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Mon bébé, j'ai dû t'abandonner

Que fait-on quand on tombe enceinte à 16 ans et que l'on est une jeune Turque? On cache sa grossesse à toute sa famille et on accouche seule, dans les toilettes... C'est ce qu'a fait Güldane en 1985 à Bad Homburg.
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"Une coïncidence frappante, un ensemble de faits hasardeux qui finissent par se rejoindre à un moment donné. Ou alors le destin tout simplement. C'est selon les convictions. Pour moi, la somme des parties fit un tout le jour où je me rendis dans le centre ville de Bruxelles pour acheter un livre d'occasion. Sans idée précise quant au choix que j'effectuerais. Je tombai finalement sur un bouquin de Fiodor Dostoïevski, "Le joueur" écrit en trois semaines, en 1866. J'avoue ne connaître l'auteur que de nom. Sauf tout le respect que j'avais pour cet écrivain que je savais influent, son œuvre m'était aussi éloignée que la recette de la tarte à la vanille. Soit, l'intitulé du livre m'interpella, car j'ai connu personnellement une addiction aux jeux. J'ai subi des conséquences certainement moins lourdes que la fortune en partie dilapidée par l'auteur au casino de Bad Homburg, situé au célèbre Kurpark. C'est 119 ans plus tard que ma bien-aimée connut sa plus grande souffrance, un moment qui bouleversa le cours de sa vie. En 1985. Dans cette même ville, non loin du parc. Était-ce un signe ou rien d'autre ? Peu importe, ça me suffit pour raconter l'histoire de Güldane. Rose pour les intimes." (Extrait de la préface du livre par Christophe M)

Que fait-on quand on tombe enceinte à 16 ans et que l'on est une jeune fille turque ?

Et bien, on cache sa grossesse à toute sa famille et on accouche seule, dans les toilettes...

C'est ce qu'a fait Güldane en 1985 à Bad Homburg.

Vivre normalement en apparence et cacher ce secret qui pouvait être lourd de conséquences était son ultime échappatoire. Vivre dans la crainte de mourir pour avoir désobéi à un code d'honneur et sauver son enfant sans éveiller les soupçons étaient ses seuls horizons.

À la naissance de Fatima, ainsi nommée, et malgré que sa vie n'était que solitude, tension - le père biologique, un jeune homme d'origine Pakistanaise, avait pris ses jambes à son coup sans plus jamais donné signe de vie -- et cachoterie durant les sept mois de grossesse ; l'enfer de Güldane se confirma. Il s'avéra plus vicieux qu'elle ne le supputait.

Séparation en tout sens

Alors qu'elle s'immisçait désespérée dans sa dix-septième année, Güldane dut batailler plusieurs mois durant pour avoir la possibilité -- ne fût-ce que quelques minutes -- de prendre sa fille dans ses bras. Elle transpirait d'instinct maternel, de manque affectif et de désir de pouponner. Il était inacceptable, inconcevable et rageant pour elle de l'empêcher de savourer l'essentiel comme des millions de mères comblées qui y avaient eu droit. Un contact humain, un lien ancestral empli de plénitude entre une mère et sa fille. Celui entre Güldane et Fatima. Une chimère.

Le service d'aide à la jeunesse (le Jugendamt) la dupa et nourrit sans honte les faux espoirs de Güldane. Toute chance de vivre son rôle tant voulu fut brisée. Durant cette même période, d'une certaine manière, sa famille prit le contrôle de sa vie. Elle lui intima d'accepter une alliance avec un inconnu. Histoire de se racheter. Néanmoins, ce fut sans violence physique. Un lot de consolation somme toute insignifiant. Le rêve d'un mariage avec un prince charmant qu'elle adulait dans ses rêves d'ado fut aussitôt dilué dans un autre monde. Une réalité sombre. Ce mariage arrangé encourageait l'adieu à son enfant, à son enfance et à sa famille. Il n'y avait plus rien à faire, la petite était déjà placée dans une famille d'accueil. Celle qui devint sa famille adoptive.

La nouvelle et triste vie parallèle de Güldane commença. Où tout fut le contraire de l'idéal. Où les conseils pédagogiques expliqués à l'école sur la sexualité, les relations familiales et tout ce qui nourrit les fondements de la raison et de la morale passèrent pour ridicules. Les apparences sauvées en échange d'une âme déchirée, l'affaire était entendue d'avance. Il ne resta plus au temps qu'à couler tranquillement.

La Belgique, terre d'accueil

Toute formalité administrative expédiée, c'est alors que Güldane posa son maigre bagage pour la première fois en Belgique avec son époux un peu plus d'un an plus tard.

Après les déracinements, le choc culturel (l'apprentissage du français en solitaire et sur le tas par exemple), le sentiment d'abandon, la perte de son enfant et de sa famille, le mensonge, la fin d'une adolescence, l'adieu à son environnement, à son école et à ses amis du jour au lendemain ; à bout de souffle, elle tenta de se suicider à plusieurs reprises.

