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«Je tiens bon le temps, je tiens bon l'espérance»

Hier matin c'était tranquille dans ma ruelle. Je ne sais pas si c'est juste moi qui aie ralenti le tempo, ou la ville au complet. Il me semble que ça grouillait la veille, nous dans les quartiers généraux, dans les débats, dans les journaux, eux sur le perron, au coin de la rue, au dépanneur, dans la ruelle. Il me semble qu'il m'était impossible de sortir de chez moi sans tomber sur un voisin assoiffé d'analyses et de prédictions « pis, qui c'est qui va être élu tu penses ?». Ce matin il n'y avait personne. D'un bout à l'autre de la ruelle. Au dépanneur par contre, plus un seul journal. C'est peut-être ça qu'ils faisaient les gens, ils lisaient et relisaient et réfléchissaient. .
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Flickr: po.fortin

Hier matin c'était tranquille dans ma ruelle.

Je ne sais pas si c'est juste moi qui aie ralenti le tempo, ou la ville au complet. Il me semble que ça grouillait la veille, nous dans les quartiers généraux, dans les débats, dans les journaux, eux sur le perron, au coin de la rue, au dépanneur, dans la ruelle. Il me semble qu'il m'était impossible de sortir de chez moi sans tomber sur un voisin assoiffé d'analyses et de prédictions « pis, qui c'est qui va être élu tu penses ?». Ce matin il n'y avait personne. D'un bout à l'autre de la ruelle.

Au dépanneur par contre, plus un seul journal. C'est peut-être ça qu'ils faisaient les gens, ils lisaient et relisaient et réfléchissaient.

Peut-être que c'est septembre aussi qui nous repose, avec son odeur de rentrée scolaire. C'est peut-être la fin des vacances, et le retour apaisant d'une régularité d'habitude qui s'installe. Peut-être que les joueux de casseroles se sont remis à leurs bouquins, comme paniqués devant le retard et les travaux accumulés, réalisant que les révolutions québécoises n'auront jamais la gueule de la Révolution française, ni de mai 68. On se lève un matin, et on réalise que la nôtre est finie. Ah oui ? Tiens donc.

C'est peut-être la peur de la violence, et l'insécurité qu'on ressent tous quand on regarde, impuissants, des images qui tournent en boucle « d'un homme, d'un fusil, d'un mort, et d'un homme, d'un fusil, d'un mort, et... ». Quand on voit une première ministre se faire sortir de scène par ses gardes du corps, ça laisse un goût amer dans la bouche et des frissons dans le dos. On est peut-être mieux tranquilles à la maison finalement.

C'est peut-être aussi que ça fait un an qu'on s'attend à des élections « boite à surprise ». À ce compte, on devrait sans doute s'éviter tous ces sondages qui volent le « punch » et qui nous donnent l'impression qu'« on le savait déjà dans le fond », qu' « on l'avait vu venir ». Ça manque peut-être de piquant. Finalement, je me demande de quoi on se serait parlé si on s'était croisés dans la ruelle ce matin, les voisins et moi : « t'as vu, le petit Léo est rentré !». On étaient peut-être mieux de se taire finalement.

C'est peut-être aussi ce malaise qui nous habite, qui nous travaille. Comment se fait-il qu'après le printemps québécois, seulement 74,61 % des gens sont allés voter. On se serait attendu à 80%, 85%. Une personne sur 4, chez nous, notre monde, n'est pas allé voter malgré l'urgence de la situation qu'on a dépeinte, décriée, dénoncée, partout, tous les jours, depuis des mois.

C'est peut-être parce que les gens sont fâchés aussi qu'ils ne sortent pas aujourd'hui. Fâchés qu'après le printemps québécois, le PQ a eu moins de votes en pourcentage qu'en 2008, et seulement 3 sièges de plus. On n'appelle pas ça un revirement de situation. C'est peut-être juste une trêve du PLQ, tanné de la grève, comme les étudiants. « - On prend une pause ? - Ok ! ». Le PQ n'a rien allumé encore cette fois, je me demande même s'il reste de la braise au fond. Il a gagné par défaut dans une conjoncture parfaite, mais dans une proportion gênante. À l'inverse, le PLQ a perdu moins de 4500 votes entre 2012 et 2008. À croire qu'on ne vit pas tous sur la même planète.

C'est peut-être aussi le regret d'avoir voté « stratégique » qui surit le goût de la victoire. Je ne sais pas. Je sais seulement que Charest a perdu fort probablement à cause de la division de son vote avec la CAQ, que ça doit bien faire l'affaire du PQ finalement cette division. Je sais aussi par contre que c'est le PQ qui avait peur de la division du vote, qui a fait du millage avec ça contre ON et QS pendant 36 jours. Mais il me semble que pour le PQ, dans Nicolet-Bécancour, la division devenait une vengeance et que c'était correct. C'est mêlant dans le fond, vient un temps où on ne sait plus ça sert à qui, ou à quoi, ce vote stratégique. Bref, le vote stratégique, les gens sont peut-être tannés. J'espère. C'est peut-être cachés chez eux qu'ils ont eu envie de se demander pourquoi ils n'étaient pas si fiers ce matin. Ça ne nourrit pas ça, le vote stratégique.

Dans tous les cas, ce qui m'a glacé le sang hier dans ma ruelle, c'était le silence surprenant de mon quartier. C'était le choc de réaliser que peut-être, après de profondes luttes sociales qui l'ont animé sans relâche depuis le printemps dernier, mon pays s'était rendormi. Ce qui est le plus dangereux dans tout ça, c'est de tomber dans le piège de croire que c'est terminé. Parce que même si je sais que c'est dur de s'indigner, que c'est long d'attendre la victoire, que ça fatigue, que ça abîme; je préfère toujours mon Québec debout dehors fatigué, qu'endormi, cloitré, qui abandonne.

Mais en y repensant bien, je me suis dit que c'était rassurant ce silence. Il est sans doute, en quelque sorte, le résultat d'un pays qui se réfléchit, qui se questionne. Je ne suis pas inquiète : le bourdonnement reprendra de plus belle, tranquillement. Les luttes ne s'arrêtent pas quand on les porte en soi.

Même si elles se reposent parfois, en silence.

« Je tiens bon le temps, je tiens bon l'espérance » - Gaston Miron

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