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Adoption à l’international par des couples homosexuels: le gouvernement est-il hypocrite?

«Quand on écrit le mot couple, on tient pour acquis que c’est un homme et une femme», leur a dit une agente d’information.
À gauche Marie-Josée Guertin, et à ses côtés Maude Sabbagh.
Étienne Brière
À gauche Marie-Josée Guertin, et à ses côtés Maude Sabbagh.

Adopter, c'est long, et c'est surtout compliqué. Quiconque se lance dans le processus s'attend à rencontrer de nombreux obstacles. Mais s'il y avait bien une chose à laquelle ce couple homosexuel ne s'était pas préparé, c'était de devoir composer avec des propos hétérosexistes et une communication opaque, voire hypocrite, du Secrétariat à l'adoption internationale (SAI).

Maude et Marie-Josée raccrochent le combiné. L'excitation est à son comble. Après des mois à tergiverser et à parcourir le site web du SAI, elles ont pris rendez-vous avec un agent d'information. Le processus est enclenché, un jour, elles seront mamans.

«Lors de notre premier appel, on s'est présenté comme un couple qui voulait adopter, en donnant nos noms complets, il me semble que c'est clair qu'on est un couple homosexuel», lance Marie-Josée Guertin, expliquant que la dame au bout du fil ne lui a alors pas dit qu'elle serait mieux de ne pas trop s'emballer. Bien au contraire, ajoute sa conjointe Maude Sabbagh, elles étaient convaincues de remplir les critères des pays qu'elles visaient pour l'adoption, notamment les Philippines.

Quand on parcourt le site du SAI, dans la section «critères de sélection des adoptants», il n'est effectivement rien inscrit au sujet des couples homosexuels. Les exigences, pour ce qui est des couples, se limitent souvent à être «mariés ou unis civilement». Rien n'est non plus spécifié sur les fiches qui détaillent les conditions d'adoption pour chaque pays. À l'exception d'Haïti et de la Colombie.

Pour moi, c'est la preuve que le gouvernement, c'est un gros paquebot qui baigne dans une mentalité d'une autre époque, et qui peine à aller de l'avant.Maude Sabbagh

«Une claque dans la face»

Le 26 mars, le couple a son premier rendez-vous téléphonique avec une agente du SAI. La dame leur apprend alors que l'adoption à l'international est impossible pour les couples gais avec la majorité des pays partenaires du Québec (à l'exception de la Colombie, qui propose pour l'adoption des enfants de sept ans et plus, ou des enfants ayant une incapacité physique ou mentale). Évidemment, spécifie l'agente, ce n'est pas notre gouvernement qui décide des règles, mais le pays qui propose des enfants à adopter.

Marie-Josée lui demande alors pourquoi rien n'est inscrit sur les couples homosexuels au sujet des couples adoptants. L'agente lui répond alors: «Quand on écrit le mot couple, on tient pour acquis que c'est un homme et une femme». «Là, quand elle a dit ça, c'était comme une claque dans la face», lance Maude, peu habituée à vivre des situations de discrimination.

Cet incident lui a fait réaliser que même dans une société ouverte comme la nôtre, il reste encore beaucoup à faire pour que l'hétérosexualité ne soit plus la norme. «Pour moi, c'est la preuve que le gouvernement, c'est un gros paquebot qui baigne dans une mentalité d'une autre époque, et qui peine à aller de l'avant», déclare Maude Sabbagh. Le couple espère que leur témoignage va aider à accélérer ce changement de vision binaire. «Faudrait se réveiller, en 2018, un couple, ce n'est pas forcément un homme et une femme», laisse tomber Marie-Josée.

Étienne Brière

Les propos tenus par l'employée du SAI sont honteux et, avant tout, hétérosexistes, selon Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT du Québec. Elle se dit malheureusement peu surprise. Son organisme forme d'ailleurs, chaque année, des milliers de professionnels qui travaillent avec des couples et des familles, afin de faire évoluer leur communication orale et écrite, afin d'intègrer les personnes LGBT.

