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Charlie Hebdo: réflexions sur les évènements violents de la semaine dernière

L'inexcusable de l'acte tient au fait d'enlever la vie d'autrui de façon violente. Cette constatation élémentaire est nécessaire afin de réfléchir avec humanité, mais également de façon utile, sur la violence des derniers jours. Réfléchir sur pourquoi on tue des gens, pourquoi certaines personnes font ce choix et pourquoi cela nous horrifie autant.
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Les évènements qui ont secoué Paris et la France les 7, 8 et 9 janvier sont des évènements horribles et inexcusables. Leur caractère inexcusable se situe bien au-delà de tout ce qui a été dit au sujet des idéologies (que l'on ne partage pas), des personnes (qui ne sont « pas comme nous »), des politiques (qui ne sont pas les bonnes), de la sécurité (qui a failli) et de ce qui a été atteint de symbolique (la France, la liberté d'expression, le monde libre...). Bien avant toutes ces considérations, l'inexcusable de l'acte tient au fait d'enlever la vie d'autrui de façon violente. Cette constatation élémentaire est nécessaire afin de réfléchir avec humanité, mais également de façon utile, sur la violence des derniers jours. Réfléchir sur pourquoi on tue des gens, pourquoi certaines personnes font ce choix et pourquoi cela nous horrifie autant. Sans rien excuser du geste, on peut ainsi commencer à mieux y réfléchir. Afin de cheminer dans cette démarche, voici quelques pistes de réflexion portant sur l'acte terroriste, sur ceux qui l'ont perpétré et sur la cible qu'ils ont visée.

Réflexions sur le terrorisme

D'abord, de quoi parlons-nous? Un acte terroriste constitue un acte intentionnel, qui peut être politique, religieux ou criminel, destiné à produire des effets psychologiques. Pour ce faire, l'acte est usage ou menace de violence envers des individus ou objets (cibles primaires), dans le but d'atteindre et d'influencer un auditoire plus grand, mais relié aux victimes qu'il fait (cible secondaire). L'objectif est, règle générale, de terroriser, intimider et influencer les cibles secondaires afin d'atteindre un but politique ou idéologique, mais il peut aussi être de punir les cibles primaires ou le groupe auquel elles appartiennent.

Les attentats de Paris sont donc sans nul doute un acte terroriste. En usant de violence, ceux qui ont commis l'attentat ont non seulement puni leur cible primaire (l'équipe de Charlie Hebdo), mais ils ont également envoyé un message de menace (de terreur) visant à influencer un auditoire plus grand, mais relié aux victimes, c'est-à-dire les autres médias et de façon plus générale, tous ceux qui pourraient être tentés de se moquer du prophète (selon les paroles prononcées lors de l'attentat).

Une fois cette constatation faite, on peut écarter du discours sur les évènements quelques expressions erronées telles que « violence gratuite » (loin d'être gratuite, cette violence était murement réfléchie et a coûté la vie de ceux qui l'on perpétrée) ou « haine aveugle » (loin d'être aveugle, elle était très précisément ciblée et organisée), des termes qui ne font qu'ajouter à la confusion.

On peut ensuite s'interroger sur ce qui nous choque réellement dans l'usage du terrorisme. D'abord il génère généralement des morts. C'est le cas aussi de la guerre, dont on se scandalise moins, car elle ne cible pas (en principe) des civils. Comme on le sait pourtant, toutes les guerres font de nombreuses morts civiles. Par exemple, la guerre en Irak, dépeinte par nombre d'intellectuels et de politologues comme une « guerre juste », a fait quelques 119 359 morts civils entre 2003 et 2011 selon l'Irak Body Count. La guerre apparaît aussi comme moins choquante parce qu'elle suit certaines règles, telles que la déclaration de guerre. Pourtant de nombreux pays et structures internationales, comme les Nations unies, utilisent désormais divers euphémismes, tels qu' « opération militaire » ou de « maintien de l'ordre », pour contourner la déclaration officielle de guerre. Il n'en demeure pas moins que ce ne sont pas ces formes de guerres dissimulées, mais plutôt le terrorisme qui est perçu comme hypocrite et sournois parce qu'il ne peut s'annoncer. En effet, ce qui permet à l'acte terroriste un grand impact avec peu de moyens est en bonne partie son caractère imprévisible.

