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Jean Chrétien, celui qui n’était pas destiné à devenir premier ministre

De son propre aveu, ses chances de se rendre jusque là étaient «limitées».
En entrevue avec le HuffPost Québec, Jean Chrétien admet que ses chances de devenir premier ministre du Canada étaient «limitées» lorsqu'il a commencé sa carrière.
LA PRESSE CANADIENNE
En entrevue avec le HuffPost Québec, Jean Chrétien admet que ses chances de devenir premier ministre du Canada étaient «limitées» lorsqu'il a commencé sa carrière.

1963. Le chef libéral Lester B. Pearson était de passage à Trois-Rivières pour rencontrer les candidats locaux dans l'élection générale à venir. Parmi la foule, un supporter tenait au bout de ses bras une pancarte où l'on pouvait lire «Jean Chrétien, futur premier ministre du Canada».

«J'étais gêné, vous ne savez pas comment», relate M. Chrétien, en entrevue avec le HuffPost Québec, 55 ans plus tard. Le «petit gars de Shawinigan» ne pensait pas, à l'époque, se faire élire et encore moins gravir les échelons du gouvernement pour devenir ministre, chef libéral, puis premier ministre.

Il raconte son parcours politique dans la série documentaire L'homme que l'on attendait pas, présentée les 2 et 9 juin à 19h, sur ICI Radio-Canada Télé. Même s'il a accordé des dizaines d'heures d'entrevue à l'animateur Bernard Derome, il se moque du résultat final. «Moi, j'ai dit ce que je pensais, puis ils feront ce qu'ils veulent avec», lâche-t-il.

Une scène tirée du nouveau documentaire au sujet de la vie de Jean Chrétien. On le voit avec son épouse Aline.
Radio-Canada/L'homme que l'on attendait pas
Une scène tirée du nouveau documentaire au sujet de la vie de Jean Chrétien. On le voit avec son épouse Aline.

M. Chrétien a été élu pour une première fois à l'âge de 29 ans, après des études en droit. Il voulait devenir architecte, mais son père a refusé net, sous prétexte qu'il ne se ferait jamais élire s'il travaillait dans ce domaine.

«Mon père voulait que je fasse de la politique, explique M. Chrétien. Mon père aimait la politique comme un monsieur qui aime le hockey. Un monsieur qui aime le hockey amène son fils à 5h le matin à l'aréna pour le faire pratiquer. Alors, papa a fait ça avec moi pour la politique. Il l'a eu, son politicien!»

Moi, j'avais un langage qu'on disait proche du peuple. Dans ce sens-là, j'étais populiste.

Il est donc débarqué à Ottawa – un monde qu'il qualifiait d'«étrange» en arrivant - en parlant peu ou pas anglais. Qu'importe, le premier ministre Pearson l'a rapidement pris sous son aile, en le nommant comme son secrétaire parlementaire à 31 ans, puis ministre à 33 ans.

«J'étais apparemment très travaillant. Je parlais beaucoup, parfois trop, mais j'imagine que je ne devais pas seulement dire des niaiseries, alors c'est pour ça qu'il a retenu mes services, rigole-t-il. Je me sentais prêt, mais là, quand je regarde ça par en arrière, j'étais un petit gars!»

L'étiquette de «populiste»

«Avoir raison pis perdre des élections, ça ne va pas ben loin», se plait à dire l'ancien premier ministre dans le documentaire à son sujet. Son franc-parler choquait certains intellectuels, comme Claude Ryan. L'étiquette de «populiste» qui lui était accolé choquait également ses sœurs qui vivaient à Outremont.

Ses phrases alambiquées, dans les deux langues officielles, feront l'objet de moqueries et même l'objet des livres Les Chrétienneries. On dira même de lui qu'il ne parle ni anglais, ni français. Encore aujourd'hui, il repousse ces critiques du revers de la main.

«Qu'est-ce qu'un populiste? On emploie le mot "populiste" à toutes les sauces. Si d'être proche du peuple, c'est être populiste, alors oui. Si être populiste, c'est mentir, alors non. Je ne suis pas de cette catégorie-là.»

