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Le tatouage, cette nouvelle forme de signature personnelle

Le tatouage est une marque corporelle courante dans les sociétés humaines. Longtemps cantonné à la marginalité, il s'inscrit désormais dans une démarche d'embellissement consumériste.
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Le tatouage est une marque corporelle courante dans les sociétés humaines. Il consiste dans l'inscription durable ou définitive de signes sur la peau à travers l'injection d'encre dans le derme. Longtemps cantonné à la marginalité, les années 60 voient son essor régulier dans un contexte d'opposition à la guerre du Vietnam, de la mouvance hippie, de la lutte pour les droits civiques, de la libération des femmes, des homosexuels, de la libération sexuelle, etc.

Le tatouage était plutôt masculin, populaire, machiste, souvent agressif ou scatologique, relevant surtout de la bande dessinée, il devient alors un art corporel à part entière. Avec l'arrivée d'une nouvelle génération de tatoueurs. Il s'ouvre définitivement aux femmes sans ternir leur réputation. Ce ne sont plus les seuls biceps ou les torses des hommes qui sont privilégiés, mais maints autres endroits du corps. L'engouement pour le tatouage accompagne le mouvement de libération des individus dans nos sociétés. L'individualisation du sens, le fait de vivre avec des significations et des valeurs personnelles, aboutit aussi à une volonté d'individualiser son corps.

Dans nos sociétés contemporaines, la peau se mue en instance de fabrication de la présence au monde dans une société où prime l'apparence, la nécessité du look. Surface d'inscription, elle devient un écran où l'on projette une identité rêvée, en recourant aux innombrables modes de mise en scène de l'apparence régissant nos sociétés, elle enracine le sentiment de soi dans une chair qui individualise. Si la peau n'est qu'une surface, elle est la profondeur figurée de soi.

Le tatouage est aujourd'hui investi comme signe d'embellissement du corps, il n'est plus nécessairement associé à la marginalité (à moins d'une volonté délibérée d'afficher des figures agressives ou obscènes, ce qui est nettement plus rare aujourd'hui). Son paradoxe est de marquer le corps sans rémission et de devenir un signe d'identité. On se tatoue un motif à dix-huit ans, mais on meurt à quatre-vingt. La métamorphose de l'apparence est inscrite une fois pour toute dans la chair, elle contribue au sentiment de soi. Le tatouage aujourd'hui se mue en culture, et non plus en engouement provisoire. Cette passion commune s'inscrit dans une ambiance sociale où le corps est perçu comme un élément de la construction de soi.

La marque corporelle dessine une limite symbolique sur la peau, elle fixe une butée dans la recherche de signification et d'identité, elle est une sorte de signature de soi par laquelle l'individu s'affirme dans une identité choisie. Tentative de se différencier, d'établir une frontière entre soi et les autres, tout en ménageant des passerelles pour ne pas se perdre dans la solitude. Nombre de tatoués mêlent un discours de singularité et le sentiment de participer à un courant de fond de la société. "Je voulais absolument me différencier. Tous mes copains sont tatoués, alors j'ai fait comme eux", dit Jérémy (18 ans). La contradiction n'est pas perçue car elle participe des logiques de consommation. Nous sommes aux antipodes des attitudes rebelles des années quatre-vingt, et à l'inverse dans une attitude consumériste qui s'ignore. Le tatouage est aujourd'hui banalisé, il ne recèle rien de subversif, il est l'affirmation d'une esthétique de la présence.

Il n'est plus, comme autrefois, une manière populaire et un peu voyou, d'affirmer une singularité radicale, il touche toutes les classes d'âge, mais surtout les jeunes générations, toutes conditions sociales confondues, il sollicite autant les garçons que les filles. Les seules différences portent sur les motifs dessinés, leur surface et leur localisation pour les tatouages, et sur les lieux du corps pour le piercing. Le tatouage confirme le garçon dans sa virilité, et la fille dans sa féminité. Le tatouage, le piercing, comme les vêtements ou les manières de se coiffer, de se raser, de s'épiler, de colorer ses cheveux ou d'arborer des bijoux, sont devenus pour les jeunes générations des manières de bricoler le sentiment de soi, de se jouer de son identité pour se rapprocher d'une image plus propice. Ces recours renvoient à une volonté de contrôler la définition intime et surtout sociale de soi. Si on ne peut exercer de contrôle sur ses conditions d'existence, on peut au moins changer son corps. Pour les jeunes générations, le tatouage un élément de choix pour apprivoiser le passage à l'âge adulte.

