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Éclairages géopolitiques sur 2014, une année qui change le monde

Rares sont les périodes où l'on a si clairement le sentiment qu'un vieux monde a déjà disparu et que le nouveau met du temps à naître... et à se laisser comprendre.
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Rares sont les périodes où l'on a si clairement le sentiment qu'un vieux monde a déjà disparu et que le nouveau met du temps à naître... et à se laisser comprendre.

Il y eut certes les millésimes «1989 et 2001. Mais un seul événement alors, énorme il est vrai, déstabilisait le monde et nos références, le Mur, les Tours. Depuis le début de l'année 2011, en revanche, les événements sont innombrables, tous les fronts semblent se mettre en mouvement simultanément. Et 2014 donne même l'impression d'un emballement. En Afrique, dans ce qu'il est convenu d'appeler le Moyen-Orient, aux frontières mêmes de l'Europe, l'Ukraine et la Crimée.

Un événement unique crée l'inquiétude, une multitude provoque l'angoisse

Et sur le terreau des incompréhensions poussent alors les nostalgies d'un passé idéalisé, ainsi que les incantations irrationnelles : l'Histoire serait un éternel recommencement, hypothèse qui serait finalement plus rassurante que le désarroi et ses sortilèges. Sans même évoquer les théories du complot qui s'engouffrent toujours dans les vides explicatifs, il est cependant possible de tenter de troquer un peu d'angoisse contre un supplément de compréhension. Et, pour ce faire, la géopolitique est une grille de lecture qui peut se révéler féconde. (La géopolitique n'étant après tout qu'une autre appellation de l'Histoire et de la Géographie de nos enfances.) Testons là dans ses capacités explicatives les événements de 2014 qui offrent un riche terrain d'expérience. Mais il faudra d'abord prendre du recul, celui que permet l'Histoire, pour revenir ensuite vers l'actualité.

Partons de l'adage bien connu, «l'Histoire est écrite par les vainqueurs»

Les faits attestent sa vérité, les vainqueurs des conflits imposent leurs choix, les places et rues portent leurs noms, les jours fériés s'y réfèrent. Et les vainqueurs redessinent également le monde, dessinent de nouvelles cartes qui inscrivent sur le terrain leurs choix et priorités, partagent parfois les dépouilles des vaincus. Le XXe siècle n'a pas fait exception. Chaque lendemain de guerre a vu de nouveaux atlas être publiés, comme des «Editions spéciales» prenant acte des résultats des conflits. Ils entérinent les choix faits par les vainqueurs, parfois prémédités avant leurs victoires, comme à Yalta par exemple.

Mais si on veut bien regarder la planète terre de l'œil lointain d'un hypothétique habitant de Mars, le dieu de la guerre est ici légitime, on observera cependant d'étranges analogies: aucun Empire n'a survécu aux guerres du XXe siècle, aucun n'est demeuré sur les cartes. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les empires ottoman et austro-hongrois ont été démantelés. On sait ce qui est arrivé au lendemain du second conflit, de la tentative d'Empire allemand, le Reich. Les Empires coloniaux, britannique, français, portugais, n'ont pas survécu bien longtemps au deuxième conflit mondial. Et en 1991, la forme dans laquelle avait perduré l'Empire russe depuis 1917 s'est morcelée.

À chaque fois on a ainsi vu apparaître de nouvelles frontières, de nouveaux états, d'autres qui ont été déplacés.Et nous avons tous appris à regarder le monde, appris à penser au travers de ces atlas qui venaient tout juste d'être dessinés. Imprimés, leur encre à peine sèche, nous les avons cru définitifs, ils devaient l'être. On y voyait Syrie, Irak et Liban, Yougoslavie, un florilège de nouveaux pays en Afrique, une Libye, on en passe. Comme quelqu'un qui confondrait le temps qu'il fait chez lui et le temps qu'il fait dans le monde, nous avons confondu nos atlas datés, millésimés avec des réalités qui auraient été de toute éternité.

