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Élections afghanes: que pensent les Pakistanais?

Quand on parle de l'Afghanistan, forcément prendre en compte la politique pakistanaise. Le gouvernement Sharif l'a fait clairement savoir: le Pakistan n'a pas de favori dans la campagne présidentielle.
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Les précédentes chroniques ont parlé des élections au sens large, et sont restées strictement sur le terrain afghan. Mais il faut savoir faire le lien entre le local et le régional, si on veut avoir une chance de comprendre ce qui se passe... Et cela veut dire, quand on parle de l'Afghanistan, forcément prendre en compte la politique pakistanaise.

Le gouvernement Sharif l'a fait clairement savoir: le Pakistan n'a pas de favori dans la campagne présidentielle. Le conseiller diplomatique du premier ministre, Tariq Fatemi, a même critiqué les logiques interventionnistes du passé. Ces dernières expliquent, après tout, une partie du sentiment anti-pakistanais très répandu en Afghanistan. Bien sûr, cela ne veut pas dire un manque d'intérêt pour ces élections, mais plutôt la continuation d'une politique qui a été initiée sous le gouvernement Zardari. Les Pakistanais n'ont pas la confiance des Afghans, ils le savent, ils essayent donc de changer les perceptions afghanes et internationales en se présentant comme une partie de la solution plutôt qu'une partie du problème. Le premier ministre Nawaz Sharif axe sa vision des choses d'abord sur l'économie, ce qui explique son désir de paix aux frontières, que ce soit avec l'Inde ou l'Afghanistan.

Le besoin d'apaisement avec l'Afghanistan est également dû à un "ras-le-bol" populaire face aux conséquences de la "guerre contre le terrorisme": pour les Pakistanais, elle a signifié une chute de leur pays dans une guerre civile limitée dans les zones tribales, accompagnée de campagnes terroristes tuant de simples citoyens et faisant fuir les investisseurs. Pas moins de 50. 000 Pakistanais sont morts dans une guerre qu'ils ne considèrent pas comme la leur. La politique menée ces dernières années ne vise donc pas qu'à créer une situation de bon voisinage. Il est tout simplement compris côté pakistanais que stabilité afghane veut également dire stabilité pour leur propre pays, et peut-être, à terme, un retour à la normale, à une situation de paix.

Il est important de rappeler que l'armée pakistanaise suit pleinement cette politique d'apaisement. Ce n'est pas particulièrement étonnant: les caricatures de cette institution pakistanaise, de la part d'étrangers n'étant pas revenus dans le pays depuis bien longtemps, et d'une élite occidentalisée locale bien déconnectée plus à l'aise à New York qu'à Peshawar, sont bien loin de la réalité. Cette armée, ainsi que les services de renseignement qui lui sont rattachés, a beaucoup changé cette dernière décennie. Ils ont connu la guerre sur le territoire national, en zones tribales. Les soldats et les officiers ont connu le ciblage terroriste dans les grandes villes pakistanaises, jusqu'au cœur du Pakistan militaire, Rawalpindi. Beaucoup d'officiers qui seront généraux dans quelques années ont perdu un proche, un frère, parfois une jambe, dans la version pakistanaise de la guerre contre le terrorisme.

En fait, ils sont aujourd'hui bien moins accommodants que le pouvoir civil face aux talibans. Alors que le gouvernement cherche à trouver une solution politique face à ces rebelles pachtounes au Pakistan, pour les militaires, il serait préférable d'attaquer le dernier territoire que les talibans pakistanais et leurs alliés, afghans et autres, tiennent encore en zone tribale, le Waziristan du Nord. L'institution militaire ne se cache pas de faire du lobbying dans ce sens auprès du pouvoir démocratiquement élu.

Du coup, pour l'armée encore plus que pour les élites politiques, il est important de voir une relation apaisée se forger dans les prochains mois avec le nouveau président afghan. Stabiliser les zones pachtounes à la frontière avec l'Afghanistan ne pourra se faire qu'avec le soutien de l'armée afghane: pour l'armée pakistanaise, il est donc essentiel de convaincre celui qui remplacera Karzai de la sincérité de l'ensemble de l'Etat pakistanais. Ce qui, on l'espère, ne sera pas si difficile: après tout, les talibans afghan et pakistanais travaillent déjà ensemble pour déstabiliser autant Kaboul qu'Islamabad...

