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Pourquoi les femmes sont-elles parfois considérées comme excessives?

Leurs consommations, non plus avouées, mais brandies, deviennent les marques de leur féminité, les emblèmes de leur féminisme. Et si la consommation faisait la nouvelle femme ? Et si la sur-consommation forçait à la reconnaissance sociale ?
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Didier Nourrisson, auteur de Au péché mignon. Histoire des femmes qui consomment jusqu'à l'excès. Paris, Payot, septembre 2013.

Les sociétés décrètent, souvent par la loi sinon par la norme, les limites de l'usage et de l'excès. Tolérantes ou intolérantes, elles créent la licéité des produits et bien vite identifient, séparent les bons et les mauvais consommateurs, disqualifiant les seconds pour mieux intégrer les premiers.

L'histoire de la consommation est toujours réalisée à hauteur d'homme, dans l'indistinction générique du terme, et finalement, - parce que cette histoire est dominée par la gent masculine -, comme une histoire virile. Les statistiques de consommation n'intègrent guère la variable sexe. Et les archives croûlent de documents d'origine masculine (juges, médecins, prêtres, policiers, politiques, artistes, écrivains). N'existe-t-il pas pourtant une manière féminine de consommer ? C'est une autre façon de considérer - ou de déconsidérer - les consommatrices.

Cette double histoire,- qui n'est pas sans trouble -, commence au XVIe siècle. Sans aucun doute, elle hérite des mythes et des représentations féminines antérieures depuis la biblique Eve ou la gréco-romaine Pandore qui fossilisent la femme fatale dans la (dé)mesure de la consommation. Avec la Renaissance, vient une "nouvelle Eve", Marie, pour prêcher la tempérance. Avec les Grandes Découvertes se multiplient les tentations. Les "grandes" consommations commencent, souvent dans le scandale et la provocation. Elles sont le fait de dames de pouvoir, de Catherine de Médicis à la Pompadour, de Diane de Poitiers à Marie-Antoinette : bijoux, vêtements, chocolat, café. Elles touchent aussi des milieux plus populaires. Elles ont déjà leurs sanctions morales : sorcières du XVIe, ivrognesses du XVIIIe. Les femmes excessives brûlent du XVIe au XVIIIe siècle : les sorcières pour pratiques infernales et commerce satanique sont mises au bûcher ; les ivrognesses se consument selon les observations médicales en "combustion humaine spontanée".

La Révolution industrielle, qui démarre au début du XIXe siècle, jette sur le marché de la consommation des masses de produits, parfois entièrement nouveaux, issus de la chimie (médicaments), de l'industrie métallurgique (bicyclette, automobile), parfois renouvelés dans leur présentation (cigarettes), toujours valorisés par une publicité qui s'adresse de plus en plus à la femme. Cette société de consommation embrasse jusqu'à nos jours les femmes en masse. Celles-ci sont alors qualifiées d' "hystériques", atteintes de "fièvre acheteuse". Les consommations alimentent les stéréotypes des excès vus au féminin : "morphinées" au XIXe siècle, "toxicomanes" au XXe, sans oublier les innombrables (et parfois comptabilisées) "buveuses", "fumeuses". A l'opposé de ces figures de l'excès, se trouvent toujours les militantes de la vertu, de la modération et de la tempérance. Mais il s'agit, si l'on peut dire, d'un excès en creux, comme l'anorexie est l'inverse de l'obésité mais semblable maladie de l'extrême.

Des porte-paroles de la consommation au féminin, il en est plein au temps de : George Sand, mais aussi Eugénie de Montijo, La Goulue, Colette, et encore Françoise Sagan, Marguerite Duras... Cocottes, Bas-bleues, garçonnes, féministes, elles sont aussi porte-cigarettes, porte-toilettes, porte-jarretelles, ou porte-bouteilles. Elles s'exposent en exposant. Leurs consommations, non plus avouées, mais brandies, deviennent les marques de leur féminité, les emblèmes de leur féminisme. Et si la consommation faisait la nouvelle femme ? Et si la sur-consommation forçait à la reconnaissance sociale ?

Ce tableau de Gwozdecki montre Kiki de Montmartre dans les années 1920 comme figure de l'excès : un séduisant (et effrayant) visage lourdement fardé posé sur un pied de verre. Un prototype de consommatrice ?

94. Amrita Acharia

Les femmes les plus désirables en 2013

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