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Financement des mesures sociales: décoloniser les imaginaires

Si des mesures comme l'aide sociale ont été instaurées, c'est pour permettre aux travailleurs de reprendre le dessus en cas de pépin et réduire leur niveau de vulnérabilité face au chantage et à l'exploitation de certains patrons crapuleux.
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Et si l'opposition d'une certaine classe moyenne aux mesures sociales reposait sur une créance imaginaire?

Étrange animosité s'il en est une que celle qui sévit depuis bien longtemps entre les citoyens moyens et les moins nantis, des groupes qui auraient pourtant tout intérêt à être solidaires. L'impasse tient au fait que la classe moyenne étouffe parce qu'elle est surimposée. Elle pourrait sans doute reprendre son souffle si - et c'est généralement les premiers arguments invoqués - elle arrêtait de payer pour tous les « sacraments de parasites » qui lui coûte une fortune, tel que: 1) les « maudits BS », et 2) les étudiants « chialeux » et irresponsables. Bref, la solution parait plutôt simple et évidente, n'est-ce pas? Toutefois, avant de crier « Bingo! », il convient d'analyser, non sans critique, les tenants et les aboutissants de cette « solution miracle ».

Les « maudits crosseurs de BS » qui se font vivre pendant que les autres travaillent... Ainsi entendu, c'est clairement révoltant pour les travailleurs, avouons-le. Cela dit, c'est bien connu, « des crosseurs » il y en a partout. Toutefois, selon des données obtenues par le journal Le Devoir, en septembre 2014, « le gouvernement a réclamé l'an dernier pour 86 millions $ de fausses déclarations, sur 2,8 milliards $ de prestations versées, soit l'équivalent de 3% », dont 80% « des fausses déclarations sont dues à des erreurs de bonne foi ». Ce qui signifie que, dans les faits, des « maudits BS crosseurs », il y en a très peu et que la majorité des requêtes d'aide sont probablement légitimes et justifiées.

À y regarder de près, des arnaqueurs, il y en a peut-être plus en cravate que sur le BS. En effet, selon Revenu Québec, le montant dont est privé le trésor québécois, en raison de l'évasion fiscale, tourne autour de quelque 3,5 milliards par année. En faisant un calcul rapide, 3,5 milliards - 2,8 milliards = 700 millions. Autrement dit, si nous parvenions à récupérer l'argent volé en fraude fiscale, par ceux qui n'ont pas besoin de ce bonus pour vivre, non seulement ce montant couvrirait entièrement ce que nous dépensons pour l'aide sociale, mais, en outre, après cette dépense payée, il resterait une somme excédentaire de 700 millions excédentaires qu'on pourrait réinvestir dans les pensions, la santé ou l'éducation.

Un autre point à considérer est la destination de l'argent. Qu'advient-il de l'argent que nous dépensons pour les « maudits BS »? En fait, il est aussitôt réinvesti dans l'économie locale puisque c'est à la pharmacie, l'épicerie, le dépanneur (etc.) du coin que ce dernier va dépenser son chèque. Peut-on en dire autant des actionnaires des grandes entreprises que nous finançons? Là est la question... Sans parler du nombre de petites entreprises qui ferment chaque fois que l'un de ces titans ouvre ses portes.

Mais poursuivons... Il importe aussi, comme le veut la devise, de se rappeler le long et sinueux chemin parcouru jusqu'à ce jour. En effet, il y a tout juste une soixantaine d'années, la misère était monnaie courante au Québec. Les Québécois et Québécoises n'étaient pas seulement « nés pour un petit pain », ils devaient en outre se le séparer à quatorze. À l'époque où les familles étaient suffisamment nombreuses pour former une équipe de hockey, les aînés étaient généralement retirés de l'école aussitôt que possible afin de prendre part aux travaux de la ferme et aux tâches ménagères. Pauvres et peu scolarisés, les Québécois et Québécoises étaient, selon les mots de Pierre Vallières, « les nègres blancs d'Amérique ». En ce temps-là, c'était simple, il n'y avait pas d'aide sociale et la perte d'un emploi signifiait grosso modo « crever de faim en famille ». Les employeurs avaient le gros bout du bâton voire le bâton au complet. Si des mesures comme l'aide sociale ont été instaurées, c'est pour permettre aux travailleurs de reprendre le dessus en cas de pépin et réduire leur niveau de vulnérabilité face au chantage et à l'exploitation de certains patrons crapuleux. Accepter de perdre cette assurance pour moins de 3 % de fraudeurs, c'est un pensez-y-bien. Personne n'est à l'abri d'un revers de fortune.

Ce qui nous amène à la question des étudiants irresponsables et « chialeux ». Lorsque la population québécoise a fait le choix d'investir dans l'éducation, c'était entre autres, pour permettre aux enfants d'ouvriers, qui en avaient le potentiel et la volonté, d'aspirer, eux aussi, à devenir médecins, enseignants, avocats, etc. plutôt que d'être condamnés à aller travailler à l'usine comme leur père. L'éducation, c'est le principal facteur de mobilité sociale. Elle permet de ne pas faire de l'origine un destin en transformant les classes sociales en castes sociales. Plus largement, l'éducation constitue la pierre angulaire, le logiciel qui programme l'avenir d'une société (Ki Zerbo). C'est l'instrument qui assure le passage, la consigne de tout héritage d'une génération à une autre. Mieux encore, l'éducation est un puissant vecteur de dignité, de fierté et surtout de liberté.

Conséquemment, en coupant dans l'éducation, à qui nuisons-nous? Aux jeunes nantis, financés par des parents qui possèdent suffisamment de marge de manœuvre pour ne pas s'embarrasser de ces hausses et un portefeuille de relations pour la suite ou aux nôtres, plus précaires et dont le sort en dépend?

Bref, on accuse volontiers les mesures sociales, qui ont transformé le destin des « nègres blancs d'Amérique » et le protègent face à un éventuel retour des choses, d'être responsables du taux d'imposition. Ce qu'on ne nous dit pas cependant c'est qu'on gagnerait bien davantage à faire pression pour que la question des crimes fiscaux soit sérieusement examinée afin de se réapproprier les sommes ahurissantes qui nous échappent annuellement. Pourquoi? Qui gagne à détourner notre attention vers le mauvais « coupable », à entretenir l'animosité, à manipuler l'information afin de nous faire accepter des solutions qui nous vulnérabilisent collectivement ? Je vous laisse y répondre... En attendant, je bois mon lait!

Ce billet a été écrit en collaboration avec ma collègue Chantale Pilon

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