«Nous n'avons pas encore eu la chance de former les employés du SAI», indique-t-elle, mais il lui semble important qu'un organisme de ce type, qui est forcément approché par de nombreux couples LGBT, adapte sa plateforme web et forme son personnel en conséquence. À son avis, le SAI «a peur» d'indiquer noir sur blanc que les couples LGBT sont exclus de la majorité des partenariats d'adoption internationale. «Ils ont peur d'être accusés d'homophobie et de recevoir des plaintes. Mais s'ils affichaient clairement les raisons pour lesquelles l'adoption n'est pas possible, les gens comprendraient que ce n'est pas du tout de leur faute», renchérit Mme Greenbaum.

Éviter de parler des exclus

Le Secrétariat à l'adoption internationale a décliné la demande d'entrevue du HuffPost Québec. C'est plutôt une porte-parole du ministère de la Santé et des services sociaux (qui chapeaute le SAI) qui a répondu aux questions, par courriel. À savoir pourquoi le SAI n'a aucune information claire quant à l'adoption pour des couples du même sexe sur son site web, on répond que la communication privilégiée est «d'indiquer les critères et exigences qui doivent être rencontrés, et non d'indiquer les personnes exclues».

Toutefois, le gouvernement reconnaît que le manque d'information peut porter à confusion. «Vous soulevez une préoccupation sur laquelle le SAI se penchera», peut-on lire dans la réponse écrite, à savoir si de l'information supplémentaire devrait être ajoutée pour refléter le fait que la majorité des pays offrant des enfants à l'adoption n'acceptent pas les couples de même sexe. Le ministère considère, par exemple, d'ajouter aux critères d'admissibilité l'indication «couples hétérosexuels seulement».

Quant à savoir si le SAI tente d'établir de nouveaux partenariats avec des pays ouverts à l'adoption par des couples homosexuels, on répond simplement que le ministère de la Santé «est en démarches fréquentes».

Rappelons toutefois qu'un grand nombre de pays sont signataires de la Convention de la Haye , un traité qui vise à prévenir l'enlèvement, la vente et le trafic d'enfants. Selon cette convention, l'adoption internationale ne peut être envisagée qu'après l'examen de toutes les possibilités de placement de l'enfant dans son pays d'origine, fait valoir Mona Greenbaum. Selon elle, cela a eu pour effet de diminuer de façon importante le nombre de pays occidentaux proposant des enfants à l'adoption. Ces pays, ajoute-t-elle, étaient souvent plus ouverts aux couples de même sexe.

Étienne Brière

«Ce n'est pas de la naïveté, c'est de l'hypocrisie»

À ceux qui pourraient les considérer naïves d'avoir cru que l'adoption internationale était permise pour un couple homosexuel dans plusieurs pays, Maude et Marie-Josée insistent qu'il s'agit plutôt d'une communication gouvernementale opaque. «Ce n'est pas de la naïveté, c'est de l'hypocrisie du gouvernement», lance Marie-Josée.

«Leur réaction n'est pas du tout naïve. Si l'information n'est pas là, tu ne peux pas présumer de qui est inclus ou exclu. Le site du Secrétariat porte clairement à confusion», commente Katherine Riva, chroniqueuse et auteure du documentaire D'une mère à l'autre, qui raconte son parcours d'enfant adopté et ses retrouvailles avec sa famille biologique.

Mme Riva, qui s'intéresse aux mécanismes de l'adoption depuis des années, déplore la gestion du Québec dans ce dossier important. «Pour les gens qui veulent une famille, et qui veulent adopter, c'est simplement l'enfer. C'est compliqué et cher à l'international, et c'est quasiment pire quand tu essayes d'adopter au Québec. Ça n'a juste pas de bon sens.»

Elle critique notamment le système d'adoption au Québec, orchestré par la Direction de la protection de la jeunesse, qui implique souvent que l'adoption est une possibilité, mais non une certitude (à l'exception des cas où les parents biologiques ont signé un consentement). Dans beaucoup de scénarios, le Tribunal de la jeunesse ordonne qu'un lien entre l'enfant et son parent biologique soit maintenu durant plusieurs années.

Étant en contact avec beaucoup de parents adoptants, Katherine Riva voit les situations de détresse que vivent ces derniers, mais aussi les enfants, pris dans des émotions déchirantes. «Est-ce qu'on pourrait repenser le système? Je ne suis vraiment pas convaincue que nous avons choisi une formule qui assure le bien-être des enfants», conclut-elle.

Étienne Brière
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