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C'est aussi ça le travail de flic...

Nous allons à l'étage et plus nous avançons, plus je sais que ce n'est pas un malade qui se trouve derrière cette porte. J'entre finalement et une odeur pestilentielle vient carrément envahir mes narines. Jean, qui a pourtant travaillé dans la viande, ne peut la supporter et court vomir aux toilettes de l'étage.
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1977. Par un bel après-midi d'août, Jean B. et moi avons reçu un appel que nous n'allions pas oublier.

La journée était chaude et comme à l'époque nos voitures n'avaient pas la climatisation, Jean et moi tentions tant bien que mal de trouver un coin d'ombre entre les rues Saint-Laurent et Saint-Denis. Le sort en décida autrement.

Nous voilà désignés pour un appel de personne malade et deux minutes plus tard, nous voici devant l'adresse. Bizarre. Du trottoir, nous percevons une forte odeur de décomposition. Le concierge de l'endroit nous informe qu'il n'a pas vu son locataire depuis plusieurs jours. En fait 30 jours!

- J'ai cogné plusieurs fois, mais il ne répond pas, pis il est en retard pour son loyer.

Nous allons à l'étage et plus nous avançons, plus je sais que ce n'est pas un malade qui se trouve derrière cette porte. J'entre finalement et une odeur pestilentielle vient carrément envahir mes narines. Jean, qui a pourtant travaillé dans la viande, ne peut la supporter et court vomir aux toilettes de l'étage. Bon... Je suis donc seul.

D'un seul élan, et sans respirer, je file vers la fenêtre du cloaque que j'ouvre toute grande. J'étends des litres d'eau de javel par terre: ça vous ronge les poumons, mais au moins, ça change l'odeur.

Devant moi, sur un lit imbibé de fluides brunâtres, un homme se décompose, il est boursoufflé et presque noir. Les vers sont partout présents, ses liquides personnels se répandent sur le plancher et je dois tenter de l'identifier.

Le concierge l'appelle Jacques, mais comme il paye le loyer en argent, le nom de famille lui est inconnu. L'homme m'explique que ce bonhomme est un ermite, personne ne le visite ni le côtoie

- J'sais même pas s'il a de la famille.

Je commence donc une fouille des tiroirs. Pas possible! Ceux-ci sont remplis à craquer de blattes, on dirait des ruches à étages. Il y en a partout et dans tous les tiroirs. Je dois quand même y plonger les mains. Rien, des feuilles, des écrits, mais pas de nom. Je regarde ce qui reste de l'homme. Maintenant de retour, Jean n'a toujours pas repris ses couleurs. Mon partenaire pointe du doigt un renflement dans la poche droite du pantalon.

- Quand même pas...

Je me résigne à plonger la main dans le vêtement poisseux pour y ramasser le portefeuille. Nous avons enfin un nom. Jean, de son côté, trouve une feuille jaunie et trouée contenant quelques numéros de téléphone. Après plusieurs tentatives, ne trouvant rien, ni personne, j'abandonne le corps aux employés de la morgue. Je n'ai pas même le temps de me changer qu'on nous lance vers un autre appel. L'homme est oublié.

Une dizaine de jours plus tard, mon sergent me fait appeler au bureau. Des membres de la famille sont au comptoir et ils aimeraient me parler. J'imagine leur détresse et j'offre mes condoléances... Mais surprise.

- Mon oncle avait une montre et comment se fait-il qu'on ne la trouve pas?

J'avais effectivement vu une montre profondément enchâssée dans le poignet de l'homme, mais l'idée même de la retirer dépassait mon entendement.

- C'est une montre d'une grande valeur, vous savez.

- La Timex?

- Heu... sentimentale.

Drôle: on ne me demandait pas comment il avait pu mourir, dans quel état il était; on était venu savoir ce qui était arrivé à une montre à 15$.

Je ne crie pas souvent, mais cette fois, le gros homme recula de deux pas avant de s'enfuir. C'est aussi ça le travail de flic.

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