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La fois où j'aurais aimé ne pas être mère

Après en avoir discuté, d'autres membres de l'équipe avaient changé d'avis. Ils ne voulaient plus d'une mère qui travaille de la maison, mais quelqu'un sur place et à temps plein, qui vienne tous les jours à la rédaction.
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J'ai commencé à écrire entre deux congés, à l'époque où j'avais trois petits boulots en même temps. J'écrivais sur le comptoir crade d'un club de striptease, quand je servais des verres à des hommes esseulés et des femmes exotiques. Quand j'étais épuisée, désespérée, convaincue, après d'innombrables lettres de refus. J'écrivais surtout en dépit de commentaires lapidaires qui laissaient entendre que je me berçais d'illusions si je pensais pouvoir gagner (chichement) ma vie de cette manière.

Et puis j'ai commencé à être publiée, à trouver des postes dans l'édition, à écrire pour des publications prestigieuses. Quelques-uns de mes essais ont été édités, j'ai écrit pour un quotidien plusieurs fois récompensé du prix Pulitzer et, après avoir dîné de cacahuètes, m'être lavé les cheveux au savon, et avoir été à découvert pour un café à trois dollars, j'ai eu le sentiment d'avoir réussi. Même si je ne voyais pas vraiment ce que c'était de «réussir».

Presque simultanément, je suis tombée follement amoureuse d'un homme merveilleux et j'ai eu un enfant avec de grands yeux, une tête pleine de cheveux bruns et un sourire qui me fait chaud au cœur. J'ai composé entre ma carrière de rédactrice à temps plein et les besoins de ce petit être, et même si j'étais constamment épuisée (ce que je suis toujours), souvent frustrée (pareil) et que je n'arrêtais pas de douter de moi (aussi), j'aimais ce défi, ces horaires de dingue et l'équilibre que j'y trouvais. J'aimais tenir les délais tout en préparant le déjeuner de mon fils, faire des téléconférences en changeant sa couche, et après dix-huit mois de ce manège complexe (et usant), j'aime toujours ça. J'ai tous les jours l'impression d'avoir fait quelque chose de ma vie et, même si je suis généralement dans les bras de Morphée avant d'avoir posé la tête sur l'oreiller, je me sens épanouie.

Et puis j'ai eu la chance de postuler pour un magazine new-yorkais extraordinaire. Sur un coup de tête, je leur ai soumis mon cv et un aperçu de ce que j'avais écrit, et j'ai reçu une réponse en moins de vingt-quatre heures. J'ai passé un entretien en vidéoconférence et obtenu le poste moins d'une semaine plus tard. Avant que j'aie eu le temps de dire «ouf», ils m'ont envoyé des formulaires à remplir et demandé mes coordonnées bancaires pour les virements bancaires. J'étais très fière, et rassurée d'avoir eu raison de penser que le fait d'être mère ne m'obligeait pas à abandonner une belle carrière, et réciproquement. Les choses semblaient aller dans le bon sens. Même si je m'inquiétais parfois, en pleine nuit, de savoir si j'allais réussir à incorporer toutes ces activités et ces responsabilités dans un calendrier déjà surchargé, j'avais hâte d'essayer.

Deux jours plus tard, j'ai reçu un coup de fil de la personne qui aurait dû être ma chef de service. Après en avoir discuté, d'autres membres de l'équipe avaient changé d'avis. Ils ne voulaient plus d'une mère qui travaille de la maison, mais quelqu'un sur place et à temps plein, qui vienne tous les jours à la rédaction. Quelqu'un qui habite plus près, de plus disponible. Je ne correspondais plus au profil recherché parce que je n'étais rien de tout cela. Ma chef de service s'est répandue en excuses et j'entendais bien qu'elle était terriblement gênée. J'ai dit très vite que je comprenais, je l'ai remerciée d'avoir retenu ma candidature et j'ai vite raccroché avant qu'elle entende mes larmes couler sur l'écran fissuré de mon téléphone.

À cet instant précis, je m'en suis voulu d'être mère. Pendant une seconde, j'ai regardé mon fils en me disant que je n'aurais jamais dû l'avoir. Je savais pertinemment, tristement et piteusement que si j'avais attendu avant de tomber enceinte, ou choisi de ne pas avoir d'enfant, j'aurais pu m'installer à New York, accepter la proposition de ce magazine prestigieux, et faire ce que j'avais toujours rêvé de faire depuis que j'écrivais dans mon Journal intime tout abîmé. J'aurais pu déménager sans me soucier de la façon dont ma famille en serait affectée parce que je n'aurais pas eu de famille à prendre en compte. Je me sentais coupable, dégueulasse et ignoble, mais j'étais aussi en colère, amère et, pendant une seconde, une seconde à peine, j'aurais aimé ne pas être mère. J'aurais voulu être une célibataire qui tentait de joindre les deux bouts, se lavait les cheveux au savon et n'avait pas toujours de quoi s'acheter un café à trois dollars, parce que cette fille aurait pu déménager et accepter le poste sans même se poser de questions.

Et puis c'est passé, et j'ai pris les bonnes grosses joues un peu sales de mon fils dans mes mains et j'ai déposé un baiser sur ses lèvres pleines de bave. Je l'ai regardé dans les yeux pendant un moment, je lui ai murmuré que je l'aimais, et je l'ai laissé ramper vers ses jouets ou ses livres, ou vers les stylos qu'il sait qu'il n'a pas le droit de toucher. Je l'ai embrassé, je l'ai regardé et je l'ai aimé comme je le fais depuis le jour où il est né, et je ne regrette absolument rien, parce que New York ne va pas disparaître et que mon fils va grandir. Il verra du pays, accomplira des choses et finira par s'en aller un jour, comme le font tous les enfants. Tant qu'il sera avec moi, je m'occuperai constamment de lui, mais tout cela n'aura qu'un temps. Un jour, il vivra la même chose que moi. Il verra une occasion en or lui échapper parce qu'il ne peut pas tout faire en même temps.

Alors je lui rappellerai, dans ce moment de confusion, de tristesse, de frustration et de regret inévitables, qu'il a pris la bonne décision, celle que j'espérais de tout mon cœur le voir prendre, et que j'ai tout fait pour qu'il soit libre de faire ce choix.

À cet instant, il sera pleinement, douloureusement, magnifiquement vivant, et je sourirai, parce qu'aucune déception professionnelle ne pourra jamais éclipser un moment pareil.

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Cet article initialement publié sur le Huffington Post États-Unis a été traduit de l'anglais.

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