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La cofondatrice de Québec solidaire revient sur sa carrière de militante et de politicienne, ainsi que sur le «burn-out» qui y a mis fin.

Nous sommes en mai 1995: Françoise David fait une première arrivée marquée sur les écrans et dans les journaux du Québec. C'est le début de la Marche du pain et des roses, grand événement du mouvement féministe qui a apporté des changements importants dans la vie de nombreuses femmes en situation précaire. C'est aussi le germe qui, une décennie plus tard, mènera au début d'une carrière politique en ascendance continue... qui prendra fin abruptement en 2017.

Retour sur les événements, dans le cadre de notre série d'entrevues Politique: quand vient le divorce.

La Marche du pain et des roses a rassemblé des milliers de femmes parcourant à pied la distance entre Montréal et Québec, ou entre Rivière-du-Loup et Québec. Elle marque l'entrée de Mme David dans la conscience collective des Québécois.

L'événement occupe une place particulière dans le coeur de son idéatrice, entre autres parce qu'il a permis de remettre la cause des femmes à l'ordre du jour politique. Et aussi parce que les femmes ont obtenu des résultats tangibles, notamment une hausse du salaire minimum et une loi facilitant la perception des pensions alimentaires auprès des ex-conjoints.

«Bien sûr, on n'a pas tout obtenu. On demandait 85¢ d'augmentation du salaire minimum, on a eu 45¢. Il y a des femmes qui étaient déçues, mais je leur disais que c'est la plus grosse augmentation d'un seul coup qu'on a jamais eue!», se rappelle Mme David, qui était alors présidente de la Fédération des femmes du Québec.

Ascension politique lente mais continue

La Marche du pain et des roses a aussi mené à la Marche mondiale des femmes en 2000, encore une fois à l'initiative de Mme David et de certaines collègues notables, dont Manon Massé. Mais le résultat a été beaucoup moins convaincant: le gouvernement de Lucien Bouchard n'a pas répondu aux principales revendications des femmes.

Je me suis rendu compte que j'avais semé quelque chose.Françoise David

«Et là, quelques femmes et moi, on s'est dit "qu'est-ce qu'on va dire aux femmes au moment du grand rassemblement final?". Il y avait 30 000 personnes. [...] Alors il nous était venu quelques idées. Une grève des femmes dans un prochain 8 mars? Et là la foule fait "ouais! ouais!". De la désobéissance civile pacifique? "Ouais! ouais!" Et là je lance "est-ce qu'on ne devrait pas mettre au monde une nouvelle alternative politique, féministe et de gauche?". Et là la foule est en délire! Là je me suis rendu compte que j'avais semé quelque chose», se rappelle la militante.

Mme David lance son mouvement politique en publiant un livre en 2004. Puis, elle s'associe avec l'Union des forces progressistes d'Amir Khadir pour fonder Québec solidaire (QS) en 2006. En 2008, M. Khadir fait son entrée à l'Assemblée nationale, suivi de Mme David en 2012. Manon Massé vient les rejoindre en 2014.

Départ subit

Françoise David a toutefois mis fin abruptement à sa carrière politique en janvier 2017, presque deux ans avant la vague qui allait tripler la députation solidaire à l'Assemblée nationale. Elle s'approchait de l'épuisement professionnel.

«Tu rentres chez vous la fin de semaine, même mettons si c'est une fin de semaine tranquille, et tu te demandes "mais qu'est-ce qui va péter le samedi ou le dimanche?". Alors c'est un peu du sept jours sur sept, et je n'en pouvais plus», ajoute-t-elle.

Mme David, 70 ans, ajoute toutefois qu'elle ne veut pas décourager les jeunes ou les femmes d'aller en politique.

«Ce ne sont pas tous les politiciens et politiciennes qui finissent avec des burn-outs. [...] On était deux [à l'Assemblée nationale], ensuite trois. Mais les attentes sont exactement les mêmes que si on était 30!», souligne-t-elle.

«Maintenant, ils sont dix députés solidaires. Juste ça, ça change tout. [...] Ils vont avoir beaucoup plus d'employés, beaucoup plus de monde pour aider les députés. Tout va changer. Alors non, ils feront pas de burn-out

Plaidoyer pour le changement lent

Activiste de longue date et de toutes les batailles, Mme David rappelle qu'il est important d'avoir une vision à long terme lorsqu'on souhaite changer la société. Elle prend en exemple le printemps étudiant, auquel elle a participé et qui a facilité son élection en 2012.

«Je sais que cet événement a suscité d'énormes espoirs. Je sais que beaucoup d'étudiants ont été déçus, parce que, oui, il y a eu l'abolition de cette augmentation des droits de scolarité. Mais au fond, après plusieurs mois de grèves, de marches, de tout, c'est évident que les jeunes espéraient plus. [...] Je leur disais "vous avez quand même gagné ce pour quoi vous êtes sortis en grève, mais non, vous avez pas gagné que la société gagne au complet". Mais ça, ça se fait pas en trois mois. Ou même en six mois. Ça se fait même pas en trois ans», dit-elle.

D'ailleurs, c'est maintenant que la militante voit les effets des grèves étudiantes. Le transfert de ces énergies vers d'autres mouvements et, en partie, vers QS, a participé à l'élection de sept nouveaux députés solidaires en octobre dernier.

«C'est curieux hein? Sept ans plus tard. Parce que beaucoup de jeunes se retrouvent maintenant dans des mouvements militants, des mouvements citoyens. Et entre autres, le mouvement environnemental qui prend forme et qui vient de la base. C'est plein de jeunes là-dedans.»

Québec solidaire: «un méchant beau bébé!»

Ces temps-ci, Mme David suit la politique avec un regard beaucoup plus détaché. Elle ne s'était pas présentée au congrès qui a concrétisé la fusion de son parti avec Option nationale, question de ne pas jouer à la «belle-mère».

Mais Québec solidaire, son «bébé», elle le porte toujours en son coeur. Et elle regarde fièrement ses accomplissements depuis son départ.

«C'est un méchant beau bébé! Ce n'est même plus un bébé, je pense que QS est un parti qui a beaucoup de maturité maintenant. Avec 20 000 ou 25 000 membres, c'est quand même extraordinaire. Et une équipe de dix députés très solides. Moi je suis tout simplement très contente», dit-elle en entrevue.

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