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«Les Ombres de Katyn» de Philip Kerr : le spleen de Smolensk

Dans un nouveau polar plus lourd et plus noir que tous ses précédents, Philip Kerr fouille les décombres de l'Allemagne nazie pour faire revivre à sa manière des événements oubliés.
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La Deuxième Guerre mondiale et l'Allemagne nazie n'a de cesse de fasciner les artistes. Parmi tous les créateurs qui s'inspirent de cette période dramatique, un écrivain écossais, Philip Kerr, fouille les décombres pour faire revivre à sa manière des événements oubliés. Pour Les Ombres de Katyn, il a choisi comme cadre la Russie.

Sur le front de l'Est, près de Smolensk, il y a une forêt où gisent 4000 soldats polonais abattus par l'Armée rouge. Le maître de la propagande nazie, Joseph Goebbels, a l'intention d'utiliser ce massacre pour démontrer à tous les pays ennemis de l'Allemagne que leur allié soviétique est barbare et mérite une guerre sans merci en raison de tous les crimes de guerre commis. Goebbels, dit Jo le boiteux, choisit bien évidemment le lieutenant Bernhard Gunther, survivant antinazi par excellence, pour faire toute la lumière sur Les Ombres de Katyn. Gunther devra encore jouer avec la vérité pour la révéler sans mettre sa propre existence en danger.

Le nouveau polar de Kerr intègre un peu de tout dans un cadre historique bien défini, le menaçant front de l'Est. L'Allemagne vient de perdre la bataille de Stalingrad et l'armée soviétique se prépare à reconquérir Smolensk. L'intrigue est nourrie de terreur et de trahison. Hitler échappe à une autre tentative de meurtre, cependant que son ministre de la propagande essaye désespérément de reprendre le contrôle de l'opinion mondiale, en faisant la démonstration que les Russes ont commis des crimes de guerre plus odieux que les leurs. Le médecin appelé à pratiquer des autopsies sur les officiers polonais exhumés du charnier de Katyn est une espèce de savant fou dont la carrière est émaillée d'expériences médicales douteuses.

Le personnage de Bernie Gunthercontinue à exprimer sa haine du nazisme et son amour pour l'Allemagne. Il travaille maintenant au Bureau des crimes de guerre (que d'ironie!). Nous sommes en 1943 et l'avenir de son pays s'est un peu plus assombri suite à la déroute de la Wehrmacht à Stalingrad.

L'homme est plus préoccupé que jamais par sa survie. Les menaces se concrétisent tout autour de lui et même la protection d'un haut dirigeant SS ne semble plus pouvoir freiner les loups qui l'encerclent. Gunther est un instrument délinquant au sein de l'Allemagne nazie. Son franc-parler, son humour dérisoire et sa lucidité déchirante font naître des ennemis féroces de plus en plus nombreux.

Depuis le début de la série, Bernie est mis en danger par toutes sortes d'incidents. Ses réactions ont toujours été flegmatiques et pessimistes. La plupart du temps, le mélancolique Gunther se pousse aux limites du suicide, professionnel comme personnel. Dans Les Ombres de Katyn, son instinct de survie est mis à mal et l'acharnement de ses ennemis est tel que, pour la première fois, une peur incontrôlable, aussi réelle qu'angoissante, s'empare du personnage et du lecteur. Tout à coup, le célèbre policier berlinois ne maîtrise plus les événements autour de lui. L'instrument de Goebbels est hors de contrôle et sa survie est en péril.

Philip Kerr est un brillant auteur dont les personnages, réels et inventés, sont puissants et évocateurs. Ses descriptions des lieux ajoutent une touche bien particulière à la profondeur de l'œuvre. La ville de Berlin dans la Trilogie berlinoise, l'hôtel Adlon dans le polar éponyme, le château dans Prague fatale, tous des lieux dont la justesse de représentation ajoutait du caractère et une forte ambiance à ses histoires. Dans Les Ombres de Katyn, le premier chapitre nous emporte dans la ville de Berlin, bombardée par les forces britanniques; toute la scène est un bijou littéraire. Mais Smolensk et cette forêt où sont exhumés les corps putréfiés des officiers polonais, avec les odeurs nauséabondes, les mouches bourdonnantes, les loups affamés et, bien entendu, ces médecins nazis, la Gestapo qui erre, les Russes collaborateurs et traîtres à la fois - tout l'environnement - deviennent ce personnage monstrueux qui concourt à rendre le polar plus lourd et plus noir que tous les précédents.

L'espoir ne peut jaillir du néant de l'homme. La créativité de Philip Kerr, elle, s'en nourrit. Attention, lecture contagieuse!

Philip Kerr, Les Ombres de Katyn, Éditions Du Masque. Traduit de l'anglais par Philippe Bonnet (A Man without Breath, 2013). Mars 2015. 474 pages.

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