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La démocratie et la laïcité en régression en Turquie

Comment le président turc a-t-il réussi à s'emparer d'un régime autoritaire qui s'ouvrait à la démocratie pour imposer un régime islamiste non moins autoritaire?
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Comment le président turc Erdogan a-t-il réussi à s'emparer d'un régime autoritaire qui s'ouvrait à la démocratie pour imposer un régime islamiste non moins autoritaire et gruger la laïcisation de son pays de façon systématique ?

Recep Tayyip Erdoğan a été maire d'Istanbul, président du parti islamiste APK, premier ministre de la Turquie depuis 2003 et président de ce pays depuis 2014. Ses premières déclarations qui ont suivi l'élection au pouvoir du parti islamiste AKP se voulurent rassurantes : « Les yeux des musulmans sont en ce moment rivés sur la Turquie, qui donne l'exemple de ce que l'islam et la démocratie sont compatibles. » Mais petit à petit, plusieurs mesures ont grugé la démocratie et la laïcité en Turquie. Le rejet de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne et la compétition d'influence avec l'Iran et l'Arabie ont accéléré cette dynamique de ces mesures à contre-courant de l'ouverture démocratique. Les procès intentés aux généraux ont neutralisé l'armée qui jusque-là défendait l'héritage de laïcité depuis Atatürk.

Il y a aujourd'hui 85 000 mosquées en Turquie, dont 17 000 ont été construites au cours des dix dernières années. Le nombre d'étudiants dans les institutions du secondaire immam hatip préparant à la formation d'imams est passé de 90 000 en 2004 à 474 000 en 2014. Selon Erdogan, on ne peut être à la fois laïc et musulman et seuls les imams devraient célébrer les mariages. Erdogan a autorisé le port du voile, jusque-là interdit dans les universités depuis la révolution d'Atatürk. Par ailleurs, il a jugé que l'égalité homme femme était «contre nature.» Un ministre en exercice a déclaré: « Une femme non couverte est comme une maison sans rideau. Or, une maison qui n'a pas de rideau est à vendre ou à louer ». Selon Erdogan, tout alcool devrait être interdit.

Des accusations de corruption lancées contre 4 ministres turcs ont été légalement abandonnées en décembre 2014 et il en a été de même pour celles qui furent portées contre Erdogan. Il a été décidé de détruire les pièces à conviction impliquant Erdogan, son fils et les ministres visés; l'enquête même a été abrogée. Des milliers de policiers et des juges ont été mutés sous prétexte qu'ils adhéraient au mouvement philanthropique du Hizmet de Fethullah Gulen et un grand ménage se poursuit dans la police et la justice turques.

Selon le classement mondial de la liberté de presse de Reporters sans frontières, la Turquie occupe la 154e place sur 180 pays et est passée au premier rang en ce qui concerne le nombre de journalistes emprisonnés. À titre d'exemple, 153 journalistes ont été blessés et 39 autres ont été détenus durant les manifestations de Gezi Park. L'état turc a également tenté de contrôler l'Internet et d'interdire Tweeter. Par ailleurs, les accusations d'offense à la présidence ou à l'islam couvrent de plus en plus de terrain et la liberté d'expression est en recul.

Jusqu'à tout récemment, la Turquie a refusé de reconnaître l'État islamique comme terroriste, mais ce qualificatif a été attribué au mouvement du Hizmet qui n'a jamais souscrit à la violence. En outre, tous les honneurs ont été réservés à des personnalités du Hamas et d'Al-Qaeda considérées comme terroristes par les Nations unies.

« Si Israël se défend des futures attaques du Hezbollah, la Turquie rejoindra l'Iran et la Syrie pour combattre l'État juif » a déclaré Erdogan lors d'un voyage au Liban. Ainsi, la philosophie appliquée par Erdogan repose sur le refus du droit à l'autodéfense aux non-musulmans ou dhimmis. Il a exigé des excuses d'Israël pour l'arraisonnement du bateau turc Mavi Marmara ainsi que du pape Benoit XVI pour avoir cité des critiques de l'imposition de la foi par la violence dans son discours de Ratisbonne. Ses propres déclarations anti-israéliennes réitérées ont revêtu un caractère antisémite par le biais de critiques insidieuses visant la diaspora juive. La population juive de Turquie de 17 000 âmes (autrefois de 100 000) se réduit comme une peau de chagrin. Par ailleurs, on note une augmentation inquiétante du nombre d'agressions contre des prêtres chrétiens. Erdogan va même jusqu'à accuser Israël d'avoir surpassé Hitler dans la barbarie et d'être derrière les manifestations de millions de Cairotes qui ont abouti au limogeage du président Morsi affilié au mouvement des Frères musulmans.

Erdogan considère le conseil de sécurité de l'ONU et le comité d'attribution du prix Nobel comme des institutions chrétiennes. À propos des Occidentaux, il déclare : « Croyez-moi, ils ne nous aiment pas. Ils veulent notre mort et aiment voir nos enfants mourir. Combien de temps encore allons-nous le tolérer ? »

Les ambitions néo-ottomanes d'Erdogan sont celles d'un calife du temps de l'apogée politique de l'islam. Ses mesures maccarthystes et ses déclarations à l'emporte-pièce déçoivent ceux qui ont mis leurs espoirs dans une Turquie qui symboliserait un islamisme modéré. À long terme, il y a tout lieu de s'inquiéter des mesures d'islamisation en Turquie lorsqu'elles sont accompagnées d'accusations insensées et de hargne à la manière des radicaux islamistes qui font la une de nos jours.

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