Le terrorisme est donc considéré comme un mal abominable et les terroristes traités de barbares et de forcenés. Soit, l'acte est répréhensible. Tuer des gens est toujours terrible. Mais il appert étonnant que seuls certains actes de terrorisme trouvent un écho retentissant dans les médias et un public prompt à en décrier l'horreur...

Alors que tous les yeux étaient tournés vers les tragiques évènements de Paris qui ont couté la vie à près de 20 personnes, la secte Boko Haram assassinait 2000 Nigérians dans un acte de terrorisme religieux sans précédent. Même religion, même violence, 100 fois plus de morts et surtout, une folie meurtrière loin d'être terminée. Pourquoi cette violence ne soulève-t-elle pas 100 fois plus de colère et d'incompréhension ? Ne produit-elle pas 100 fois plus de Unes et d'articles, de compassion et de solidarité ? Ces questions sont intéressantes, car elles mettent en doute le fait que ce soit le terrorisme ou encore l' « islam radical » qui nous choque tant. Plutôt que le caractère même du terrorisme (qui tue des civils par surprise) ou ce qui le motive (dans ce cas-ci la religion) ne serait-ce pas plutôt notre proximité avec les victimes qu'il fait qui nous horrifie ? Avant de décrier à qui veut l'entendre la méthode et l'objectif, il faudrait peut-être avoir l'humilité de réaliser que cette même méthode (millénaire et utilisée par la gauche, la droite, toutes les religions et de nombreux États) de même que ce qui l'inspire (ici l'islam radical ou l'intégrisme) nous indiffèrent au quotidien...

Réflexions sur le terroriste

Sachant que ce n'est ni la méthode ni l'objectif, peut être que la réponse à la question « Qu'est-ce qui nous horrifie autant ? » se situe dans la personne qui perpètre l'acte terroriste. On la dit barbare et on fait tout pour la dépeindre comme inhumaine, l'éloigner de nous le plus possible.

Au Québec, on peut penser à de nombreux exemples de « terroristes » qui se sont évités le titre peut-être justement parce qu'on souhaitait éviter d'admettre qu'ils étaient des nôtres. C'est le cas entre autres de Marc Lépine qu'on a dit malade et de Richard Henry Bain, malade aussi. C'est le cas également de Justin Bourque, qui a tué trois agents de la GRC au printemps dernier et dont le discours et la cible (visée pour ce qu'elle représente) s'apparentent de façon éloquente à l'idéologie libertarienne, qui a elle-même produit son lot de terrorisme intérieur. Pourquoi ce jeune Canadien blanc n'a jamais été traité de terroriste ? Comme d'autres, Justin Bourque a plutôt été étiqueté « loup solitaire », une étiquette qui non seulement rappelle son caractère « inhumain », mais évacue aussi la possibilité qu'il appartienne à une idéologie théorisée et partagée par plusieurs autres individus pas plus malades que lui...

Dans le cas des attentats à Charlie Hebdo, il serait difficile de dépeindre les terroristes comme autre chose que des terroristes. Leur action était bien organisée, leur discours cohérent (à l'intérieur de ses propres limites) et ils se sont eux-mêmes revendiqués d'un réseau terroriste bien connu. Afin de signifier leur distance vis-à-vis de notre humanité, on dépeindra donc les terroristes comme des islamistes radicaux. Soit, c'est ce qu'ils étaient. Mais ils étaient également des Français. Des Français nés en France de parents français. Voilà qui crée une proximité inconfortable entre nous et eux. Il s'agit de Français ni fous ni solitaires qui se sont « radicalisés ». Ils n'ont rien connu de la charia, des pressions et de l'endoctrinement forcé que vivent d'autres de par le monde, mais plutôt, ils ont été abandonnés par un État, un système scolaire, une société qui les ont laissé tomber, humiliés peut-être, exclus surement et les ont laissés se radicaliser dans l'indifférence.

Cet abandon appert être un problème bien plus concret et immédiat, - et donc important à réfléchir puisqu'il est possible d'agir sur lui - que celui de l'islam radical qui est vaste, mal compris de la grande majorité et sur lequel il est difficile d'avoir prise. Plutôt que de demander à tous les musulmans de se dissocier de l'acte terroriste il vaudrait mieux que chaque citoyen s'interroge sur ce qui n'a pas été fait et qui aurait dû être fait pour éviter qu'un voisin, un collègue, un concitoyen « se radicalise ». Plutôt que de chercher à voir la différence entre nous et le terroriste, peut-être faudrait-il davantage tabler sur sa proximité avec nous, pour mieux le comprendre et empêcher que d'autres de nos semblables ne fassent le choix de la violence.

