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Les dangers de l'auto-censure et du tout religieux

Quel serait le sens d'une exposition blasphématoire dans un monde où les intégristes auraient perdu et où la laïcité, partout, régnerait... C'est bien parce qu'ils menacent que ces pièces et ces expositions ont un sens.
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En Belgique, le musée Hergé a annulé son exposition-hommage à Charlie Hebdo, pour des raisons de « sécurité ». Un char « Charlie Hebdo », prévu en hommage à la liberté d'expression, a été retiré du festival de Cologne.

À Clichy La Garenne, des escarpins posés sur un tapis de prière -- imaginés par une artiste franco-algérienne -- ont failli être rangés au placard. A cause d'une lettre de la Fédération des associations musulmanes de Clichy, qui dit décliner toute responsabilité en cas d'incident...

À Villiers-sur-Marne, c'est plus original, le maire a déprogrammé un film contre l'intégrisme, Timbuktu, par peur d'inciter au terrorisme... N'est pas critique de cinéma qui veut.

À Nantes, on a annulé L'Apôtre - l'histoire d'un jeune musulman converti au catholicisme. Cette fois, la Fédération des associations familiales catholiques de Loire-Atlantique craignait que la communauté musulmane y voit « une provocation ».

Il y a aussi des pièces que l'on ne joue plus pour quelque temps : Lapidée, qui porte sur lapidation des femmes au Yémen. Elle n'est plus à l'affiche de ciné 13.

Ou encore « La Marseillaise » de Darina al Joundi. Elle ne porte pas vraiment sur la religion, plutôt sur son parcours de combattante pour fuir l'étouffoir religieux de son pays natal, le Liban, et avoir ses papiers dans un pays qu'elle aime pour sa laïcité... La France. Et bien, c'est en France, qu'elle vient de voir vingt dates de son spectacle décommandées, sous différents prétextes. C'est aussi en France qu'on a dégonflé il y a quelques mois un plug géant à cause de fanatiques chrétiens ou dû jouer Golgota Picnic sous protection policière.

Intimidation culturelle

Dans l'ensemble, le monde des artistes est plus que jamais mobilisé et conscient des enjeux. Mais il y a, ici et là, pour des raisons de peur réelle, de sécurité. Sous prétexte de « responsabilité », certaines lâchetés sont en fait d'une très grande irresponsabilité.

Elles confortent la violence. Il y a encore quelques jours, un prédicateur saoudien se félicitait de la méthode employée contre Charlie Hebdo. La tuerie, serait selon lui la bonne méthode pour mettre un terme au blasphème... Visiblement, personne ne l'a prévenu que le dernier numéro de Charlie a été réimprimé à plus de sept millions d'exemplaires, ni que Charlie allait pouvoir essaimer et soutenir des caricaturistes partout dans le monde grâce aux soutiens qu'ils ont reçus.

C'est d'ailleurs ce qui est fou avec les gens superstitieux. Ils ne guettent que les signes qui les arrangent. Quand même si vous êtes un peu mystique, il y a de quoi être troublé. Depuis les attentats contre Charlie et l'hyper casher, Mahomet n'a jamais été aussi caricaturé, Kobané est tombé, le Hamas militaire a été déclaré organisation terroriste en Égypte, et, plus inquiétant encore pour des intégristes sunnites, des Chiites sont au bord de prendre le pouvoir au Yémen, la terre dont se revendiquent ceux qui ont commandité ces attentats... Franchement, ces fanatiques auraient un peu de bon sens, avec de tels signes, ils devraient sérieusement songer à se reconvertir dans le dessin ou la BD. Seulement voilà, on ne peut pas compter sur leur bonne foi. Il faut résister à leur violence. Par l'extension du domaine du blasphème, de la culture et du droit.

Pas le moment de céder

Certains vous diront que ce n'est pas le moment de « mettre de l'huile sur le feu », qu'il vaut mieux être « responsable » et attendre une période plus calme. Le problème, c'est que ce calme ne viendra pas si l'intimidation marche et que nous donnons le sentiment de céder à la peur.

D'ailleurs, quel serait le sens d'une exposition blasphématoire dans un monde où les intégristes auraient perdu et où la laïcité, partout, régnerait ?

C'est bien parce qu'ils menacent que ces pièces et ces expositions ont un sens.

Mais il y a un autre enjeu, qui concerne aussi bien le monde de la culture que celui des médias. Celui des représentations et des modèles. Comment ne pas voir le lien entre la confessionnalisation à outrance de tous nos enjeux et le regain de fanatisme ?

C'est la leçon que l'on devrait tirer de ce qui nous arrive. Mais bizarrement, après chaque attentat, des journalistes ou des acteurs du monde de la culture, ressentent le besoin de faire au contraire une place plus grande au religieux et à ses représentants plus ou moins modérés.

Mettre fin au tabou du sacré

Pendant qu'on ouvre le micro aux prédicateurs islamistes télégéniques, y compris les plus ambigus qui soient, la terreur réduit au silence les artistes, notamment de très nombreux artistes du monde arabe. Or c'est eux qui portent l'épée là où elle doit être portée : contre le sacré devenu tabou, qui encrasse l'esprit critique et produit des décérébrés faciles à manipuler et donc à fanatiser.

Ce sont eux, ces artistes arabes, croyants ou athées, mais libres et sans tabou qui nous permettront à tous de respirer. Eux que l'on veut voir sur les plateaux de télévision à la place d'une succession de faux jetons nous expliquant que le fanatisme est dû au manque de religieux et le terrorisme au racisme.

La fin des tabous est la solution. La culture est la seule à pouvoir s'y attaquer. C'est pourquoi elle ne peut pas céder devant la peur. Si les artistes ont peur, l'inculture a déjà gagné.

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