Güldane fut un roseau qui pliait, mais ne rompit pas. Malgré ce qui lui arriva, elle décida de se battre, de résister et de conquérir sa liberté et son indépendance. Elle y arriva au terme d'une aventure incroyable.

Elle s'accommoda de cette union indésirable pendant une dizaine d'années. Avec son mari elle géra un restaurant. Elle eut aussi la chance d'échanger l'une ou l'autre lettre avec sa fille jusqu'à ce que celle-ci atteigne l'âge de 12 ans. Après, et jusqu'à ce jour, quelques messages apparurent aussi nombreux que les doigts d'une seule main... Une relation condamnée dès ses prémices, mort née.

L'apogée du mal

En 1994, Güldane subit un enlèvement et une séquestration pendant trois mois par une tierce personne. Cette fois-là, sa fille et le monde qu'elle pleurait lui donnèrent la force de tenir tête aux cauchemars accumulés. Pour ce faire, elle usa d'une stratégie simplifiée, mais efficace : mourir sans souffrances ou, si cela lui était permis, survivre à chaque instant aussi violent soit-il afin de raconter son histoire un jour . Pour que sa fille sache que sa mère l'a toujours aimée et n'a jamais voulu l'abandonner.

Pourquoi ce livre ?

Ce livre n'a pas la prétention de proposer un autre vécu du genre "Jamais sans ma fille" de Betty Mamoody ou "Brûlée vive" de Souad. Heureusement non. Cette histoire n'est pas plus douloureuse qu'une autre, car chacun vit l'horreur à sa manière. Il n'y a pas de degré de comparaison. Une seule similitude ressort de leurs différences : l'espoir. Que la justice parle au nom des victimes et rétablissent l'égalité des chances auquel chacun a droit dès son premier souffle. Ce sont peut-être des propos qui semblent d'une lourdeur simpliste et redondante. Cependant, ces mots "égalités des chances" et "justice" sont le St-Graale des enfants violentés ou abandonnés, des femmes assassinées ou mariées par obligation parce qu'elles ont été violées, ou parce qu'elles ont enfanté... Pour eux tous, ces mots raisonnent comme une miséricorde rédemptrice. C'est le verre d'eau glacé tendu au déshydraté ou la miche de pain à l'affamé.

Ce ne fut pas sans peine, mais aujourd'hui, près de trente ans plus tard, Güldane décide de témoigner. Ce vécu dévoile son courage incommensurable, sa ténacité sans faille animée par l'amour pour Fatima, son amour inaccessible. Elle éprouve le besoin d'être en paix, de rencontrer sa merveilleuse étoile. Elle a obtenu le pardon de ses parents, renoué assez tôt avec sa famille et attend toujours son bébé. Elle est remariée et travaille comme gouvernante dans un grand hôtel. Elle a deux autres enfants qui connaissent l'existence de cette grande sœur jamais rencontrée.

Puisse ce livre l'y aider. Qu'il puisse aussi aider d'autres adolescentes perdues, d'autres femmes victimes d'actes innommables, des parents démunis devant leur adolescent(es). C'est juste un cri d'amour, un coup de je t'aime pour celles et ceux qui en ont besoin. Peut-être même que cet appel permettrait d'éviter que cette histoire ne se reproduise ailleurs et quelle que soit la culture. Je suis bien conscient que c'est une utopie, certes, mais la somme des parties ne forme-t-elle pas un tout ?

Remerciements bien sûr !

Pour clôturer ce récit, il est capital pour Güldane et moi même de citer les acteurs/actrices majeur(es) qui ont rendu ce dénouement possible, en plus de Güldane et de la famille évidemment. Nous pensons au soutien solide que nous a apporté la première correctrice du manuscrit, Catherine Portevin. Nous tenons à souligner l'importance qu'a eue pour nous le travail abattu par l'équipe de La Boîte à Pandore. Sans qui, nous n'aurions pu rendre ce projet réalisable. Nous les remercions profondément pour leur confiance. Il en va de même pour les journalistes qui acceptent et accepteront peut-être encore de relayer l'information. Et finalement, nous serions ingrats de ne pas saluer nos amis lecteurs dont les commentaires font un bien fou.

Merci à tous.

Petit poème d'introduction à l'histoire repris dans le livre.

Pour Güldane :

"Oh ! Ma Turquie, pardon.

Si tu te sens trahie.

Mes filles chéries, pardon

Si je vous ai déçues.

Dans le néant, sans vous.

Souvent, j'aurais sombré

J'ai gardé grâce à vous

Tête haute et fierté.

Pardonnez mon ignorance

Donnez - moi une dernière chance.

Je vais vous conter

La seule preuve que j'ai

De votre présence

Lors de ma souffrance.

J'espère ainsi de tout cœur

Vous retrouvez ici sans heurt."

(Christophe M)

Mon bébé, j'ai dû t'abandonner.

La Boîte à Pandore éditions

Collection : témoignages et documents

Langue : français

ISBN : 978-2875570260

304 pages

Prix France TTC 18,90 eur

Publication : 11 Juillet 2013

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