Nous avons confondu la durée de nos vies et celle de l'Histoire

Mais il en est des cartes dessinées par les vainqueurs comme de ces tables que l'on recouvre de feutrine. Celle-ci peut masquer, mais ne fait pas disparaître les fractures entre les tables. De même la multiplication de couches de vernis n'occultera pas une marqueterie. Et les (jeunes) cartes ne font jamais disparaître les (vieux) territoires. Les premières sont gribouillées, dans l'urgence, par les vainqueurs. Tandis que les seconds sont sculptés par le temps, par les identités, sentiments d'appartenance, systèmes de croyances qui continuent d'exister sous les vernis. À force de regarder la mer à marée haute, nous avions oublié les rochers recouverts. Ils se rappellent cependant tôt ou tard à notre absence de souvenirs.Et c'est bien là ce dont nous sommes témoins depuis quelques années, en accéléré depuis le début de 2014.

Les vieux territoires secouent les oripeaux des jeunes cartes, elles s'ébrouent, ces vieilles identités auxquelles on avait pensé régler définitivement leur compte.On voit ainsi réapparaître la fracture ancestrale entre Cyrénaïque et Tripolitaine, nous qui avions pensé l'avoir badigeonnée d'une couche appelée Libye.Ressortent également sous nos yeux les lignes de partage archaïques qui partageaient l'Afrique avant qu'on les redistribue dans ce qu'on faisait semblant de croire être des Etats. Au motif qu'ils possédaient drapeau, équipe de football et possédaient un siège à l'ONU. Les clivages religieux, ethniques, ceux qui ont toujours opposé nomades et sédentaires, ces divisions dont on avait cru faire table rase, ressurgissent, s'ébrouent en se réveillant et se moquent de frontières n'ayant qu'un demi-siècle d'âge.

D'autres antagonismes, venus du fond des temps, ressurgissent, chacun le constate, entre chiites et sunnites, perses, arabes, les combinatoires sont nombreuses, sans oublier les minorités. Ils font fi des découpages des États nés de la dissolution de l'Empire ottoman, lorsqu'on souhaitait aussi dissoudre de vieilles identités en les répartissant entre plusieurs Etats artificiels. Churchill disait que l'Irak avait été conçue un dimanche après-midi de folie. Mais, il arrive un jour où les fous des cartes se heurtent au principe de réalité des territoires, dans lesquels s'engouffrent d'autres fous barbares qui redessinent leur monde en faisant fi des frontières, moins d'un siècle d'âge ces frontières, ce n'est rien à l'échelle de l'Histoire.

On observe aussi que les oubliés des cartes, du XXe siècle, laissés pour compte des découpages territoriaux, les Kurdes et les Touaregs par exemple, tentent de saisir l'occasion pour obtenir réparation lors de la session de rattrapage qui s'ouvre.On pourrait multiplier les exemples, et en Europe également, de ces identités qui ont continué à vivre sous les cendres des découpages et des regroupements. Elles se réaffirment, ni l'Espagne, ni le Royaume qui a bien failli n'être plus uni, ni la Belgique ne peuvent les dissoudre. Quant à l'Ukraine, à la Crimée, on gagnerait à regarder des atlas antérieurs au XXe siècle pour comprendre que ceux de 1945, ceux de 1991 ne correspondent pas aux appartenances identitaires historiques. Les cartes ne sont que des tableaux non figuratifs.

Est-il utile de rappeler que la France des régions a offert, elle aussi, cette année même, de somptueuses illustrations? On redécouvre notamment que les Bretons sont prompts à retrouver leurs particularismes insulaires. Une évidence éclaire l'année 2014 : de tous côtés, les territoires prennent leur revanche sur les cartes, les identités déchirent les habillages qui voulaient les recouvrir. L'Histoire n'est donc pas un éternel recommencement : c'est la parenthèse ouverte pour tenter de l'arrêter qui vient de se refermer.

La géographie ne vaut que si elle est fécondée par l'Histoire

Et si l'Histoire est écrite par les vainqueurs, leurs dessins s'inscrivent sur des palimpsestes, les anciens écrits n'ont pas disparu. Un jour peut venir où les identités vaincues peuvent souhaiter prendre de revanche. Une question peut ici surgir: pourquoi l'année 2014, pas avant ni après? Mais ceci serait une autre histoire, une autre Histoire...

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