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Manger bio réduit les risques de cancer? Ce que dit vraiment l'étude française

En suivant près de 70 000 personnes, les chercheurs ont décelé 25% moins de cancers chez les personnes mangeant du bio. Mais gare aux conclusions hâtives.
simarik via Getty Images

"Manger bio réduit bien le risque de cancer". "L'alimentation bio réduit significativement les risques de cancer". Depuis lundi 22 octobre, de nombreux médias (dont Le HuffPost) relayent cette information. Son origine? Une étude publiée dans la revue scientifique JAMA, réalisée par des chercheurs de l'Inra, un institut de recherche français.

On y apprend que sur les près de 69 000 personnes suivies par les chercheurs pendant 7 ans, ceux qui avaient une alimentation composée en grande partie de produits biologiques avaient également 25% de risques en moins d'avoir un cancer. Cette conclusion est factuelle. Mais cela ne veut pas forcément dire que le bio réduit les risques de cancer de 25%. Et ce n'est pas une preuve absolue que les pesticides contenus dans les aliments produits par l'industrie agro-alimentaire donnent le cancer, même si d'autres travaux pointent dans cette direction.

C'est d'ailleurs ce qu'affirment les auteurs de l'étude, de même que de nombreux scientifiques spécialistes de la question, qui louent en parallèle la qualité du travail fourni par les chercheurs de l'Inra. Dans la revue JAMA, le même jour, a également été publié un commentaire de trois chercheurs de Harvard, dont Frank Hu, spécialiste en nutrition et diabète, l'un des plus cité au monde.

S'ils approuvent encore une fois les forces de l'étude, ils mettent en avant de possibles faiblesses, de possibles biais pouvant modifier ces résultats. Et invitent, surtout, à bien considérer ce que l'on sait déjà, avec plus de certitude, concernant l'impact de notre mode de vie sur les risques de cancer.

Manger bio ne veut pas simplement dire sans pesticide

Pour commencer, il faut expliquer ce qu'ont fait les auteurs de l'étude. De 2009 à 2016, ils ont analysé un groupe de Français (majoritairement des femmes éduquées): près de 69 000. Pendant tout ce temps, ils leur ont demandé de nombreuses informations sur leur mode de vie. Y compris leurs habitudes alimentaires, telles que la proportion de produits bio qu'ils mangeaient.

Sur la durée de l'étude, 1340 personnes ont été atteintes d'un cancers. Les auteurs ont alors comparé le nombre de cancer en fonction des habitudes de consommation de produits bio. Au global, ceux qui mangeaient beaucoup de produits issus de l'agriculture biologique ont été moins touchés que ceux qui ne mangeaient pas du tout de produits bio.

Le problème, c'est que souvent, les personnes qui mangent bio sont aussi celles qui sont moins sujettes aux risques de cancer, comme l'ont montré de précédentes études: moins souvent fumeurs, moins en surpoids ou obèses, un meilleur équilibre alimentaire, moins d'antécédents familiaux, plus de diplômes...

Les chercheurs ont justement pris en compte ces éléments pour "corriger" le résultat. Mais ont tout de même trouvé une corrélation, un lien entre le fait de manger bio et le risque de cancer. Dans leur commentaire, les trois scientifiques qui répondent à l'étude rappellent que malgré ces efforts, d'autres biais sociétaux peuvent avoir été oubliés (ce que ne contestent pas les auteurs).

Par exemple, ils regrettent que les personnes ne consommant pas de produits bio n'aient pas été "triés" en différentes catégories: ceux qui ne peuvent pas pour des questions de prix, de non disponibilité des produits, ou encore par manque d'intérêt. Cela aurait permis de "minimiser les biais relatives à l'état de santé".

Des cancers particuliers

Dans le commentaire, les trois chercheurs évoquent aussi une autre limite: "Les auteurs estiment qu'une consommation plus élevée de nourriture organique autodéclarée entraîne une exposition plus faible aux pesticides". Ils rappellent que si certaines études ont montré un lien, d'autres au contraire n'ont pas trouvé de lien entre consommation de produits bio et moins de pesticides présents dans le corps.

