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Fabriquer le «Nous» identitaire anglo-canadien: «Story of US»

L'histoire du Canada est revue et réinterprétée à travers des portraits où les Anglais sont peints de manière positive, tout en dépréciant ou dépeignant négativement la présence des ancêtres français installés deux siècles plus tôt, ou en la passant carrément sous silence.
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Le gouvernement du Canada dépense 500 millions de dollars pour célébrer 1867, même si à l'évidence ce 150e est loin de marquer la fondation du Canada comme je l'ai montré dans le billet «Quel âge a le Canada?», où je concluais: «il faudrait en profiter pour mettre de l'avant un peu de l'histoire complexe du Canada et de la diversité de ses nations fondatrices».

Malheureusement, c'est mal parti. La principale initiative en matière d'information historique revient à CBC qui diffuse depuis trois semaines Canada: The story of US une série de 10 émissions présentant chacune cinq portraits historiques.

Malgré le montant investi, le résultat est choquant pour le Canada francophone, né quelques siècles avant 1867. Il s'agit de capsules à saveur historique destinées à créer des héros (anglo-)canadiens, un Nous identitaire Canadian, historiquement biaisé.

L'histoire du Canada est revue et réinterprétée à travers des portraits où les Anglais sont peints de manière positive, tout en dépréciant ou dépeignant négativement la présence des ancêtres français installés deux siècles plus tôt, ou en la passant carrément sous silence.

Déprécier ou ignorer les fondateurs français :

Lors de la première émission, Champlain, considéré comme un Père fondateur de la Nouvelle-France, est présenté vêtu de vêtements crasseux, sale, lors d'une rencontre diplomatique auprès des Amérindiens.

Les autres Français qui sont mis en scène dans la première émission sont présentés dans des rôles de comploteurs (Duval) et de traîtres (Radisson). Alors que le général anglais Wolfe en 1759 est présenté comme «tiré à quatre épingles» à la bataille sur les plaines d'Abraham «comme si le pouvoir civilisateur des Anglais venait de leurs mœurs supérieures» et qu'enfin en 1760, les Anglais venaient mettre fin à ce régime «inférieur».

Dans la seconde émission, Alexander Mackenzie est dépeint comme un superhéros, le premier être humain qui aurait réalisé un tracé traversant les Rocheuses pour atteindre le Pacifique en 1793. C'est à peine si on dit que Mackenzie était accompagné de Dénés et des Voyageurs. Sans explication. On passe sous silence l'apport des Français, des Métis et Amérindiens. La vérité est que bien avant Alexander Mackenzie, des Canadiens français et Métis avaient auparavant été reçus et avaient visité le territoire déné.

Serge Bouchard, rappelle que ces Voyageurs, remarquables oubliés du voyage de Mackenzie en 1793, se nommaient «Charles Doucette, Joseph Landry, François Beaulieu, Baptiste Bisson, François Courtois et Jacques Beauchamp».

Dans cette seconde émission, le narrateur affirme que ce n'est qu'après 1777 que les «commerçants» se rendent au-delà des Grands Lacs, alors qu'en 1777 cela faisait près d'un siècle que les «coureurs des bois et voyageurs» franco-canadiens faisaient le commerce des fourrures avec les nations amérindiennes vivant au nord et à l'ouest des Grands Lacs. (Sans oublier, Pierre Gaultier de la Vérendrye et ses fils qui de 1731 à 1736 ont fait officiellement l'exploration de l'Ouest au-delà des Grands Lacs alors qu'ils cherchaient la route pour la «mer de l'Ouest». )

Effacer les moments sombres du Nous Anglo-Canadien:

Enfin, les auteurs ont jugé bon d'effacer les moments sombres de l'histoire du Canada afin de préserver une image «héroïque» positive des «héros» anglais.

Pour conquérir la Nouvelle-France, l'armée anglaise s'est d'abord emparée de l'Acadie, puis de 1755-1763, elle a déporté plus de 12 000 descendants des Français (1755-1763), un crime contre l'humanité qui aujourd'hui serait qualifiée de «purification ethnique». Avant de ravager la Côte-Sud en brûlant les fermes sur son passage pour affamer et faire tomber Québec.