On fera d'ailleurs remarquer que si le premier tour des élections afghanes a pu se passer de façon aussi calme, c'est en bonne partie parce que l'armée pakistanaise a fait tous les efforts nécessaires pour empêcher toute infiltration militante du Pakistan vers l'Afghanistan pendant cette période. On entend de là les géopoliticiens de salon, à Paris et ailleurs, réagir à cela en disant "pourquoi est ce qu'ils ne le font pas tout le temps?"

Deux réponses à cela:

  • La difficulté géographique (on oublie si facilement cette contrainte quand on analyse le monde de son salon à Paris ou ailleurs...)
  • L'OTAN et l'armée afghane n'y arrivent pas non plus, ce qui explique la présence de taliban pakistanais en Afghanistan, notamment dans la province de Kounar.

Fait intéressant, les Pakistanais retiennent leurs critiques sur ce sujet: tout simplement parce qu'ils ont compris que les récriminations mutuelles ne serviront à rien. Les talibans afghans et pakistanais travaillent clairement ensemble pour déstabiliser Kaboul et Islamabad. Il est temps pour les autorités afghanes et pakistanaises d'en faire de même pour éliminer ces forces anti-gouvernementales. Cette approche semble avoir été comprise au plus haut niveau de l'État pakistanais.

En fait, quand on regarde Islamabad tout en suivant les évolutions à Kaboul, on se rend compte qu'on est à un tournant: même s'il y a une méfiance d'État à État, des deux côtés, il y a un certain espoir de coopération, d'amélioration de la relation dans les mois à venir. Certes, le discours de campagne des principaux candidats afghans n'a pas été tendre avec le Pakistan. Mais Ghani (31,5% des voix selon la commission électorale indépendante d'Afghanistan le 26 avril) a répété à plusieurs reprises qu'il voulait améliorer les relations entre Islamabad et Kaboul, et qu'il agirait dans ce sens s'il était élu. Et Abdullah Abdullah (44,9% des voix selon la commission à la même date) a fait savoir très clairement qu'il voulait créer un rapport bilatéral sain avec le Pakistan. Il a également déclaré qu'il était prêt à parler de tous les problèmes qui pourraient gêner la bonne relation entre les deux pays à l'avenir.

Certains analystes occidentaux qui ne sont pas allés au Pakistan depuis bien longtemps, et quelques vieux nationalistes pakistanais qui n'ont aucune influence depuis les années 1980, mettent en avant les origines tadjikes d'Abdullah comme étant un problème pour les bonnes relations entre Kaboul et Islamabad à l'avenir. Certes, par le passé, l'État pakistanais a soutenu plutôt les Pachtounes à tendance islamiste pour avoir un certain contrôle sur le nationalisme de cette communauté, et éviter que l'orientation de Kaboul soit anti-pakistanaise. Mais c'est le problème de l'analyse de ceux qui sont déconnectés du terrain: cette logique date d'il y a 20 ans et n'est plus forcément d'actualité. Sur plus d'une décennie, les Pakistanais ont eu comme partenaire Hamid Karzai, une Pachtoune, qui a eu une politique erratique, mais très souvent critique, avec le Pakistan. Islamabad a bien compris, ces dernières années, que chercher à appuyer un fonctionnement politique injuste où les Pachtounes domineraient les autres groupes ethniques, comme par le passé, n'avait plus aucun sens. Aujourd'hui les Pakistanais sont prêts à travailler avec quiconque leur assurera de saines relations bilatérales.

Les Américains ont appuyé, voire en partie incité, cette évolution positive. Leur Représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan James F. Dobbins a fait passer un message très clair aux deux pays: ils doivent pouvoir se parler pour travailler ensemble et ainsi mieux contrôler leur frontière commune. Les trois principaux acteurs en "AfPak", Kaboul, Islamabad, et Washington, semblent donc être sur la même longueur d'onde... mais cette entente pourrait être de courte durée, et il serait dans l'intérêt des diplomates européens d'encourager l'actuelle bonne volonté afghano-pakistanaise.

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