Autre point important: la différence entre les types de cancers. La diminution de leur nombre chez les personnes mangeant bio est significative (cela veut dire qu'il y a peu de chance qu'elle soit due au hasard) uniquement dans deux cas: le cancer du sein chez les femmes ménopausées et les lymphomes.

"Les données sont surtout convaincantes avec les lymphomes non-hodgkiniens, car de précédentes études ont montré les mêmes effets préventifs", note Tim Spector, professeur de génétique épidémiologique au King's College de Londres. En effet, en 2014, une autre étude a été publiée dans Nature sur les mêmes thématiques. Mais cette fois, avec dix fois plus de personnes (623.000), uniquement des femmes.

La conclusion de ces travaux? Il n'y a aucune incidence (ou très faible) de la consommation de produits bios sur le cancer... "excepté possiblement pour les lymphomes non-hodgkiniens". Le problème, avec l'étude française, c'est que si 70.000 personnes, cela semble beaucoup, moins de 50 personnes ont contracté ce type de cancer. Dans le détail, 2,2% des personnes du groupe ne consommant pas de produits bio ont été touchés, contre 1,6% pour celui consommant le plus de produits bio.

Ces observations "sont basées sur un faible nombre mais sont similaires aux résultats de la seule précédente étude [celle citée plus haut, ndlr], ainsi ce possible lien mérite de futures recherches, par exemple sur les pesticides", estime Tim Key, professeur d'épidémiologie de l'université d'Oxford.

Surtout que, comme le rappelle Le Monde, les types de cancers qui diminuent avec une alimentation bio sont étrangement les mêmes qui semblent augmenter chez les agriculteurs exposés aux pesticides.

Une question de risques et de chiffres

Car, encore une fois, la plupart des chercheurs trouvent ces résultats intéressants. Mais pas suffisants. Une corrélation peut-être due à de nombreux facteurs extérieurs et ne veulent pas dire causalité. Il y a même un site qui répertorie des corrélations qui n'ont aucun rapport. En termes scientifiques, on ne peut donc pas parler de preuve.

Il faudrait des cohortes encore plus importantes, suivies pendant encore plus longtemps. Et même des études "à l'aveugle" où l'on vérifie en détail ce que mange chaque personne et son mode de vie, ce qui est difficile à mettre en place sur le long terme. C'est ce que la majorité des chercheurs qui se sont exprimés sur le sujet, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, appellent de leurs voeux.

Mais alors quel est le problème à faire un raccourci en disant que "le bio réduit le cancer", en dehors de la pure rigueur scientifique? Pour les trois chercheurs de Harvard auteurs du commentaire dans JAMA, le risque se situe dans les dégâts collatéraux.

"Alors que le lien entre risque de cancer et alimentation biologique est encore incertain, il existe des preuves convaincantes qu'améliorer d'autres facteurs, comme le poids, l'activité physique, la diète, peuvent diminuer le risque de cancer."

Ainsi, consommer des fruits et des légumes non transformés diminue les risques de cancer, précisent-ils. "La préoccupation concernant les pesticides ne devrait pas décourager la consommation de fruits et légumes conventionnels, notamment du fait que les produits biologiques sont souvent plus chers et inaccessibles à de nombreuses personnes", rappellent les chercheurs.

En résumé, si cette étude est une pierre importante apportée à l'édifice, elle ne permet pas de dire avec certitude qu'il y a un lien entre consommation de produits touchés par des pesticides et cancer. Elle doit par contre alerter les chercheurs et les autorités sur ce risque et devrait, espérons-le, entraîner de nouvelles études plus importantes.

En attendant, le principe de précaution peut pousser à consommer des produits bio. Mais il ne faudrait pas que cela pousse à ne plus consommer de fruits et légumes tout court si les alternatives sans pesticides sont trop chères, ce qui est souvent le cas du bio.

En attendant toujours, il serait utile également pour les chercheurs de réfléchir à des techniques permettant de rentabiliser les cultures agricoles sans avoir recours à un usage massif de pesticides. Ça tombe bien, c'est aussi ce sur quoi travaille l'Inra.

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