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Le président Donald Trump pourrait-il se gracier lui-même?

L'idée a beaucoup fait jaser... mais est-elle réaliste?

Mis sur la sellette par l'enquête sur l'ingérence russe dans la dernière campagne électorale, le président américain Donald Trump aurait considéré l'option de s'accorder le pardon pour se tirer d'affaire. Mais peut-il vraiment se gracier?

Un texte de Valérie Boisclair

Selon des informations obtenues par le Washington Post de sources proches du président, Donald Trump et son équipe d'avocats en seraient à étudier les différentes pistes permettant de contrecarrer les avancées du procureur indépendant Robert Mueller, comme celle d'user de son droit à la grâce.

Il accorderait ainsi le pardon à des membres de sa famille, à ses conseillers... et à sa propre personne.

« [Le droit à la grâce] ne fait pas partie des discussions et [n'est] pas sur la table », a vite réagi l'un de ses avocats, Jay Sekulow, à CBS News.

Pour plusieurs analystes, cette idée s'inscrit dans la lignée des déclarations colorées du président qui ne trouveront jamais écho.

Or, si le recours à la grâce présidentielle n'a rien de nouveau, cette mesure ne s'est jamais appliquée au président lui-même.

Qu'est-ce que le droit au pardon?

En vertu de l'article II, section 2, de la Constitution américaine, le président américain a « le pouvoir d'accorder des sursis et des grâces pour des crimes contre les États-Unis. »Le texte prévoit que la procédure ne met pas pour autant le président à l'abri d'un impeachment, le processus de destitution que peut enclencher la Chambre des représentants.

« Pendant que tout le monde s'accorde à dire que le président des États-Unis a le pouvoir total de pardonner, pourquoi y penser quand le seul crime, jusqu'à présent, ce sont les fuites contre nous. Fausses nouvelles », a tweeté Donald Trump.

Le magnat de l'immobilier pourrait donc décider de gracier des membres de sa garde rapprochée, comme Donald Trump fils, son gendre, Jared Kushner, son ancien directeur de campagne, Paul Manafort, ou encore son ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn.

« Mais il peut y avoir un coût politique », prévient le directeur de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand à l'UQAM, Frédérick Gagnon.

Le chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand, Rafael Jacob, abonde dans le même sens : agir de la sorte pourrait nuire à l'image du président et soulèverait son lot de questions. « À ce jour, aucune preuve illégale n'a été dévoilée », rappelle-t-il.

S'il donne l'impression d'être dans le patronage et dans le conflit d'intérêts, Trump n'aidera pas à sa cause [auprès de l'opinion publique].Frédérick Gagnon, directeur de l'Observatoire des États-Unis

D'autres estiment que le président pourrait se retrouver dans le pétrin d'un point de vue légal. Dans une lettre ouverte publiée dans le New York Times, deux professeurs de droit à l'Université de Chicago, Daniel Hemel et Eric Posner, jugent que le recours au pardon pourrait être un crime en soi.

« S'il peut être démontré que le président Trump a accordé le pardon à des membres de sa famille et à de proches conseillers pour dissimuler de possibles crimes, [le président] pourrait donner l'impression d'avoir agi de connivence et pourrait être accusé d'obstruction à la justice », plaident-ils.

Est-ce que Trump peut s'accorder le pardon?

La Constitution des États-Unis est relativement courte et donne ainsi beaucoup de place à l'interprétation, explique le professeur Frédérik Gagnon. Dans le cas du droit à la grâce, les Pères fondateurs ont laissé une zone grise.

Comme aucun président n'a jamais tenté d'exercer ce pouvoir à son endroit, le débat constitutionnel n'a pas encore pu se rendre aux différentes cours de justice afin que la question puisse être clarifiée. S'il advenait que Trump « s'autopardonne », le débat finirait certainement par se retrouver entre les mains de la Cour suprême, note M. Gagnon.

Si certains en sont à évoquer l'argument sémantique – le verbe « pardonner » peut-il s'appliquer à soi-même? – aux yeux de nombreux experts américains, se gracier serait incongru et reviendrait à jouer le rôle du juge dans son propre procès.« Le président peut accorder le pardon à n'importe qui, y compris lui-même. Mais le pardon n'arrête pas une enquête, et dans une démocratie [en santé] il doit entraîner un impeachment », soutient de son côté Susan Low Block, professeure de droit à l'Université de Georgetown, dans une entrevue accordée à Vox

Cette mesure rendrait-elle l'enquête sur l'ingérence russe caduque?

Si Trump décide d'user de son droit à la grâce, l'enquête sur l'ingérence russe ne prendrait pas fin pour autant, mais les personnes visées seraient protégées par l'immunité. Or, si le procureur spécial Robert Mueller arrive à avancer des preuves de collusion, le président américain pourrait malgré tout en payer le prix.

Pour faire face à la grogne, le Congrès pourrait décider de mettre en branle une procédure de mise en accusation, dans le but de destituer Donald Trump.

Le chemin pour y parvenir est toutefois laborieux, estime M. Gagnon, qui rappelle que la Chambre des représentants est pour l'heure à majorité républicaine.

Le scénario de la destitution de Trump relève pour l'instant de la fiction.Frédérick Gagnon, directeur de l'Observatoire des États-Unis

Selon M. Gagnon, fort est à parier que le président américain ne choisira pas d'user de son droit à la grâce.Et en supposant qu'il décide d'y avoir recours, c'est sa cote de popularité – évaluée à 38,8 % selon le dernier sondage Gallup – qui risque d'en prendre un dur coup, résume-t-il, soulignant que les élections de mi-mandat, en 2018, se profilent à l'horizon.

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