Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Investiture d'Obama: je me souviens du 20 janvier 2009

Il faisait froid à pierre fendre dans les rues de Washington ce jour-là. Tous les habitants de la ville (à 90% démocrates) et tous ceux qui s'y étaient rendus pour l'événement (beaucoup de maisons débordaient de parents venant des quatre coins des USA et même d'amis ayant fait le voyage de l'étranger) partirent tôt à pied vers le Mall, le parc national du centre-ville de Washington.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
PC

Il faisait froid à pierre fendre dans les rues de Washington ce jour-là. Tous les habitants de la ville (à 90% démocrates) et tous ceux qui s'y étaient rendus pour l'événement (beaucoup de maisons débordaient de parents venant des quatre coins des USA et même d'amis ayant fait le voyage de l'étranger) partirent tôt à pied vers le Mall, le parc national du centre-ville de Washington. Par extension, le Mall désigne aussi un immense espace qui s'étend sur plus de trois kilomètres, allant du Lincoln Monument au Capitole, avec au milieu, le Washington Monument, l'obélisque emblème de la ville. De granit et de marbre, il n'a rien d'antique ni d'égyptien comme celui de Paris, place de la Concorde, mais il fut achevé dans les années 1880, symbolisant depuis la capitale des Etats-Unis, à la manière de notre Tour Eiffel.

La cérémonie était prévue vers midi, mais il fallait être très en avance si on voulait tenter d'en apercevoir quelques moments. L'atmosphère était à la liesse dans cette ville aux avenues larges et majestueuses transformée en ville piétonne. La foule joyeuse, était consciente d'assister à un événement sans précédent, et s'y pressait, compacte et glacée.

On ne devinait pas les visages, mangés par les cagoules et les écharpes qui ne laissaient voir que les yeux. Silhouettes de doudounes, de bottes, de bonnets, déferlant vers le Mall.

Jamais je n'avais vu pareille multitude. Mes références étaient françaises : je n'avais jamais vu plus d'un million de personnes envahir Paris.

Pour l'intronisation d'Obama -aux Etats-Unis on dit "inauguration" comme s'il s'agissait d'un monument enfin ouvert au public- la foule, en ce 20 janvier 2009, était deux fois cela: deux millions de spectateurs se sont entassés sur cette gigantesque esplanade, pour ne rien manquer de la communion exceptionnelle entre un homme, un peuple, un destin et l'Histoire.

Après une heure de marche et quelques photos que, perchée sur une poubelle, je réussis à prendre de ce fleuve qui se ruait vers le Mall, je me retrouve, avec les amis qui m'accompagnaient, bloquée, à mi parcours du Mall, au pied du Washington Monument. Impossible d'avancer plus avant vers le Capitole. Impossible de grimper les trente mètres de talut qui nous séparaient de l'obélisque. Impossible de se réchauffer, pendant les trois heures qui restaient à patienter, la foule se tenant serrée, pour couper le wind chill (la température ressentie) qui devait être de moins quinze degrés. Le soleil était là pourtant, mais pâle et blanc, et quand, en passant derrière l'obélisque, l'ombre nous recouvrit quelques longues minutes, une clameur de dépit accompagna les frissons de la petite communauté gelée qui se trouvait dans ce coin de la pelouse.

Pour passer le temps, on discutait avec les voisins, on saluait par des "bouhh" très américains ou des applaudissements très universels, les personnages qui défilaient sur les télévisions semées tous les 100 mètres. Pas question d'apercevoir l'estrade où se passait la cérémonie, il fallait se contenter des écrans.

Evidemment, on se devait d'acheter des mugs, des sacs, des affiches, des pins, des tapis de souris à l'effigie du Grand Leader. Le culte de la personnalité, ce jour-là, battait son plein.

Très applaudis à leur arrivée dans les tribunes installées au pied du Capitole, Jimmy Carter, le couple Clinton et Ted Kennedy qui avait l'air vaillant, bien que quelques heures plus tard, il fut évacué du déjeuner officiel à cause d'une nouvelle attaque cérébrale. Cet homme, était devenu l'un des personnages les plus respectés des Etats-Unis, un formidable législateur qui a passé sa vie au Congrès à faire oublier ses erreurs de jeunesse et qui fut pleuré, à sa mort, quelques mois après cette intronisation.

La bénédiction -inévitable dans ce pays qui mêle si étroitement religion et vie publique- fut donnée par le Révérend Warren. Ce pasteur rendu très antipathique par ses prises de position homophobes et contre l'avortement, paraissait lui aussi gagné par la ferveur de la journée. Je me souviens que l'apparition de Bush fut sifflée. Que dire de celle de Dick Cheney, qui arriva - ô symbole, là aussi - en chaise roulante. Fin sans grâce d'une présidence désastreuse. C'était cela aussi que fêtait cette foule: certes, la fierté de voir pour la première fois un président noir élu à la tête des Etats-Unis, homme de culture et d'envergure, beau, jeune, élégant. Mais aussi la fin de la honte de deux mandats naufragés: même des Républicains qui avaient voté pour Bush une ou deux fois n'en étaient vraiment pas fiers.

