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Le maire de Brossard Paul Leduc ferait modifier les analyses de ses employés

Quitte à cacher ces documents à l'opposition.
Olivier Robichaud

Le maire de Brossard, Paul Leduc, aurait demandé à ses employés de modifier leurs conclusions dans les analyses présentées aux élus, selon des commentaires et des documents obtenus par le HuffPost Québec. Quitte à cacher ces documents à l'opposition.

Le maire Leduc fait face à une importante crise au sein de son administration. De nombreux hauts fonctionnaires ont quitté leur poste ou sont partis en congé de maladie, sans parler des trois conseillers municipaux qui ont quitté son parti pour former Brossard Ensemble.

Selon nos informations, une partie du problème serait liée aux pressions indues du maire pour que les rapports et les sommaires produits par les fonctionnaires reflètent ses propres conclusions.

«J'ai vu à quelques reprises le maire faire pression pour que les sommaires soient rédigés différemment», affirme une de nos sources.

Les sommaires exécutifs et les sommaires d'orientation sont des documents produits par la fonction publique pour informer les élus. Ils analysent les problèmes et les solutions envisageables et recommandent une démarche à suivre.

M. Leduc aurait agi ainsi dans le dossier de la boutique automobile Porsche, qui a nécessité un changement de zonage pour pouvoir s'établir au DIX30. Le maire aurait exercé des pressions sur le directeur général, Nicolas Bouchard, qui ne partageait pas son point de vue. M. Bouchard fait partie des employés qui sont partis en congé de maladie.

En 2016, un rapport de ressources humaines coulé au Journal de Montréal indiquait que les pressions exercées par certains élus créaient un climat de travail toxique à la Ville de Brossard.

Le beau-fils participe

Le beau-fils du maire, Alexandre Plante, aurait participé aux pressions exercées par M. Leduc dans deux autres dossiers, soit le bannissement des sacs de plastique et l'interdiction des restaurants de malbouffe près des écoles. Ce second dossier a causé une bataille judiciaire contre une franchise de Pizza Pizza, bataille que la Ville a perdue.

«Dans le dossier Pizza Pizza, ils sont venus avec leurs conclusions toutes faites alors que les employés n'étaient pas prêts à donner leurs recommandations sur l'interdiction. Leurs analyses n'étaient pas prêtes», affirme-t-on au HuffPost Québec.

Selon nos sources, certains employés étaient tellement à l'affût des désirs du maire qu'ils appelaient son chef de cabinet, Yves Lemire, pour connaître à l'avance les conclusions qu'il souhaitait.

Cette situation aurait été une importante pomme de discorde entre M. Lemire et M. Leduc. M. Lemire a démissionné en mai 2016, après cinq ans comme bras droit du maire.

Documents retenus

Dans certains cas, Paul Leduc aurait empêché la diffusion de documents qui contredisaient sa volonté. C'est le cas du déménagement du marché public de Brossard.

Un sommaire obtenu par le HuffPost Québec, daté du 31 janvier dernier, décrit les avantages et les inconvénients de divers sites qui pourraient accueillir le marché. Le déménagement était nécessaire en raison de travaux sur le site précédent.

«Parmi tous ces sites, certains obtiennent un pointage élevé, mais comportent des éléments défavorables et certains impacts importants ne nous permettant pas de les recommander», lit-on dans le document.

Les fonctionnaires décrivent ensuite en long et en large pourquoi le marché public ne devrait pas être déménagé sur la nouvelle esplanade de l'hôtel de ville. C'est pourtant là que l'événement a eu lieu cet été, causant chaque semaine la fermeture partielle du boulevard de Rome à quelques pas du boulevard Taschereau, deux des plus importantes artères de la ville.

Ce document n'a pas été présenté aux élus de l'opposition avant la tenue du vote sur le déménagement. On leur a plutôt offert un autre sommaire, qui indique seulement qu'un changement de zonage est nécessaire puisqu'on a décidé de tenir le marché public devant l'hôtel de ville. Ce second document, produit une semaine après le premier, est signé par certains des mêmes fonctionnaires.

Un commentaire du conseiller municipal Daniel Lucier, membre du parti du maire Priorité Brossard, laissait pourtant entendre que les fonctionnaires avaient approuvé le site.

«Il y a un certain nombre de fonctionnaires qui ont fait travail exceptionnel pour vérifier les emplacements possibles. Des vérifications étaient nécessaires et des études étaient nécessaires pour vérifier les sites possibles marché public. [...] À ce niveau-là, j'aimerais féliciter les fonctionnaires qui ont travaillé là-dessus», a-t-il affirmé en réponse à une question de Doreen Assaad, chef de Brossard Ensemble.