Pourquoi cet oubli? Ce genre de crime ne fait pas bonne impression quand on fabrique l'image d'un pays que le premier ministre Trudeau présente dès la première minute de la première émission comme «enracinée dans la diversité» (on dirait une infopub, le problème est qu'elle est payée par nos impôts et qu'elle est truffée de biais discriminants).

La série qui comptera dix épisodes sera distribuée dans les écoles. Pas de doute, le tout vise non seulement à fabriquer une identité nationale, un Nous identitaire anglo-canadien attrayant pour les anglophones, et à la transmettre aux générations qui grandissent.

Une identité attrayante aussi pour les allophones, mais en fin de compte «de nombreux francophones en viennent à intérioriser un sentiment d'être inférieurs, les poussant vers l'assimilation, car beaucoup cherchent à fuir une identité stigmatisée» (Michel Bouchard, BC).

Étant donné les biais présentés, la CBC ne doit pas être autorisée à diffuser ce matériel dans les écoles. Il induit une forme de discrimination culturelle.

Du Canada des deux peuples fondateurs au Canada multiculturel post-1982

L'Acte d'Amérique du Nord Britannique qui lançait le Dominion of Canada de 1867 n'est qu'un chapitre d'une histoire qui a commencé des siècles auparavant.

Le premier ministre du Canada, R.B. Bennett déclarait en août 1934 à Gaspé, dans le cadre des fêtes du 400e anniversaire de la naissance du Canada, que le Canada s'était construit sur deux peuples fondateurs, les Français et les Anglais. Malheureusement, il oubliait les Amérindiens.

Mais en particulier depuis 2016, alors que la Commission Vérité et réconciliation a rendu le verdict à l'effet que le Canada de 1867 a été responsable du génocide culturel des peuples amérindiens du Canada, le gouvernement de Justin Trudeau fait enfin acte de contrition et preuve de coopération avec les peuples amérindiens.

Par contre, depuis le rapatriement unilatéral de la constitution par Pierre Elliot Trudeau en 1982, c'est le second peuple fondateur, les Français, devenus au cours des siècles canadiens, puis Canadiens français, aujourd'hui incarné par la nation québécoise qui est ignorée.

Le PM Justin Trudeau continue de méconnaître le second peuple fondateur, en niant son existence et le dissolvant dans un discours et des pratiques se réclamant du multiculturalisme et de la diversité.

Le PM Justin Trudeau continue de méconnaître le second peuple fondateur, en niant son existence et le dissolvant dans un discours et des pratiques se réclamant du multiculturalisme et de la diversité.

Cela se reflète bien dans cette série The Story of US que le PM Justin Trudeau a endossé en la présentant dès la première minute de la première émission.

Il y a deux conseillers principaux en matière de contenu de cette série de dix émissions, l'historien John English, ainsi que l'artiste autochtone Gerald McMaster, (École d'art et de design de l'Ontario).

Effectivement, on peut constater dans la série que les Amérindiens sont bien présentés. Ils sont bien mis en valeur (costumes, allure fière, etc.) artistiquement dans la série.

Quant au conseiller principal John English. Ce dernier est un ancien député du Parti libéral fédéral. Il est notamment l'auteur, d'une biographie en deux tomes de Pierre Elliott Trudeau, père de l'actuel premier ministre, rédigée à la demande de la famille. John English est aussi membre de la Fondation Trudeau depuis 2003. La Fondation Trudeau est l'âme de la production et la diffusion du discours multiculturaliste diversitaire.

Il ne faut pas s'étonner de constater que cette série soit conforme au dogme du multiculturalisme (tous des immigrants), et que le second peuple fondateur, malgré sa présence depuis quatre siècles, soit négligé, oblitéré, conformément à la doctrine qui a cours depuis le rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982.

Mais la diversité est une notion complexe. Elle ne se réduit pas au décompte du nombre d'individus provenant d'ethnies différentes vivant sur un même territoire. Respecter la diversité d'un pays, c'est aussi respecter la diversité de ses nations fondatrices.

Les nations «sont une nécessité comme conservatrices vivantes de cultures et d'identités, foyers de démocratie, résistances aux forces unanimes mues par le profit» (Edgar Morin, L'humanité de l'humanité, p. 277).

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