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Business angel ou bon père de famille: les explications de la neuro-économie

Comment expliquer notre tendance au risque ou à l'épargne? Notre sensibilité à l'austérité ou à la relance?
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Comment expliquer notre tendance au risque ou à l'épargne? Notre sensibilité à l'austérité ou à la relance? Longtemps les économistes ont essayé de rationaliser les décisions individuelles, afin de modéliser des comportements. Or la prise de décision n'échappe pas aux aléas de notre vie psychique.

L'être humain a tendance à adapter son effort en fonction de la récompense attendue. C'est ce qui fait la motivation. Notre cerveau possède une boucle perception-action qui affine nos gestes en fonction des stimuli perçus, et une modulation de ce système en fonction de la motivation. Ces circuits de la récompense impliquent nos structures cérébrales les plus archaïques, les noyaux gris centraux, et plus précisément ce qu'on appelle le striatum ventral.

Pensez qu'on vous paye cash si vous si vous appuyer fort sur une manette: en terme d'activation cérébrale, votre striatum ventral « s'allume ». C'est d'autant plus flagrant chez des individus sous dopamine, neurotransmetteur qui fait notamment défaut dans la Maladie de Parkinson.

La dopamine serait à l'origine du « biais de l'optimisme ». Au décours de la crise économique de 2008, on a beaucoup reproché aux économistes leur optimisme béat. C'est en réalité valable pour nous tous. L'équipe de Tali Sharot de l'University College of London, montre que dans la vie de tous les jours, on attend souvent des événements futurs plus de conséquences optimistes qu'il ne serait raisonnable de le croire. Et plus on est sous dopamine, plus on y croit - d'où son surnom de "molécule du bonheur".

Faut-il alors en donner plus pour gagner plus? Gare à l'excès... On connaît les effets secondaires du traitement substitutif par dopamine trop dosé chez les patients parkinsoniens: jeu pathologique, achat compulsifs, hypersexualité... Si la dopamine ajoute de la confiance en l'avenir, elle réduit aussi les attentes négatives, et nous expose plus facilement au danger. Le même mécanisme serait en jeu dans l'addiction. Le striatum s'active pareillement sous cocaïne ou amphétamine. L'excès de confiance dans le système de récompense immédiat serait-il également caractéristique des tradeurs débridés?

L'homo economicus n'est pas seulement sensible à la récompense. Il l'est tout autant à la punition. Le célèbre neurologue Antonio Damasio montre que ses patients atteints de lésion du cortex préfrontal sont incapables de choisir entre une loterie qui rapporte gros sur le moment mais mène à leur perte à terme et une loterie dont les gains ponctuels sont moindres, mais le bilan final positif. Leurs performances intellectuelles ne sont pourtant pas modifiées et ils sont capables de décisions rationnelles... sur le moment. Ce qui leur manque, c'est la valence émotionnelle dans la décision. L'émoussement affectif dû à leur lésion leur empêche d'exprimer un regret par anticipation. La prise de décision optimale est en fait sous contrôle de l'affect: si on imagine la déception de nos pertes futures, on peut très bien accepter de moins toucher d'argent au présent. C'est la théorie des marqueurs somatiques, ou comment notre ressenti des choses vient s'ajouter à notre analyse logique. C'est aussi un vieux principe du marketing: associez à un produit une image heureuse, ensoleillée et/ou sexy, le consommateur ira l'acheter même s'il n'en a pas forcément besoin.

L'économie est aussi affaire de collaboration. Le jeu de l'ultimatum est une expérience où deux joueurs doivent partager de l'argent à leur convenance de manière « équitable ». Si l'on résume les activations cérébrales en cas de proposition injuste, on retrouve le striatum ventral et le cortex préfrontal, mais aussi le lobe de l'insula, qui intègre normalement des émotions négatives telles que la peur et le dégoût.

Dans quelle mesure peut-on décoder les intentions d'autrui, deviner son état affectif? On peut tenter de se mettre à sa place, c'est l'empathie. On peut tenter de déduire le prochain coup de notre adversaire, c'est la théorie des jeux. Ces deux processus sont en fait assez proches, même si la finalité -partager un état affectif ou gagner la partie- diffère.

Le Prix Nobel Daniel Kahneman a simplement testé l'altruisme, quelles que soient ses motivations profondes (simple générosité, désir d'intégration, création d'un lien, souci de son image...), à travers un partage spontané d'une somme d'argent. Proposé à des patients autistes, ce jeu est un échec. C'est ici, selon la théorie de l'esprit, le cerveau social qui leur fait défaut. Plus précisément ils n'ont pas développé conscience de la « justice » sociale, suite à un manque d'interactions sociales répétées et de représentations mentales partagées avec autrui.

Sans interaction, pas de coopération. Et sans coopération, pas d'économie.

Plus généralement, le neuroéconomiste Paul Zak suggère que la confiance interpersonnelle est le plus fort prédicteur au niveau national pour savoir si un pays va voir son niveau de vie augmenter ou bien va rester dans la pauvreté. Il a même proposé un corrélat physiologique au niveau de coopération: la concentration plasmatique d'ocytocine. Neuro-hormone libérée notamment au moment de l'accouchement, elle serait plus généralement un signal de "collaboration acceptée" devant un interlocuteur sympathique et/ou digne de confiance.

Petit à petit se dessinent donc des substrats neuronaux aux comportements économiques intégrant le cerveau social tout comme nos émotions intérieures. Encore un domaine où la pathologie apporte à la compréhension de l'individu « normal ».

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