«Moi, j'avais un langage qu'on disait proche du peuple. Dans ce sens-là, j'étais populiste. Alors les snobs à Montréal me regardaient de haut à cause de ça. Et puis, moi, ça ne me dérangeait pas. Si j'avais parlé à la française, peut-être que je n'aurais pas gagné mes élections. Mais ç'aurait bien paru dans les cocktails», mimique l'ex-premier ministre.

M. Chrétien a quitté la politique une première fois en 1986 après avoir chauffé John Turner «un peu trop» à la course à la direction du Parti libéral du Canada. Il a finalement pris la tête du parti en 1990. Au moment de devenir premier ministre en 1993, il avait déjà neuf élections derrière la cravate.

Un cheminement étonnant pour quelqu'un qui ne parlait pas anglais lorsqu'il est arrivé à Ottawa. De son propre aveu, ses chances de se rendre jusque là étaient «limitées».

Une décennie au pouvoir

Sa décennie à la tête du pays a été marquée par les compressions budgétaires, son refus d'envoyer les troupes canadiennes lors de la mission en Irak, mais aussi le deuxième référendum sur l'indépendance du Québec en 1995.

En raison de son impopularité, à l'époque, il s'est tenu loin de la mêlée. Mais la victoire serrée du «Non» l'a convaincu de faire adopter la Loi sur la clarté référendaire – qui parle d'une victoire claire à une question claire.

On va se séparer, mais on va venir coucher avec toi le samedi soir. Ce n'est pas de même que ça marche dans la vie!

L'Assemblée nationale a par la suite riposté par la loi 99 sur l'autodétermination, qui accorde aux Québécois le droit de décider s'ils veulent se séparer du Canada ou non. La Cour supérieure du Québec a récemment confirmé la validité de la loi, mais la décision a été portée en appel.

Encore aujourd'hui, M. Chrétien – qui s'assume en tant que «maudit fédéraliste» - se plait à fustiger les «séparatistes», qui représentent toujours une «certaine menace» pour le pays à son avis. «Ils ont inventé des noms. Ils disaient "souveraineté-association". On va se séparer, mais on va venir coucher avec toi le samedi soir. Ce n'est pas de même que ça marche dans la vie!»

C'est d'ailleurs au lendemain du référendum de 1995 qu'est lancé le programme des commandites, qui plombera le court passage au pouvoir de son successeur Paul Martin. Ce dernier a toujours plaidé l'ignorance devant la commission Gomery, chargée d'enquêter à ce sujet.

La rivalité Chrétien-Martin

Ce nouveau documentaire au sujet de M. Chrétien ne fait pas état de sa rivalité avec M. Martin, qui a été son ministre des Finances.

Cette guerre intestine a-t-elle été marquante dans sa carrière politique? «Il voulait prendre ma place. C'est tout à fait naturel. Seulement... il était un peu anxieux. Je voulais faire deux termes, et à cause de son anxiété, j'en ai fait trois!» répond M. Chrétien.

Il avait promis à son épouse Aline de ne pas faire plus de deux mandats.

Mais voyant que le clan Martin lui causait problème, elle a été la première à insister pour qu'il se présente à un autre mandat. Lorsqu'il s'apprêtait à annoncer qu'il quitterait la politique, peu après l'an 2000, elle se serait exclamée : «Four more years!» («Encore quatre ans!»)

«Comme un bon mari, j'ai écouté ma femme», relate M. Chrétien.

«La politique, c'est un art»

L'ex-premier ministre est conscient qu'il n'était pas destiné à connaître un tel parcours en politique. Mais la clé pour réussir en politique, dit-il, c'est l'authenticité. Pas les «diplômes longs de même», précise-t-il en gesticulant les bras.

«La politique, c'est un art. Ce n'est pas seulement une science, c'est un art. Vous pouvez étudier la science politique toute une vie et être un désastre une fois élu. Vous pouvez n'avoir jamais étudié la science politique, puis avoir du succès.»

Il garde de bons souvenirs de sa dernière journée à la Chambre des communes, en décembre 2003. Ses collègues lui ont donné sa chaise en chêne massif – qu'il dit avoir soulevée au bout de ses bras. Elle est toujours dans son musée à Shawinigan.

«Après, on est allés à la maison. Puis c'était fini. Qu'est-ce qu'on fait demain?»

L'homme que l'on attendait pas, à l'émission 1001 vies, les 2 et 9 juin à 19h, sur ICI Radio-Canada Télé.

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