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La gauche: entre lunettes roses et pragmatisme

La gauche est toujours allumée par de nobles idéaux, mais très peu efficace sur le plan de la joute politique. Dans le système électoral uninominal à un tour qui est le nôtre, et qui tend à privilégier le bipartisme, les choses ne changeront pas tant qu'un des vieux partis ne disparaîtra pas.
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« They sentenced me to twenty years of boredom

For trying to change the system from within »

Leonard Cohen, First We Take Manhattan

Si les militants des partis de droite ou de centre droit ne s'émeuvent généralement guère lorsqu'ils apprennent que l'un des leurs a fait preuve d'un certain opportunisme individualiste, il en va tout autrement chez les militants de gauche. En faisant passer le bien-être commun avant celui des seuls individus, les gauchistes souhaitent l'avènement d'un partage de la richesse collective qui serait plus équitable.

Généralement, les sociaux-démocrates conviennent que les risques encourus par les entrepreneurs et l'esprit d'initiative dont ils font preuve doivent être reconnus et récompensés. Ce qui, à leurs yeux, rend légitime une certaine marge de profits. Un aspect qui les démarque des militants d'obédience marxiste pour qui les profits des patrons ne sont, grosso modo, que le fruit du travail non payé.

Traditionnellement habités des principes de vertu et de sens commun, qui dans certains cas peut aussi servir à se donner bonne conscience, les militants de gauche (marxistes comme sociaux-démocrates) sont très souvent des êtres idéalistes. C'est-à-dire habités par un idéal.

Gueule de bois

Après l'effervescence du printemps québécois de 2012 qui, sur le terrain, pouvait prendre d'euphorisantes allures de Mai 68 avec ses lendemains qui devaient chanter, le réveil a plutôt eu des allures de lendemain de brosse.

Tout d'abord il y a eu, en août 2013, la démission de Jean-Martin Aussant. Après avoir rallié tout un pan de la jeunesse souverainiste et progressiste autour de sa personne en créant Option nationale, l'économiste a préféré quitter le navire. Ô hasard, son nouvel emploi se révèle bien plus rémunérateur du point de vue financier que la construction d'un nouveau parti.

Quelques mois plus tard, lors des élections provinciales d'avril 2014, les militants du petit parti de gauche Québec solidaire (QS) parviennent, en dépit d'une importante visibilité médiatique, à grignoter qu'un peu plus de 1,5 % de votes de plus par rapport à l'élection précédente en s'attaquant principalement au PQ. Un parti, on le sait, dont des milliers de membres ne sont pas imperméables aux valeurs dites progressistes.

La stratégie des solidaires leur a permis de faire élire une troisième députée qui, depuis, il faut en convenir, s'est montrée plutôt fantomatique.

Pour certains observateurs, la campagne qui attaquait systématiquement le PQ a fait de QS un allié objectif du Parti libéral du Québec et de son nouveau branding, le dénommé Philippe Couillard. Lui qui n'en demandait pas tant et s'emploie depuis son élection à appliquer un programme qui se rapproche davantage des valeurs conservatrices que des politiques libérales traditionnelles (comme avait d'ailleurs commencé à le faire Jean Charest. Lire à ce sujet mon billet Le PLQ: un parti confisqué?)

Ajoutez à cela que le chef du parti de la gauche canadienne, Thomas Mulcair (NPD), a candidement avoué avoir voté pour le PLQ et vous avez là de quoi perdre une partie de vos illusions quant à la pureté et à l'efficacité des stratégies de la gauche.

Et comme si cela ne suffisait pas, même le chef des forces progressistes municipales, Richard Bergeron, a choisi de quitter Projet Montréal pour rejoindre le pouvoir que lui a tendu Denis Coderre en lui proposant un poste au comité exécutif au grand dam des militants et, il est raisonnable de le penser, au grand plaisir de Luc Ferrandez qui se voit déjà calife à la place du calife.

Condamné à 20 ans d'ennui?

Un jour de 1995, alors que je commençais ma carrière de journaliste, j'ai demandé au chanteur et militant progressiste Richard Desjardins pourquoi il ne rejoignait pas les rangs du Parti québécois, au sein duquel il pourrait peut-être changer les choses de façon plus efficace - ce que les anciens trotskystes appelaient « l'entrisme » - qu'en militant en marge des partis? Il m'a répondu par un extrait d'une chanson de Leonard Cohen : « J'ai été condamné à 20 ans d'ennui pour avoir essayé de changer les choses de l'intérieur. »

Force est de constater que quelques décennies plus tard, la gauche est toujours allumée par de nobles idéaux, mais très peu efficace sur le plan de la joute politique. Dans le système électoral uninominal à un tour qui est le nôtre, et qui tend à privilégier le bipartisme, les choses ne changeront pas tant qu'un des vieux partis ne disparaîtra pas.

Bien qu'il ait tenté de le faire, QS n'est pas parvenu à torpiller le paquebot rouillé des péquistes.

Or, pour la suite des choses, surtout avec l'arrivée prochaine d'un nouveau chef et d'une campagne de marketing politique qui devrait lui redonner un second souffle, le PQ - qui sera vraisemblablement dirigé par Pierre Karl Péladeau - ne disparaîtra pas dans un avenir prévisible. D'ores et déjà, PKP tente même de courtiser certains des segments les plus progressistes de l'électorat, comme en témoigne l'annonce de sa candidature dans une assemblée étudiante qui portait sur l'avenir du financement des universités et de l'éducation supérieure!

Si ce n'est pas un clin d'œil aux troupes du printemps québécois de 2012, on se demande ce que c'est...

S'ils veulent vraiment gagner des points en matière sociale, les militants d'Option nationale et surtout ceux de Québec solidaire, qui ont en quelque sorte permis la mise en place du gouvernement actuel, devront se poser une question: mieux vaut-il se draper dans la pureté vertueuse et demeurer à des années-lumière du pouvoir ou, tels des pirates, essayer d'investir le paquebot péquiste pour tenter de tirer le gouvernail vers la gauche? Surtout que la deuxième option permettrait de contrer une éventuelle caquisation (lire droitisation) du PQ.

C'est ce qu'avait compris en 1968 Pierre Bourgeault en sabordant le RIN au profit du Mouvement souveraineté-association (MSA), qui devint par la suite le Parti québécois après avoir aussi absorbé le Ralliement national (RN), un parti plutôt de droite alors dirigé par Gilles Grégoire.

PKP n'est pas un nouveau René Lévesque, loin s'en faut. Néanmoins, rappelons pour la petite histoire que moins de 10 ans plus tard, en 1976, la coalition dirigée par Lévesque prenait le pouvoir et appliquait ce qui demeure, encore à ce jour, le mandat le plus progressiste de l'histoire politique du Québec. Le lait au chocolat ne coulait pas encore dans les fontaines, mais au moins on bâtissait plutôt que de démanteler.

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