Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Montréal augmente sa collaboration avec les services frontaliers malgré le statut de ville sanctuaire

Le SPVM est devenu le champion canadien dans ce domaine en 2017.
Olivier Robichaud

Montréal, ville sanctuaire? Pas du tout, selon des chiffres obtenus auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) par le HuffPost Québec. Et c'est encore moins vrai maintenant que ce ne l'était avant l'adoption de ce statut par le conseil municipal.

La Ville de Montréal s'est déclarée «ville sanctuaire» en février 2017. Ce concept implique que les services municipaux, et au premier chef le service de police, ne collaborent pas avec les services frontaliers pour dénoncer ou appréhender des immigrants sans statut.

Or, rien n'est plus loin de la réalité selon des documents obtenus par le biais de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Selon l'ASFC, non seulement le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) continue de communiquer avec l'agence, il l'a fait encore plus souvent en 2017 que lors des années précédentes. Pas moins de 3608 appels ont été logés à l'ASFC l'an dernier, contre 2872 en 2016 et 2632 en 2015.

Plus de 80% des appels visent à vérifier le statut d'immigration d'une personne. Les policiers peuvent aussi vérifier les mandats d'arrestation ou demander des empreintes digitales, par exemple.

Montréal n'est pas une ville sanctuaire. C'était irresponsable de faire cette déclarationJaggi Singh

Le SPVM est désormais le champion canadien de la collaboration avec les services frontaliers, dépassant le Service de police de Toronto. Pendant la même période, le corps policier de la Ville-Reine a réduit drastiquement le nombre de communications avec l'ASFC, passant de 5146 à 3542.

Mercredi, le SPVM n'a pas répondu à la demande d'entrevue du HuffPost Québec.

Rappelons que le Québec a accueilli un grand nombre d'immigrants sans statut en 2017, dont plusieurs fuyaient les politiques migratoires du président américain Donald Trump. Le HuffPost Québec n'est pas en mesure de déterminer si cette situation a eu un impact sur les données de l'ASFC.

Déclaration «irresponsable»

Cette situation fait réagir l'activiste altermondialiste Jaggi Singh, qui milite au sein de l'organisme Solidarité sans frontières.

«Montréal n'est pas une ville sanctuaire. C'était irresponsable de faire cette déclaration. Les policiers ne doivent pas collaborer avec les services frontaliers, sans cela on ne peut pas dire qu'on est une ville sanctuaire», dit-il.

Même son de cloche du côté du Comité d'aide aux réfugiés.

«Le principe même de la ville sanctuaire est la non-collaboration», souligne la porte-parole Geneviève Binette.

Selon M. Singh, Solidarité sans frontières reçoit régulièrement des témoignages de personnes sans statut qui croient qu'ils peuvent désormais faire affaire avec la Ville ou la police sans crainte de se faire déporter. Ce qui est faux.

«Même une intervention assez simple, comme une contravention pour avoir traversé la rue au mauvais endroit, peut mener à la déportation», illustre M. Singh.

Sans véritable politique de ville sanctuaire, les personnes sans statut ont souvent peur de s'organiser pour défendre leurs intérêts. Une militante de Solidarité sans frontières, Lucy Francineth Granados, a d'ailleurs été arrêtée par les services frontaliers la semaine dernière. Originaire du Guatemala, elle risque la déportation parce qu'elle est restée au Canada après que sa demande de réfugiée a été refusée.

Au-delà du nécessaire

David Moffette, sociologue et professeur à l'Université d'Ottawa, souligne qu'il est impossible pour les municipalités canadiennes de devenir des villes sanctuaires suivant le modèle américain. Le cadre législatif force les corps policiers à exécuter les mandats d'arrestation de l'ASFC, par exemple, ce qui n'est pas le cas au sud de la frontière. Dès qu'un policier consulte le registre des mandats actifs, ceux de l'ASFC apparaissent aux côtés des mandats criminels.

Mais le SPVM, ainsi que d'autres corps policiers, n'est pas obligé de contacter directement l'ASFC selon M. Moffette.

«La vaste majorité des appels des corps policiers aux services frontaliers sont pour vérifier le statut d'une personne. Ils ne sont pas obligés de faire ça. Ils vont au-delà du minimum nécessaire. Et c'est très troublant que ça augmente après la déclaration de ville sanctuaire», dit-il.

M. Moffette a déjà fait ce genre de demande d'accès à l'information par le passé. Il utilise les appels des policiers aux services frontaliers comme indicateur du niveau de collaboration entre une municipalité et l'ASFC. D'autres services, comme les services d'habitation et même des refuges, demanderaient aussi parfois le statut d'immigration d'une personne, mais leur niveau de collaboration avec les services frontaliers serait plus difficile à évaluer selon le chercheur.

Des mesures à venir

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, n'était pas disponible pour un commentaire mercredi. Elle a toutefois déjà affirmé que l'administration précédente n'avait pas émis les directives nécessaires pour mettre en oeuvre le concept de ville sanctuaire, malgré la déclaration.

Mme Plante a promis d'annoncer prochainement son plan d'action dans ce dossier.

À Toronto, où les appels à l'ASFC sont en décroissance, la Ville a instauré une politique de «don't ask, don't tell». Cela signifie que les services municipaux ne vérifient tout simplement pas le statut ou les mandats émis contre une personne et ne communiquent pas d'informations aux agents frontaliers.

Mme Binette, du Centre d'aide aux réfugiés, estime que ce modèle pourrait s'appliquer à Montréal.

«La Ville a créé le Bureau d'intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM) en 2016. C'est une très belle initiative, mais ça n'ajoute rien à la question de la ville sanctuaire», dit-elle.

M. Moffette souligne toutefois que la politique torontoise est appliquée de façon inégale. Le service de police a indiqué qu'il maintiendrait le pouvoir discrétionnaire des agents sur le terrain. Les policiers peuvent donc toujours communiquer avec l'ASFC, sauf dans certains cas précis comme les victimes de violence conjugale.

Jaggi Singh aimerait que la Ville de Montréal aille bien plus loin.

«La Ville peut émettre une directive pour dire que les agents frontaliers ne sont pas les bienvenus dans les édifices municipaux. L'ASFC n'est pas un service de police, ils n'ont pas le pouvoir de forcer la Ville. Les bâtiments deviendraient ainsi de véritables sanctuaires», dit-il.

MM. Singh et Moffette soulignent toutefois qu'une mesure provinciale est nécessaire afin de protéger adéquatement les immigrants sans statut. Ceux-ci craignent souvent d'être dénoncés lorsqu'ils vont voir le médecin ou lorsqu'ils souhaitent aller à l'école, par exemple.

L'été dernier, le gouvernement a permis aux enfants sans statut de fréquenter les écoles du Québec.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.