Être soi n'est plus une évidence, mais un travail qui impose de posséder la panoplie requise. Dans un monde d'images, il faut se faire image. La crainte est celle de l'indifférenciation, souvent évoquée dans le discours des jeunes adeptes à travers le repoussoir de la "masse" ou du "blaireau de base" censé être enfermé dans le cycle infernal du "métro, boulot, dodo" et, en toute logique, fuir tatouage ou piercing comme la peste. La marque est une protection assurée contre ces horreurs.

Cet attrait pour le corps remanié, décoré, n'est pas sans lien avec le surinvestissement du corps à cette période de l'existence, l'inquiétude face à un corps devenu enjeu fondamental de la relation à autrui dans ce souci de l'apparence qui hante souvent les jeunes dans le contexte contemporain. En se tatouant, en se perçant, en scarifiant son corps, le jeune en prend symboliquement possession, il le marque du sceau de son contrôle. Dans l'imaginaire d'un adolescent une aura de transgression subsiste qui lui donne, une fois tatoué, le sentiment de devenir enfin adulte. Les signes corporels sont investis avec fougue comme symbole d'une maturation personnelle et d'une attitude critique envers le reste de la société. Il s'agit de se poser en s'opposant tout en s'affiliant malgré tout à ceux qui sont dans une démarche similaire.

Le tatouage rehausse le sentiment de soi en faisant de l'individu le représentant d'un air du temps qu'il pense avoir choisi lui-même. Beaucoup d'adolescents arborent ainsi paradoxalement des "uniformes" qui les démarquent d'emblée au regard en les rendant pourtant presque interchangeables pour un regard non informé. Manière de se rassembler en se ressemblant, de proclamer visiblement une identité de classe d'âge tout en croyant "narguer la société" et ses "conformismes". Signe obligé pour une classe d'âge d'une excentricité ludique toute à l'honneur de son porteur, le tatouage s'affiche désormais dans les spots publicitaires, les magazines de mode, le monde du show business, les reality shows, les espaces sportifs, etc. On en voit aisément la surenchère dans la natation ou le football. Les jeux Olympiques de Londres, en été 2012, en furent une illustration. Les boutiques londoniennes furent prises d'assaut tout l'été. Le corps nu semble devenir insupportable, il appelle aussitôt un fantasme de remplissage.

La surface cutanée ainsi détachée rayonne d'une aura particulière. Érotisée, surinvestie, elle ajoute un supplément de sens et de jeu à la vie personnelle. Elle est souvent vécue comme la réappropriation d'un corps et d'un monde qui échappent, on y inscrit physiquement sa trace d'être, on prend possession de soi, on inscrit une limite (de sens et de fait), un signe qui restitue au sujet le sentiment de sa souveraineté personnelle. La marque est une limite symbolique dessinée sur la peau, elle fixe une butée dans la recherche de signification et d'identité. Elle est une histoire que l'on se raconte par la peau et que l'on propose volontiers aux autres.

Touche d'originalité, ou vécue comme telle, le tatouage enveloppe le corps de narcissisme. Autour de son motif l'image de soi se reconstruit de manière heureuse, il est perçu non seulement comme faisant intégralement partie du corps, mais comme étant sa part la plus digne d'intérêt. Souvent associé à un talisman, à un bouclier contre les menaces de la vie courante, à une touche personnelle, à un souvenir, il procure une force intérieure, une maturation. Il est en tous cas toujours une touche de plaisir.

À la fois objet privé et public, le tatouage est destiné à l'appréciation des autres, même s'il participe de l'intimité. Élément courant de la construction de soi dans un monde où il importe d'attirer l'œil avec un signifiant socialement porteur. Le répertoire de la séduction inclut désormais ces décorations cutanées qui participent de plus en plus à la mise en valeur de l'apparence.

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