Les jouets sont aussi devenus des objets technologiques. Ils communiquent entre eux et avec Internet, existent sous forme virtuelle en application pour tablette et téléphone. Un jouet intelligent ne désigne plus le contraire d'un jouet qui n'apprend rien à son utilisateur, il désigne un jouet qui est capable d'apprendre du comportement de son utilisateur pour mieux s'y adapter.

Une question de positionnement

Pour comprendre les effets de la segmentation et de la différenciation sur la concurrence, rien de mieux que la parabole du Marchand de glace. Deux glaciers doivent choisir leur emplacement sur une plage où les clients sont répartis uniformément. S'ils se placent au milieu, côte à côte, la rivalité sera la plus intense, mais chacun peut adresser toute la demande. S'ils se placent aux extrémités, chacun bénéficiera d'une clientèle en partie propre, car les vacanciers du bord de mer souhaitent marcher le moins possible pour acheter leur cornet. Moins de clients potentiels, mais aussi moins de concurrence, donc une meilleure marge unitaire. Un bon compromis peut être pour les marchands de s'installer à une distance raisonnable l'un de l'autre, par exemple entre le milieu et chaque extrémité de la plage.

Remplacez cette plage par une ligne imaginaire des préférences variées des consommateurs et la distance par le degré de différenciation des produits et vous obtenez une clef pour comprendre le positionnement des différents fabricants de jouets en matière de différenciation. Plus personne ne joue au milieu sauf les contrefacteurs qui imitent les produits à succès et les proposent moins chers. Un as joue aux extrémités, Lego devenu le premier producteur mondial. En moyenne, chaque habitant de la planète possède 86 briques. Une ou deux briques vont s'y ajouter à Noël.

Joue bien (LEg GOdt en danois) et Joyeuses Fêtes, cher lecteur.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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