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«Être itinérant l'hiver, c'est tout ce que vous pouvez imaginer et encore cent fois pire»

Entretien avec Mario, dans la rue depuis plus de trois ans à Montréal.
Mario, un itinérant rencontré dans le métro de Montréal (Stéphane Tremblay)
Stéphane Tremblay
Mario, un itinérant rencontré dans le métro de Montréal (Stéphane Tremblay)

«Le froid c'est comme un serpent, il arrive soudainement, te transperce le corps et tu ne sais pas si tu survivras», lance Mario, un itinérant qui en était à sa cinquième nuit à dormir dehors par un froid polaire lorsque le HuffPost Québec l'a rencontré.

Une rencontre inattendue dans le métro de Montréal. Mario n'en pouvait plus d'être congelé. Des traces d'engelures sur ses mains ne pouvaient le faire mentir. Des traits tirés en ce début de soirée démontraient qu'il n'avait pas eu une bonne nuit de sommeil depuis des lunes. Il a supplié les gens dans le métro de lui venir en aide se disant incapable de lutter une autre nuit contre un froid sibérien. Il s'est adressé aux gens avec politesse, lui qui semblait ne pas être intoxiqué par l'alcool ou la drogue.

«Excusez-moi. Bonne journée! Ça fait une semaine que je dors dehors au gros froid, avec un insupportable vent mélangé à du verglas. Ce n'est pas facile. C'est l'enfer. J'ai toujours froid. Même s'il fait plus chaud, il est trop tard, le froid est pogné dans mes os et je ne peux guérir ou encore récupérer n'ayant pas un sou pour manger un bon repas. Svp, aidez-moi. Ce soir, je ne veux pas coucher dehors. J'ai besoin de 32$ pour un repas adéquat, une douche et un lit», souffle-t-il.

Tout le monde dans le métro l'a écouté attentivement, même ceux qui avait leurs yeux rivés sur leur téléphone intelligent se sont arrêtés. Et plusieurs ont été généreux. Rapidement, Mario a amassé la somme souhaitée, voire rêvée, et même un peu plus.

«Être itinérant l'hiver, c'est tout ce que vous pouvez imaginer et encore cent fois pire», soupire celui qui a couché dehors lors de la dernière vague de froid extrême qui a glacé le Québec.

J'ai voulu lâcher prise à la vie, mais mon frère ne voudrait certainement pas que j'en finisse moi aussi.

Mario a 39 ans. Il n'a pas toujours été un itinérant. Au contraire. Il avait une belle vie. Il travaillait pour une compagnie de déménagement à Québec et passait ses soirées avec son amoureuse. C'était avant le suicide de son frère jumeau. «Du jour au lendemain, j'ai touché le fond du baril avec des problèmes de plus en plus grandissants de drogues et d'alcool. Une dépression qui m'a tout fait perdre. J'ai quitté Québec il y a trois ans et demi pour venir vivre dans la rue à Montréal.»

Son jumeau était homosexuel. Il n'acceptait pas son orientation sexuelle et vivait du rejet, raconte Mario. «Mon frère n'en pouvait plus de se faire écoeurer. Il a mis fin à ses souffrances. Quand on dit que des jumeaux identiques ont un lien spécial, c'est vraiment vrai», livre-t-il avec la gorge nouée par l'émotion.

«J'ai voulu lâcher prise à la vie, mais mon frère ne voudrait certainement pas que j'en finisse moi aussi. Je garde espoir même si ce n'est pas facile de vivre dans la rue», ajoute-t-il en éclatant en sanglots, assis sur un banc dans le métro où il venait d'accepter de raconter le récit de son combat quotidien.

Tout est compliqué. Mario ne reçoit même pas un chèque de la sécurité du revenu n'ayant pas d'adresse. Il réalise quelques travaux au noir pour survivre.

Le soir pour dormir, sans couverture pour s'emmitoufler, il doit trouver des endroits cachés pour affronter le dur hiver. «Je cherche des endroits avec des bouches d'aération de chaleur, mais encore là, il y a une chasse aux sorcières par la police qui te traque et t'oblige à circuler et ce, même si tu grelotte, claque des dents, que tes pieds sont congelés et que tu ne sens plus tes orteils.»