Mme Assaad, qui est également conseillère municipale, a demandé de voir ces études. Selon le maire Leduc, le sommaire obtenu par le HuffPost Québec lui a été fourni... en juin, soit quelques jours après le déménagement du marché et plusieurs mois après le vote au conseil municipal.

Leduc nie tout

Contacté par le HuffPost Québec, Paul Leduc a nié toute accusation d'ingérence politique dans le travail des fonctionnaires.

«Je n'ai fait aucune ingérence. D'ailleurs, à ma demande, Me Joël Mercier, un spécialiste de ces questions, est venu éclairer, au cours des derniers mois, fonctionnaires et élus quant aux rôles et responsabilités de chacun. Je pense que ça a éclairé la lanterne de plusieurs», affirme-t-il.

Me Mercier est l'avocat qui représente le maire dans le cadre d'une plainte devant la Commission municipale du Québec (CMQ). M. Leduc doit se défendre d'avoir menti concernant l'implication de sa conjointe dans l'achat de meubles italiens pour son bureau.

Dans les dossiers du marché public et des sacs en plastique, M. Leduc répond que les décisions ont été prises par le comité de planification de la Ville. Le comité de planification est en fait le caucus de son propre parti, Priorité Brossard.

Manquement à l'éthique

Deux experts consultés par le HuffPost Québec rappellent qu'un élu a le droit de faire fi des recommandations de ses employés. Il ne peut toutefois pas dire qu'il s'appuie sur leur travail si les conclusions ont été imposées.

«Les élus n'ont pas à se ranger nécessairement aux recommandations des professionnels. Là où il y a perversion, c'est quand des professionnels se laissent influencer pour leurs avis professionnels», souligne Danièle Pilette, experte en gestion municipale et professeure à l'UQÀM.

Mme Pilette rappelle qu'il s'agit là d'un problème souligné à maintes reprises lors de la Commission Charbonneau.

Même son de cloche de la part de Michel Séguin, professeur d'éthique à l'UQÀM.

«Si le maire n'est pas d'accord avec les conclusions, il n'est pas obligé de les utiliser. Il n'est même pas obligé de les diffuser. Mais il ne peut pas dire après qu'il s'appuie sur ses fonctionnaires.»

L'opposition s'insurge

Doreen Assaad, chef de Brossard Ensemble, était membre du parti du maire pendant une partie des allégations. Elle affirme qu'elle n'a pas été témoin de pressions directes, mais qu'elle avait l'impression que le maire faisait à sa tête. C'est d'ailleurs en partie ce qui a mené à sa démission et à celle de ses collègues Claudio Benedetti et Pierre Jeté.

«J'ai vécu des choses dans les derniers temps qui m'ont montré que les valeurs du maire n'étaient pas les miennes et qu'il ne respectait pas l'opinion de ses fonctionnaires. On avait souvent l'impression que les décisions étaient prises préalablement à nos rencontres», affirme-t-elle.

Concernant le marché public, Mme Assaad estime qu'elle aurait dû avoir accès à l'analyse des sites afin de prendre une décision éclairée en tant qu'élue municipale.

«Je suis en droit d'avoir eu ce document en temps opportun», dit-elle.

«Cette affaire, tout comme les départs, montre qu'il y a de la bisbille entre le maire et la haute direction», ajoute pour sa part Antoine Assaf, un conseiller municipal du parti Renouveau Brossard.

Son chef, l'ex-maire Jean-Marc Pelletier, affirme que ce genre d'ingérence n'avait pas lieu sous son administration.

«Les employés de la Ville sont des officiers municipaux dont les pouvoirs sont encadrés par la loi. C'est très grave», affirme M. Pelletier.

L'administration de Paul Leduc est visée par de nombreuses enquêtes. En plus de la plainte pour les meubles italiens, le maire est visé par une seconde plainte en déontologie pour avoir fait publier une publicité partisane avec le logo de la Ville. À cela s'ajoutent deux plaintes pour harcèlement psychologique déposées par la greffière Isabelle Grenier, partie en congé de maladie en 2016, et une plainte pour congédiement abusif.

Le ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire (MAMOT) a également lancé une enquête administrative après la diffusion du rapport de ressources humaines par Le Journal de Montréal. Au début du mois, le ministère n'était pas en mesure d'indiquer si les résultats seront rendus publics avant les élections du 5 novembre.

Selon le quotidien La Presse, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) se pencherait également sur la vente du Golf de Brossard lors du premier passage de M. Leduc à la mairie dans les années 1990.

Le 5 septembre, M. Leduc a annoncé qu'il sollicite un nouveau mandat à la mairie de Brossard.

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