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Il y a des primes et déprime en santé

On assiste à un combat singulier : Barette le ministre contre l’héritage de Barette le syndicaliste.
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La déprime c'est pour les patients qui attendent trop longtemps pour leur chirurgie, mais certainement pas pour les chirurgiens qui bénéficient de primes à la ponctualité pour un montant annuel de 41 M$. Les journalistes rapportent également que les anesthésiologistes bénéficient d'une augmentation de leur rémunération en lien avec leur présence au bloc opératoire. Ces médecins ne sont certainement pas les seuls à recevoir inutilement ces suppléments de rémunération.

Ce que l'on constate avec stupeur aujourd'hui, n'est que la pointe de l'iceberg. En effet, pour apprécier objectivement l'ampleur potentielle des dégâts, il faut relire le rapport dévastateur de la vérificatrice générale sur la « rémunération des médecins : conception et suivi des ententes », Chapitre 2, Automne 2015.

Voici un extrait de ce rapport portant sur les constats et les recommandations de la vérificatrice générale sur les mesures incitatives.

Les constats :

« La conception des mesures incitatives faite dans le cadre de la gestion actuelle des enveloppes budgétaires ne favorise pas l'amélioration réelle de l'accessibilité aux services. Si le MSSS et la fédération médicale ne s'entendent pas sur une cible à atteindre ou sur les conditions à respecter, les sommes disponibles pour la mise en œuvre de mesures incitatives demeurent à l'intérieur de l'enveloppe. Ces sommes seront ultérieurement versées aux médecins, sous une forme ou sous une autre.

Des objectifs ont été déterminés pour la quasi-totalité des mesures incitatives analysées, mais sauf quelques exceptions, ils ne sont accompagnés d'aucune cible ni d'aucun indicateur permettant d'évaluer le degré d'efficacité de celles-ci. De plus, lorsque les résultats obtenus montrent peu ou pas d'amélioration dans la prestation de services, les actions entreprises par le MSSS pour corriger la situation sont insuffisantes. »

Les recommandations :

« Définir des paramètres d'application des mesures incitatives qui entraîneront un changement de comportement significatif chez les médecins et inscrire ces mesures dans une stratégie globale afin de favoriser une efficacité et une efficience accrues de la prestation de services des médecins.

Déterminer des cibles et des indicateurs pour l'ensemble des mesures incitatives, faire un suivi rigoureux de ceux-ci et entreprendre des actions correctives lorsque les résultats ne montrent pas l'atteinte de la prestation de services attendue. »

Depuis l'automne 2015, malgré la conclusion d'une nouvelle entente avec les médecins, rien n'a changé. Les boites noires que sont les ententes entre le gouvernement et les syndicats des médecins ne sont ouvertes qu'après la catastrophe et dans le cas des mesures incitatives (primes sous forme de forfaits et de suppléments) versées aux médecins, la catastrophe financière pourrait atteindre jusqu'à 425 M$ par année pour les médecins de famille et 495 M$ pour les spécialistes.

En effet, un budget sans précédent de 920 M$ est versé chaque année aux médecins du Québec pour des résultats non évalués, mais faméliques en terme d'amélioration de l'accessibilité aux services lorsqu'on examine les indicateurs disponibles sur les temps d'attente, les rapports du Commissaire à la santé et au bien-être et celui de la vérificatrice générale.

La dernière publication du Commissaire : Perceptions et expériences des personnes de 65 ans et plus : le Québec comparé, Résultats de l'enquête internationale sur les politiques de santé du Commonwealth Fund de 2017 met fin à une série d'excellents documents de référence, en voici d'ailleurs un extrait :

« Même si la grande majorité des personnes (de 65 ans et plus) ont un médecin de famille, l'accès aux services de santé demeure difficile au Québec. Ainsi, seulement 32 % des répondants québécois peuvent voir un médecin ou une infirmière le jour même ou le lendemain, en cas de besoin (47 % en Ontario et jusqu'à 75 % en Nouvelle-Zélande) et 34 % indiquent qu'il est assez ou très facile d'obtenir des soins médicaux le soir, la fin de semaine ou un jour férié (41 % en Ontario et jusqu'à 76 % aux Pays-Bas). Finalement, moins de la moitié des répondants (45 %) obtiennent toujours une réponse le même jour lorsqu'ils contactent leur cabinet médical (55 % en Ontario et jusqu'à 72 % en Allemagne).

Sans doute en lien avec ce manque d'accessibilité aux services, 29 % des personnes indiquent que la dernière fois qu'elles se sont rendues à l'urgence, elles auraient plutôt pu être traitées par leur médecin de famille. Ce pourcentage est similaire à celui du Canada.

Finalement, au Québec, seulement 39 % des répondants ont attendu moins d'un mois pour obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste (45 % en Ontario et jusqu'à 79 % aux États-Unis). C'est le résultat le plus défavorable parmi les pays ayant participé à l'étude. On note que ce sont les immigrants et les personnes qui n'ont pas de médecin de famille qui ont plus de difficulté à obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste. »

On constate que l'accessibilité aux services médicaux demeure un enjeu majeur notamment pour les personnes de 65 ans et plus. Dans ce contexte, un gouvernement faisant preuve de sagesse et de courage investirait immédiatement les sommes nécessaires pour financer des chercheurs indépendants afin qu'ils fassent le suivi et l'évaluation des mesures incitatives et qu'ils produisent sur une base régulière des rapports publics sur leurs constats et leurs recommandations.

Le scandale financier entourant certains aspects de la rémunération des médecins ne semble pas affecter outre mesure le gouvernement et encore moins son ministre de la Santé, l'un des principaux artisans de ce fouillis. On assiste à un combat singulier : Barette le ministre contre l'héritage de Barette le syndicaliste, les paris sont ouverts. Il serait surprenant que nous assistions à une révision en profondeur des ententes secrètes conclues par le présent gouvernement. Ainsi, le gaspillage annuel de centaines de millions de dollars en mesures incitatives inutiles va se poursuivre alors que l'accessibilité aux services médicaux n'est pas optimale au Québec.

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