Quand la température chute drastiquement, comme ces derniers jours avec des -30 C, Mario use d'astuce pour dormir. «Il y a souvent des caméras et des agents de sécurité à ces endroits chauds, moi j'attends que le gardien termine sa ronde et je lui téléphone pour dire que je viens de voir quelque chose au fond de l'édifice. Pendant qu'il cherche, moi je peux dormir un peu plus longtemps. Dormir est un grand mot. Je fais plus des siestes de 15 à 30 minutes, deux à trois par nuit, debout ou accroupi. Il ne faut pas se coucher car c'est trop dangereux de ne pas se relever et tomber mort dans la neige. Les nuits sont très longues.»

Comme si la vie de Mario n'était pas assez misérable, il s'est fait voler son téléphone cellulaire dernièrement par un autre homme de la rue. Il ainsi perdu son précieux sésame qui était sa meilleur arme pour déjouer les gardiens de sécurité. C'était son moyen infaillible pour atteindre son but: dormir au chaud.

Les refuges débordent

La journée même de l'entrevue, Mario s'était rendu à la Maison du Père avant 15h30, heure limite pour les admissions. «C'était plein. Des 150 personnes qui faisaient le line-up, 48 exactement ont été obligées de faire demi-tour et de tenter de survivre à une autre vague de froid.»

Les hôpitaux? «C'est un mythe. Il faut vraiment avoir besoin de l'urgence pour qu'ils te garde. Ou être un bon acteur, sinon tu es dehors peu importe la température à l'extérieur.»

L'été, aussi difficile

Mario vit dans la rue depuis trois ans et demi, été comme hiver. Les journées il s'occupe comme il peut: quelques heures de marche à l'extérieur et beaucoup de flânage dans le métro. L'été, il couche sur un banc dans les parcs et parfois il se trouve un abri de fortune ou un simple auvent pour se protéger de la pluie.

«L'itinérance, été comme hiver, c'est dangereux. Ce sont deux mondes bien différents, car l'hiver il y a plus d'organismes qui viennent en aide aux sans-abri en distribuant des repas dans la rue. L'été, c'est la chaleur qui est mortelle. Tu perds conscience en raison de la déshydratation n'étant pas capable de manger un bon repas avec des légumes pour reprendre de l'énergie. Il y a aussi le côté d'hygiène, tu ne sens pas bon l'été et pour quelqu'un qui a encore une dignité, c'est difficile sur le moral.»

Le BS, un revenu de survie

En fin d'entrevue, Mario avait retrouvé le sourire dans sa voix, se croisant les doigts en espérant qu'il ne serait plus dans la rue le mois prochain. «Il y a des organismes qui m'aident beaucoup et ils m'ont appris récemment que l'on pouvait avoir un casier postal, ce qui me permettra d'avoir une adresse fixe et obtenir du bien-être social pour aller me trouver une petite chambre à louer et ensuite un travail», dit-il en regardant le plafond du métro comme s'il s'adressait à son frère jumeau parti pour l'au-delà.

«Je recommence à prendre goût à la vie. J'accepte ce qui m'est arrivé. J'accepte la décision de mon frère. Et je ne suis pas capable de me regarder dans le miroir à faire des choses malhonnêtes», poursuit celui qui dit avoir été en prison à deux occasions pour une période de deux à trois mois pour du vol à l'étalage. «J'ai volé de la nourriture parce que j'avais faim».

Les sans-abri, encore plus nombreux à Montréal

L'histoire de Mario est loin d'être unique. Dans quelques semaines, le nombre de sans-abri à Montréal sera connu avec les résultats du dénombrement Je compte MTL, mené au printemps 2018. Un premier décompte avait eu lieu en 2015 où plus de 3000 personnes avaient été comptabilisées. Tous les organismes s'entendent pour dire que ce chiffre sera augmenté.

Bon an mal an, le nombre de nuitées offertes aux sans-abri dans la métropole tourne autour de 250 000.

On dénombre quelque 957 places d'hébergement pour les hommes, les femmes et les jeunes, soit 752 places d'urgence pour les hommes, 129 places pour les femmes et 64 places pour les jeunes. Elles sont réparties entre plusieurs refuges et organismes, tels que la Maison du Père, la Mission Bon Accueil, La Rue des femmes, le Chaînon et le Refuge des jeunes de Montréal.

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