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Un projet de loi qui abandonne les jeunes démunis

Le projet de loi 70 entraîne une augmentation significative du nombre de jeunes en situation d'itinérance.
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L'équipe de Dans la rue, organisme d'aide aux jeunes en situation de précarité, entrevoit un grave risque que le projet de loi 70 entraîne une augmentation significative du nombre de jeunes en situation d'itinérance, si des modifications n'y sont pas apportées.

Dans sa forme actuelle, il est annonciateur de grandes difficultés pour les jeunes les plus démunis de notre société.

Subvenir à ses besoins de base en retirant des prestations d'aide sociale de 620$ par mois est déjà un exploit. Imaginer vivre avec la moitié de cela, c'est tout simplement inconcevable. Le projet de loi 70 viendrait obliger les jeunes nouveaux demandeurs à se trouver un emploi ou s'inscrire dans un programme d'insertion, sans considérer leur situation, et amputerait les prestations de ceux qui refusent de s'y conformer, ce qui ne ferait que les appauvrir davantage.

Or, de très nombreux jeunes se retrouvent dans l'incapacité de travailler dans l'immédiat, tel que le gouvernement prévoit l'exiger, pour de multiples raisons: la détresse psychologique, la dépendance, les troubles de la santé mentale, le manque de support social ou familial. Les difficultés liées à la sortie des centres jeunesse ajoutent également une cohorte complète de jeunes difficilement employables dans l'immédiat et sans autre recours.

Ce sont des centaines de jeunes que ce projet de loi met à risque de connaître l'itinérance, en leur coupant les possibilités de prendre soin d'eux pour parvenir à améliorer leur sort, s'intégrer socialement et s'impliquer collectivement. Couper une maigre pitance de 620 $ par mois en deux à un jeune qui ne peut se trouver un emploi dans l'immédiat, c'est le condamner à déménager dans la rue. Ou encore, très souvent, l'obliger à se débrouiller autrement pour survivre, ce qui inclut mettre sa sécurité en jeu par une plus grande prise de risque: vol, vente de drogue, prostitution, adhésion à un gang, etc. Les sommes économisées seront donc multipliées en dépenses de santé et en frais judiciaires. L'équation est connue et bien documentée. On ne saurait imaginer, par ailleurs, les coûts humains pour ces jeunes déjà très fragilisés.

Il est par ailleurs important de souligner que le projet de loi 70 vient à l'encontre des articles 7.2, 9.1, 9.5, 14, 15,2, 15.3 et 17 de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale et est en pleine contradiction avec l'esprit de la loi qui évoque notamment le «principe d'une prestation minimale, soit un seuil en deçà duquel une prestation ne peut être réduite en raison de l'application des sanctions administratives, de la compensation ou du cumul de celles-ci».

En plus de cette loi, la réforme proposée ne respecte pas la politique nationale de lutte à l'itinérance, votée en 2014, qui met de l'avant l'importance de miser sur l'accompagnement personnalisé auprès des personnes à risque ou en situation d'itinérance.

Aussi, en plus de défier cette loi et cette politique, cette réforme ne tient pas compte des importantes coupures du gouvernement dans les budgets d'aide à l'emploi qui ont obligé des organismes en insertion socio-économique à mettre fin à certains de leurs programmes, ou à restreindre leurs admissions, excluant par le fait même les jeunes en difficulté. On veut donc ajouter un plus grand nombre de jeunes dans un parcours de formation à l'emploi, tout en retirant les ressources financières aux programmes d'aide vers lesquels on veut les diriger.

Vivre dans l'extrême pauvreté n'est ni «facile» ni plaisant. Le jeune adulte qui fait une demande d'aide sociale doit être dans une très mauvaise situation pour en arriver là. La simple tâche de remplir et finaliser la demande est un défi, pour qui n'est pas hyper organisé ou équipé pour affronter le langage et les exigences des fonctionnaires. Pour le faire, il leur faut de l'aide de la part d'organismes dont on a également réduit les ressources financières.

Dans cette même logique incompréhensible et pour couronner le tout, l'École de la rue Emmett Johns accueillera dans sa classe des jeunes défavorisés dont le chèque aura été réduit jusqu'à 310 $ par mois, malgré leur présence dans un programme de formation. Tout cela parce que notre école de la rue, capable de prendre en charge une population avec de multiples particularités et qui est reconnue et soutenue par le ministère de l'Éducation, n'est paradoxalement pas reconnue au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale comme programme de formation.

Le projet de loi 70 doit nous amener à nous poser de sérieuses questions sur nos valeurs, sur notre caractère démocratique et social et sur la façon dont nous voulons accompagner les jeunes visés par ce projet de loi. Il nous semble que cela devrait porter vers une amélioration de leur autonomie, plutôt que de les projeter dans une pauvreté encore plus extrême et nuisible, sans leur donner une chance au moment où ils sont le plus vulnérables.

Avec la participation de Caroline Dufour, directrice des services aux jeunes - Dans la rue.

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Mai 2017

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