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Réflexions sur la cible visée

Un autre élément qui pourrait expliquer notre horreur face aux évènements de Paris est la cible de leur violence. Nous avons évoqué plus haut dans notre définition du terrorisme les victimes civiles que fait souvent le terrorisme, dans ce cas-ci l'équipe de Charlie Hebdo. Mais au-delà des cibles humaines, la cible symbolique du média et avec lui de la liberté d'expression semble avoir énormément marqué l'imaginaire.

Depuis mercredi, nombre d'individus se sont révélés de fervents défenseurs de la liberté de presse citant Voltaire à tout va et réprimandant ceux qui osent énoncer leur malaise face à l'humour douteux de Charlie Hebdo. Si la liberté de presse est en effet un pilier de la démocratie qu'il importe de préserver, elle subit chaque jour des assauts inacceptables dans une relative indifférence. Au Canada, le traitement brutal de journalistes lors de manifestations, les tentatives d'attenter au secret des sources, la convergence endémique des médias, le dédain du premier ministre pour les journalistes et le silence imposé aux scientifiques ne rencontrent que peu de levées de boucliers dans l'opinion publique.

En phase avec cette tendance à l'indignation sélective, pendant que tout ce que le Québec et le Canada comptent d'élus s'est empressé « d'être Charlie », le blogueur Raif Badawi, dont la femme et les enfants résident à Sherbrooke, recevait vendredi 50 coups de fouet pour « insulte à l'Islam » par un pays « ami » du Canada et du Québec dans l'indifférence des deux gouvernements restés sourds aux requêtes des représentants d'Amnistie internationale leur demandant d'intervenir (ce que nombre d'autres États ont fait).

Si le blogueur saoudien est puni pour une offense religieuse, il serait faux de croire que les États laïques sont à l'abri de telles atteintes à la liberté de presse. Dans le classement de Reporters sans frontières pour 2014, des trois pays où la liberté de presse est virtuellement inexistante soit l'Érythrée, la Corée du Nord et le Turkménistan aucun n'a de religion officielle et seule la population du Turkménistan est à plus de 50% musulmane. Rappelons également que la lutte contre le terrorisme elle-même est utilisée par de nombreux États (tels que les États-Unis) pour restreindre la liberté d'expression et contraindre les journalistes à révéler leurs sources ou à taire certaines informations. Comme quoi en appeler de la lutte au terrorisme pour protéger la liberté de presse et la démocratie est une arme à double tranchant...

Éviter les pièges

Cette réflexion sur la violence, sur notre rapport à elle et sur ce qui peut et doit être fait pour l'endiguer est cruciale. Elle est cruciale afin de ne pas fuir par en avant dans le repli identitaire. Afin de ne pas s'enliser dans la paranoïa sécuritaire. Il faut également, même dans la douleur, être prudents quant aux solidarités qui se créent. Il importe de bien écouter les discours, de s'interroger sur les motivations de ceux qui les tiennent et de prêter attention aux solutions proposées. Ciblent-elles des pistes de solutions utiles ou s'agit-il simplement de mots creux et rassembleurs visant à fédérer un peuple meurtri autour d'idées autres que celle de mettre fin à la violence ?

De la même façon que « l'islam radical » est une bien mauvaise cible à viser si l'on souhaite arriver à quelque chose, ce n'est pas le terrorisme qu'il faut combattre. Le terrorisme n'est qu'une simple tactique qui continuera d'être mise au service de tout et de son contraire. Ce qu'il faut incessamment combattre, c'est l'obscurantisme, la haine et le fanatisme qui sont nourris par la haine, l'exclusion, l'injustice. C'est sur ces menaces qu'il faut réfléchir et agir.

Le terrorisme ne souhaite pas nous désolidariser, il souhaite que la peur modifie nos actions. En ce sens ce n'est pas l'unité nationale ou la défense d'idéaux que l'on oublie dès que la poussière retombe qui importent, mais bien de ne pas avoir peur, car cela rend le terrorisme caduc. Cela veut aussi dire ne pas avoir peur de l'autre. Cesser de se conforter dans des raccourcis de la pensée qui nous évitent de tourner le regard vers nos incohérences et nos lâchetés en rejetant la faute sur l'autre et en s'érigeant en défenseurs du monde libre. Le contraire de la peur de l'autre, c'est l'ouverture et il vaut mieux, et de loin, préférer les hommes aux idées.

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