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Le jour où j'ai vu une jeune femme se faire rappeler à l'ordre à l'épicerie

Ce besoin d'humilier, ou de se réprimander mutuellement pour le moindre faux pas, semble être en pleine expansion.
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La semaine dernière, j'ai vu une jeune femme se faire réprimander alors qu'elle sortait de l'épicerie. J'étais juste derrière elle quand nous nous sommes dirigées vers la sortie en ce jeudi matin ensoleillé. Un grand jeune homme bien habillé, qui entrait, s'est arrêté pour lui tenir la porte. Avant de lui dire d'un ton sec: «Quand on me tient la porte, je dis merci!»

La jeune femme a répondu qu'elle n'avait même pas eu le temps de le faire. J'étais gênée pour elle.

J'étais gênée parce que ça m'est arrivé à maintes reprises. Je me suis fait agresser verbalement par ceux qui me tenaient la porte - «De rien!», «On dit merci!» - avant même que j'aie pu ouvrir la bouche, ou alors même que je leur avais dit merci, mais pas suffisamment fort pour qu'ils l'entendent. J'appelle ces gens-là les «etiquette shamers», et je suis étonnée de voir qu'ils ne se rendent pas compte que leur manière de faire est bien plus grossière que ce qui les a mis dans cet état. La jeune femme du magasin avait l'air si vulnérable et si polie que j'étais furieuse de ce qui lui était arrivée. Curieuse, aussi.

Pourquoi les gens ressentent-ils l'envie d'humilier ou de réprimander de parfaits inconnus pour quelque chose d'anodin ou qui ne les concerne absolument pas?

Ce besoin d'humilier, ou de se réprimander mutuellement pour le moindre faux pas, semble être en pleine expansion, et les réseaux sociaux ne font que souligner le phénomène. Ces douze derniers mois, j'ai lu un article très partagé sur un ancien combattant texan qui avait trouvé une lettre assassine sur le pare-brise de sa voiture parce qu'il s'était garé sur une place pour handicapé alors qu'il n'avait pas «l'air» de l'être (l'intéressé a à son tour laissé un mot sur son pare-brise, expliquant que bien qu'il n'ait pas «l'air handicapé», la douleur que lui causaient ses membres inférieurs suite à une blessure de guerre était largement supérieure à celles qu'avait pu ressentir son accusateur anonyme au cours de toute son existence).

Parmi d'autres histoires très partagées récemment, citons celle de la femme à qui l'on a reproché d'être en sueur parce qu'elle faisait la queue pour prendre un café après sa séance de gym, et celle de la femme que l'on a voulu humilier parce qu'elle portait une robe moulante à un mariage. Évidemment, ces histoires ont été suivies d'autres histoires où l'humilié(e) prenait sa revanche, avec des titres comme «la réponse parfaite quand on vous reproche...». J'en prends pour exemple ces deux articles, publiés il y a moins de deux mois: «Comment une agoraphobe a remis à leur place ceux qui la harcelaient dans la rue» et «La réponse impeccable d'une maman quand quelqu'un s'est moqué de la robe Reine des neiges que portait son petit garçon.»

Pourquoi les gens ressentent-ils l'envie d'humilier ou de réprimander de parfaits inconnus pour quelque chose d'anodin ou qui ne les concerne absolument pas? En agissant ainsi, ils présupposent deux choses:

a) que la personne qu'ils engueulent se comporte systématiquement (plutôt que parfois) comme si elle était seule au monde, et

b) que c'est à eux de leur apprendre la politesse pour qu'elle ne recommence pas (ils oublient au passage de lui accorder le bénéfice du doute).

La jeune femme qui sortait du magasin était peut-être préoccupée, handicapée ou, comme elle l'a fait remarquer, elle n'avait même pas eu le temps d'ouvrir la bouche pour le remercier. Notons au passage, que je tiens la porte plusieurs fois par jour aux personnes qui me suivent, et que je n'attends pas pour autant qu'elles se confondent en remerciements. Au contraire, je me dis que j'ai la chance d'être suffisamment en bonne santé pour me le permettre. Dommage que l'attitude de ce jeune homme ait mis trois personnes sur la défensive en cette matinée de grand ciel bleu, alors que son geste était à la base prévenant.

Tous ces exemples sont révélateurs d'une perception déformée de ce qui est réellement important.

On dirait que les parents de tout-petits sont la cible privilégiée de ces gens, surtout quand les bambins font un caprice ou qu'ils ont l'air gâtés. Il y a quelques années, le site «Too Big for Stroller» publiait même les photos d'enfants qui semblaient avoir passé l'âge d'être promenés en poussette, avec la mention «Marche!» photoshoppée sur le visage (l'auteur dudit site a expliqué que c'était de l'humour, mais il a reconnu que le procédé le gênait un peu).

Tous ces exemples sont révélateurs d'une perception déformée de ce qui est réellement important. Il est de notre devoir de signaler tout comportement suspect ou dangereux à l'égard des enfants. Montrer du doigt les parents soi-disant fautifs nous détourne de cette obligation.

L'an dernier, à la fin de l'été, je suis tombée sur un vieil article, écrit par une femme qui avait quitté New York pour emménager dans ma ville du New Jersey suite aux attentats du 11 septembre 2001. D'après elle, ses voisins du dessus frappaient violemment du pied dès que son bébé pleurait parce qu'il faisait ses dents. Elle a fini par leur envoyer une lettre, ainsi qu'au propriétaire, les informant qu'elle était avocate et veuve depuis les attentats, et qu'elle appellerait les flics s'ils recommençaient. En conclusion de son article, elle écrivait: «Dommage que les femmes qui se démènent pour élever leurs enfants seules ne puissent pas toutes clouer le bec de ceux qui leur compliquent la vie.» Sommes-nous devenus si prompts à juger les autres qu'un passé tragique constitue aujourd'hui le seul moyen de forcer les gens à se mêler de ce qui les regarde?

Il y a peut-être une raison qui explique la prévalence actuelle de ces histoires d'humiliation et de contre-humiliation. Quand l'économie va mal, les gens sont stressés et tentent de trouver des échappatoires. Aux États-Unis, même si la situation s'améliore apparemment, je connais beaucoup de gens qui luttent pour s'en sortir. Peut-être le jeune homme de la semaine dernière s'inquiétait-il d'arriver en retard au travail, ou bien était-il lui aussi préoccupé. Nous ferions bien de ne pas oublier que les gens qui nous entourent ont parfois des soucis bien plus importants que nous ne l'imaginons.

Malheureusement, quand j'ai assisté à cette scène la semaine dernière, je n'ai pas pu résister. J'ai crié au type: «Tout le monde ne peut pas être aussi parfait que vous!» Pourquoi ai-je eu besoin de lui faire à mon tour la leçon?

La génération de nos parents vivait selon un autre principe: parfois, il vaut mieux se taire. Il serait peut-être temps de l'adopter à notre tour. Alors, la prochaine fois que vous aurez envie de faire la morale à un(e) inconnu(e), essayez de lui sourire ou même de l'aider. La journée n'en sera que plus belle.

Ce blogue, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Bamiyan Shiff pour Fast for Word.

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