Et Obama vint. Ainsi que la belle Michelle, sa femme, dans une tenue un peu trop dorée à mon goût mais qui lui allait bien, tant elle avait de l'allure. Les deux petites filles étaient charmantes -n'oublions pas qu'aux Etats-Unis, c'est un couple et souvent ses enfants qui sont célébrés en bloc comme hôtes de la Maison Blanche. Obama avait le port de tête altier de celui qui sentait la gravité de l'instant et déjà, me sembla-t-il, le poids du pouvoir.

La veille, Bruce Springsteen avait chanté la victoire. Ce matin-là, c'est Aretha Franklin, Itzak Perlman, un des plus grands violonistes du monde et YoYo Ma, le violoncelliste qui succéda à Rostropovitch au firmament de la musique, qui officiaient. Je me souviens avoir regretté qu'ils jouent du John Williams, sorte de soupe musicale, qui n'était à la hauteur ni de l'événement, ni des interprètes.

La prestation de serment et le discours, ces moments tant attendus par les Américains qui frissonnent au serment sur la Bible, furent ovationnés comme il convient. Si je me le rappelle bien, il s'agissait d'un message au monde, d'une Amérique qui se proclamait à la fois amie du monde musulman, mais forte pour se défendre contre le fanatisme. Vœu pieu et hélas, impuissance verbale. Que reste-t-il aujourd'hui de ce discours inaugural d'un orateur hors pair qui doit presque autant à sa rhétorique qu'à sa politique? Une impression, une émotion, une espérance.

La fin de l'équipée fut moins grandiose, alors que 50.000 personnes (dont j'étais) se retrouvèrent, au coin de Constitution -une des grandes avenues qui borde le Mall- et de la 16e rue -large elle-même comme une avenue- coincées entre le millier de sanisettes installées et les grillages que d'audacieux ont fini par renverser et piétiner pour qu'on ne finisse pas étouffés. Mais tout cela avec calme et gentillesse, tant la resquille ou les protestations devant les embouteillages piétons ou automobilistes, sont pris avec flegme par des citoyens habitués à suivre les consignes ("Follow the rule", "suivez la règle", lit-on dans les administrations où les plus impatients seraient tentés de protester).

Il fallut bien rentrer. Les rues -vastes comme les Champs Elysées- laissaient lentement s'écouler une foule dense et le retour fut long, aux mains et pieds gelés. Il ne restait plus qu'à regarder la télévision qui, sur toutes les chaînes, montrait, dans Pennsylvania Avenue -une des artères principales de Washington qui va du Capitole à la Maison Blanche- la remontée glorieuse d'un couple présidentiel radieux, accompagné des commentaires énamourés des journalistes conquis. Quant aux spectateurs si sages et silencieux pendant la cérémonie, ils laissaient, tout au long du parcours, éclater leur joie et leurs espoirs comme un jour de Libération, dans une sorte de grondement ininterrompu.

Quand Obama va prêter serment, ce lundi 21 janvier 2013, au lendemain du sanglant dénouement de la prise d'otages en Algérie, que peut-il se dire? Que jamais il ne retrouvera la joie populaire d'il y a quatre ans. Que le pouvoir du président des Etats-Unis paraît immense mais est au fond minuscule, inexistant contre le terrorisme et réel seulement à la marge sur l'économie. Il peut peut-être, en revanche, attacher son nom -et ses prises de position des dernières semaines le laissent entrevoir- à un bouleversement des mentalités au moins aussi important que celui qu'il initia en donnant une couverture santé à plus de trente millions d'américains dépourvus. Je veux parler ici du contrôle des armes à feu, pour lequel Barack Obama va se battre, mais que la NRA fera tout, on peut le craindre, pour s'y opposer. Lincoln, dont le film de Spielberg, nommé aux Oscars va célébrer l'histoire, a aboli l'esclavage. Obama, pourrait lui, empêcher le meurtre de dizaines d'enfants par an, meurtre que flatte, au fond, l'idéologie que porte ce terrible lobby des armes. Comme on dit aux Amériques,"God bless the President of the United States", et lui donne la force d'amorcer cette révolution. L'ivresse de la victoire, une fois évanouie, peut laisser la place à une certaine espérance tranquille.

Voyez des images recueillies par nos collègues du Huffington Post américain:

Barack Obama (2009)

Presidents On Inauguration Day

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.